Des prisons et agents pénitentiaires ciblés depuis plusieurs jours

Photo : En plusieurs endroits en France, les véhicules de surveillants de prisons ont été incendiés ou dégradés (Photo d'illustration : B.Prieur/WikimediaCommons)

17 avril 2025 | Société

Temps de lecture : 6 minutes

Des prisons et agents pénitentiaires ciblés depuis plusieurs jours

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Voitures d'agents incendiées, prisons visées par des tirs... Depuis plusieurs jours, l'administration pénitentiaire semble prise pour cible. Des enquêtes ont été ouvertes.

Serait-ce la conséquence de la politique de lutte contre les narcotrafics, une vague d’attaques organisée, ou bien des vengeances ciblées contre les personnels…? Quoi qu’il en soit, pour le Garde des Sceaux, Gérald Darmanin, « il y a manifestement des gens qui essaient de déstabiliser l’Etat en l’intimidant ». Les pistes sont multiples. Depuis dimanche 13 avril 2025, une série de dégradations, de menaces et d’attaque vise des prisons et des personnels de l’Administration pénitentiaire.

Dégradations et incendies

Depuis le début de cette vague de faits, une trentaine de véhicules ont été tagués et ou incendiés aux abords d’établissements pénitentiaires. Les premiers faits remontent à dimanche soir, à l’École de l’administration pénitentiaire (Enap) d’Agen (Lot-et-Garonne). Sept véhicules ont alors été « détruits ou dégradés en raison d’un incendie » sur le parking de l’école, a indiqué le parquet local.

La même nuit, sur le parking du centre pénitentiaire de Réau (Seine-et-Marne), le véhicule d’une surveillante a été incendié. Des traces d’hydrocarbures ont également été retrouvées sur trois autres véhicules, selon une source policière. En parallèle, huit véhicules ont aussi été incendiés dans la concession Toyota. Cette dernière se situe tout près de la prison d’arrêt de Nîmes (Gard), selon le parquet local.

Puis dans la nuit de lundi à mardi, d’autres établissements ont été visés. Trois véhicules, dont deux appartenant à des agents pénitentiaires, ont ainsi été incendiés lundi soir sur le parking de la maison d’arrêt de Villepinte (Seine-Saint-Denis). Un bidon d’hydrocarbures de cinq litres a été retrouvé sur place. Les images de vidéosurveillance ont permis de voir que les deux auteurs ont pénétré dans l’enceinte en passant par une butte de terre, incendiant chacun un véhicule. Le troisième a été atteint par propagation.

Selon une autre source policière, les établissements de Nanterre (Hauts-de-Seine), Aix-Luynes (Bouches-du-Rhône) et Valence (Drôme) ont aussi été touchés par des incendies de véhicules. Certains avaient préalablement été tagués avec la mention « DDPF », pour « Droit des prisonniers français » ou encore « Défense des droits des prisonniers français ».

Des tirs sur la porte d’une prison

Au centre pénitentiaire d’Aix-Luynes, en plus des véhicules, la porte de la base du Pôle de rattachement des extractions judiciaires et de l’Équipe régionale d’intervention et de sécurité (PREJ-ERIS) a également été incendiée, a déclaré une source proche du dossier.

À celui de Toulon-La Farlède (Var), les violences ont atteint un degré supplémentaire. Vers 00h40, comme l’a indiqué le procureur de Toulon, Samuel Finielz, plusieurs personnes venues en véhicule ont tiré à l’arme automatique sur la porte de l’établissement. Bilan: 15 impacts de tirs de kalachnikov.

Un grand sigle rouge orangé comportant cette fois-ci les mystérieuses lettres « DDFM » a été inscrit sur la porte grise par laquelle entrent et sortent les fourgons pénitentiaires, a constaté un journaliste de l’AFP.

Toujours dans la nuit de lundi à mardi, à Marseille, des tags et un incendie de véhicules ont aussi eu lieu près de locaux de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Ils stationnaient sur le parking d’une résidence de logements sociaux occupés par de nombreux agents de l’administration pénitentiaire.

Des agents directement menacés

Au cours d’une troisième nuit de violences, entre mardi et mercredi, trois véhicules ont été incendiés vers 05h20 du matin sur un parking de la prison de Tarascon (Bouches-du-Rhône). Celui-ci est pourtant « isolé, réservé aux personnels, grillagé et à l’accès sécurisé par un digicode », selon le procureur de la ville, Laurent Gumbau.

Des inscriptions « DDPF », semblables à d’autres retrouvées lors des précédentes attaques, ont également été retrouvées à Villenoy (Seine-et-Marne). Là, le feu a dévoré le hall de l’immeuble et la « cage d’escalier » d’une surveillante pénitentiaire d’Ile-de-France, selon Emmanuel Baudin, secrétaire général du syndicat FO-Justice, ainsi que des sources policières. Les enquêteurs ont découvert sur place une bouteille d’essence, selon l’une de ces sources.

Un autre véhicule, appartenant à un surveillant de la prison d’Aix-Luynes, a subit un incendie dans la nuit devant le domicile de celui-ci, selon Jessy Zagari, délégué régional FO Pénitentiaire.

Plus inquiétant encore, un montage vidéo de 18 secondes accompagnait ces faits. Posté sur le réseau social Telegram par un groupe revendiquant la « défense des droits des prisonniers français » (DDPF), il montre un agent en uniforme, un gros plan peu stable de son nom inscrit sur une boîte personnelle grise, puis, de nuit, un véhicule en flammes devant un bâtiment. Le groupe Telegram a ensuite été fermé à la demande de l’autorité judiciaire, et la vidéo, supprimée.

Dans un message posté sur la plateforme, le groupe se présentant comme DDPF affirmait qu’il se déploierait « dans toute la France ». Il précisait, avec des fautes d’orthographe : « Sachez que nous sommes pas des terroristes, nous sommes là pour défendre les droits de l’homme à l’intérieur des prisons ».

Une volonté d’intimider l’Etat selon Darmanin

Le ministre de la Justice estime que les auteurs de ces actes « le font parce que nous prenons des mesures contre le laxisme qui existait peut être jusqu’à présent dans les prisons, qui a mené notre pays à des difficultés extrêmement graves, des réseaux de drogue qui continuent à partir des cellules carcérales, on commande des assassinats, on blanchit de l’argent, on menace des policiers, des magistrats, des agents pénitentiaires et on s’évade, comme c’est le cas » de Mohamed Amra en 2024.

Gérald Darmanin voit dans ces événements, une riposte à sa politique de durcissement du régime carcéral des détenus les plus dangereux, en particulier des narcotrafiquants.

« C’est une intimidation grave et on essaie de voir si l’Etat va reculer, c’est ça qui se passe », a-t-il ajouté. Et « on ne va pas reculer, parce que d’abord on ne menace pas l’État », et « parce que si l’État recule, il n’y a plus rien; il n’y a pas de protection des Français », a-t-il ajouté.

Une source policière a évoqué sa crainte d’un effet d’imitation avec des gens qui brûleraient des véhicules sur les parkings des prisons. Quant à la cause de tous ces événements, toutes les pistes restent ouvertes. Y compris une manipulation venue de l’étranger, selon la même source.

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Le parquet antiterroriste saisi pour coordonner les investigations

Comme souvent lors de faits en multiples points du territoire, les parquets locaux ont d’abord ouverts des enquêtes. Le Parquet national antiterroriste (Pnat) a ensuite annoncé se saisir de l’enquête pour association de malfaiteurs terroriste criminelle. Les investigations concernent également une « tentative d’assassinat en relation avec une entreprise terroriste commise sur une personne dépositaire de l’autorité publique » suite aux tirs à l’arme automatique à Toulon. Elles visent également les dégradations en bande organisée, en relation avec une entreprise terroriste, pour les autres incendies.

Dans un communiqué, le Pnat explique s’être saisi de l’enquête à cause de la « nature de ces faits, les cibles choisies et le caractère concerté d’une action commise sur de multiples points du territoire, ainsi que l’objectif qu’ils poursuivent de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation tel que revendiqué sur les réseaux sociaux par un groupe baptisé DDPF ». Dans un « contexte inédit », le parquet antiterroriste entend assurer « une coordination nationale des investigations ». À la manœuvre, on retrouve notamment la Sous-direction antiterroriste (Sdat) de la police judiciaire. Elle enquête conjointement avec la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI).

L’angoisse des personnels des prisons

Les personnels pénitentiaires ne cachent pas leur angoisse. « En 22 ans » de métier, « je n’ai jamais eu peur ». « Là c’est la première fois de ma carrière que je me retourne en sortant de mon service et que je fais attention à ce qui se passe sur le parking », a témoigné auprès de l’AFP une membre de l’administration pénitentiaire du nord de la France, souhaitant rester anonyme pour raisons de sécurité. Désormais « quand je rentre chez moi, je ferme à clé », a témoigné cette femme de 47 ans, qui fait part de son « doute sur la capacité de l’Etat à faire en sorte d’assurer notre sécurité ».

« Les voitures brûlées, les tags, ça arrive. Mais là, ça arrive de façon coordonnée, ce qui rend les choses bien plus difficiles à digérer », renchérit l’un de ses collèges, âgé de 34 ans.

La profession a été mise à rude épreuve ces derniers mois. Le 14 mai 2024, deux agents avait été assassinés lors de l’attaque d’un convoi de transfèrement, en vue de l’évasion du trafiquant multirécidiviste Mohamed Amra, dans l’Eure.

Plus récemment, en septembre 2024, une agression d’un surveillant chez lui avait aussi suscité l’émoi. Vers 22h45, trois personnes masquées avaient pénétré au domicile du surveillant à Montreuil (Seine-Saint-Denis). Elles l’avaient roué de coups, ainsi que sa conjointe, avant de quitter les lieux en proférant, selon le parquet de Bobigny, des « menaces en lien avec le travail de l’agent ».

La crainte d’actions dans les prisons

« On a franchi un nouveau cap », avait alors estimé auprès de l’AFP  Wilfried Fonck, secrétaire national Ufap Unsa Justice. Aujourd’hui, « on est dans un mode opératoire » qui atteint « un autre niveau » avec « la volonté de mettre directement les agents dans un climat de terreur et d’insécurité », juge-t-il.

« On a l’habitude, on a connu ça pendant les émeutes » de 2023 après la mort de Nahel, abonde Emmanuel Baudin. Mais « là, le fait que c’est peut-être le narcotrafic qui soit derrière, c’est davantage inquiétant. Les agents savent qu’ils (les narcotrafiquants, NDLR) n’ont pas de limites et qu’avec un peu d’argent ils sont prêts à tout ».

Les surveillants ont reçu des consignes de vigilance. Par exemple, éviter l’exposition sur les réseaux sociaux ou sortir en civil de leur service. Mais ils se savent vulnérables. Du fait notamment de l’absence d’anonymisation, expliquent-ils. Et « cela va être très difficile de sécuriser le personnel, d’autant qu’on n’est pas armés », craint Dominique Gombert, secrétaire général adjoint de FO Justice. Emmanuel Baudi évoque aussi « la crainte de mouvements collectifs à l’intérieur des établissements ».

(L’Essor, avec S. Peuchmaurd, A-S. Labadie et K. Augeard / AFP)

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