Par Gabriel Thierry • Illustration Jean Sasson
Le corps est partiellement calciné et gît sur une plateforme en béton couverte de terre, en bordure d’une piste d’aviation désaffectée servant de décharge pour l’incinération de déchets végétaux et de lieu de rencontre discret pour des couples. La victime, une jeune femme, est nue, hormis le haut, ouvert sur sa poitrine. L’autopsie prouvera qu’elle a été violée avant d’être tuée.
Ce 12 janvier 2002, au bout d’un cul-de-sac long de plusieurs kilomètres, à Tertry, dans la Somme, cet ouvrier agricole s’arrête net, horrifié. Il vient de découvrir le corps sans vie d’Elodie Kulik, la directrice d’une agence bancaire de Péronne, disparue depuis la veille.
Deux jours plus tôt, la jeune femme de 24 ans avait passé la soirée avec un copain, Hervé.
Les deux amis vont d’abord boire un verre – sans alcool pour Elodie, qui doit conduire – dans un bar à Saint-Quentin. Ils filent ensuite dîner dans un restaurant chinois, Le Nouveau Pavillon de Shanghai. Puis les deux amis vont chez Hervé, histoire de prendre un dernier thé avant de se séparer, vers 23 h 30. Elodie, qui doit reprendre son poste le lendemain matin à la Banque de Picardie, veut être en forme.
Elle prend sa voiture, une Peugeot 106, pour rejoindre Péronne. Un simple trajet d’une grosse demi-heure, qui va lui être fatidique et reste entouré encore de nombreux mystères.
Ce soir-là, il y a du brouillard et du verglas.
La voiture d’Elodie dérape et fait un tonneau dans un champ.
C’est le début d’une énigme criminelle qui restera sans réponse pendant dix ans.
Une enquête difficile
Pour les gendarmes, cette affaire particulièrement sordide commence plutôt mal. Ce 11 janvier, les militaires ne se déplacent qu’au petit matin, vers 8 heures, sur les lieux de l’accident. La voiture avait été repérée au milieu d’un champ, vers Cartigny, à une dizaine de kilomètres à l’est de Péronne, et
à 6 kilomètres environ de la décharge verte où on a retrouvé son corps. Durant la nuit, ils ont pourtant été alertés à trois reprises de la présence d’une voiture accidentée au milieu d’un champ… Vers 7h30, un nouveau témoin signale le véhicule abandonné aux gendarmes. Mais comme personne n’a mentionné la présence d’un occupant à l’intérieur de la petite Peugeot 106, le déplacement n’a pas été jugé prioritaire. Et s’il s’agissait d’un fêtard reparti chez lui à pied ou aidé par un ami ? Cette nuit-là, il y avait des interventions plus urgentes, et aucun gendarme imaginait une histoire aussi sordide.
Ce matin, sur place, comme il est d’usage pour un simple accident de la route, les gendarmes cherchent d’abord les papiers du véhicule pour identifier le propriétaire. Les portières ne sont pas verrouillées, le plafonnier et la lumière du coffre sont allumés, la clé est sur le contact.
Ils trouvent une botte dont se saisit un maître-chien pour tenter de retrouver le conducteur, tandis que le garagiste qui accompagne les gendarmes s’engouffre lui aussi dans l’habitacle. Il n’y a pas de trace de sang, l’autoradio a été dérobé au cours de la nuit, et on retrouve l’appui-tête du conducteur un peu plus loin dans le champ. Le sac à main de la conductrice est posé sur le siège passager, avec son chéquier et sa carte bancaire. Autant d’éléments qui font penser à un enlèvement.
On saura plus tard que les agresseurs sont très vite partis avec Elodie, laissant le clignotant droit en marche, et le contact allumé. Ainsi, quand Jean-Luc, le technicien en identification criminelle de la brigade de recherches de Péronne, arrive sur place, vers 13 heures, la voiture a déjà été déplacée et l’état des
