Améliorer l’effort physique des soldats, leur permettre de voir plus loin et de se projeter au plus près : les armées réfléchissent depuis longtemps à la manière d’augmenter les capacités des militaires, et donc des gendarmes. Des exosquelettes actuels à l’usage d’amphétamines durant la Seconde Guerre mondiale, les exemples historiques ne manquent pas. Demain, le soldat augmenté pourrait bien être aussi un “gendarme augmenté”. Mais quels seraient les contours d’un tel militaire ?
Le lieutenant-colonel Marc Lordon, chargé de projet au Centre national d’entraînement des forces de la Gendarmerie de Saint-Astier ( CNEFG), a résumé quelques unes des pistes actuelles dans un texte passionnant publié dans le cahier de la Revue de la défense nationale, daté du 21 décembre 2017. Notons d’ores et déjà que ce gendarme souligne que si le cadre juridique existant, et appelé à être maintenu,
“Il faut être conscient de ces possibilités, de ces dangers et manier ces nouveaux outils avec précaution”, propose-t-il, sans pour autant “se réfugier derrière une barrière juridique qui empêcherait toute évolution”.
Le gendarme augmenté numérique
Dans un futur proche, le gendarme pourrait être grâce à des technologies numériques simples, sur le modèle du système Félin (Fantassin à équipements et liaisons intégrées) pour les armées. Il s’agirait de pouvoir lui transmettre des ordres dans des environnements bruyants en employant la conduction osseuse (le casque est positionné directement sur les temps ou la joue), de visualiser sur une visière les forces amies et adverses… “Cette évolution, celle du gendarme félinisé, s’inscrit dans la droite ligne des améliorations antérieures et est appelée à se poursuivre, souligne Marc Lordon. Ces avancées apporteront des moyens supplémentaires, des capacités améliorées dans des temps plus courts et des moyens coercitifs plus précis, plus efficaces mais moins destructeurs.”
Le gendarme mobile augmenté
Comment améliorer le travail des gendarmes en matière de maintien de l’ordre ? Une des pistes est de les assister par des drones. note Marc Lordon. Ces drones seraient chargés de localiser selon des algorithmes d’intelligence artificielle des groupes de casseurs, de filmer simultanément la scène, en projetant individuellement sur chacun des auteurs un marqueur ADN indélébile ou prélevant un échantillon d’ADN directement sur l’auteur de l’infraction.” Un futur possible à condition de mettre au point des drones spécialisés et de former les gendarmes à ce type d’utilisation. D’autres potentiels usages sont également esquissés : des drones dispersant des fumigènes ou des produits irritants de façon localisée, décelant des armes ou des explosifs, et localisant l’origine de tirs d’armes à feu.
Le gendarme bio-augmenté
Et si les capacités des gendarmes étaient améliorées par le biais d’implants ou de prothèses ? Ce scénario inquiétant de science-fiction, rappelle Marc Lordon, est impossible en l’état du droit : l’intérêt thérapeutique et le motif médical constituent le seul motif d’intervention sur le corps humain. Mais qu’en sera-t-il, questionne le lieutenant-colonel, de technologies ayant pour but “de permettre au corps de mieux résister aux agressions extérieures ou tout simplement de mieux résister à l’utilisation prolongée d’un muscle, de pallier une éventuelle déficience de l’ouïe en renforçant son acuité” ? “Si ces augmentations interviennent directement sur le corps du gendarme afin d’augmenter ses capacités physiques, voire même psychiques, elles pourront éventuellement satisfaire au cadre juridique actuel”, ajoute-t-il. Impératif médical, risque d’une discrimination, problématique du questionnement, respect de la dignité du gendarme : autant de questions essentielles à résoudre avant de s’engager cette voie délicate.
Le gendarme trop augmenté
L’utilisation de robots ou de drones doit permettre de renforcer la protection des gendarmes. Par exemple en créant une distance entre les opérations et l’homme, à distance. Surgit alors une nouvelle difficulté, celle d’une mauvaise appréciation des événements. “Le gendarme absent du terrain et agissant à distance risque de ne pas prendre pleinement conscience du danger existant ou, au contraire, de surévaluer une situation à risque”, avertit Marc Lordon. De même, un gendarme à l’ouïe et à la vue augmentées pourraient offrir des capacités d’écoute et de surveillance très intéressantes en matière de sécurité publique. Mais celles-ci devraient alors être compatibles le droit au respect de la vie privée. “Si le gendarme augmenté acquiert ainsi la capacité d’obtenir davantage d’informations de manière facilitée, il est fort peu probable qu’il puisse utiliser ces capacités dans leur intégralité”, note Marc Lordon.
Le gendarme augmenté au tribunal
Quelle sera la responsabilité d’un gendarme “dont les émotions sont contrôlées ou inhibées par un implant quelconque, voire qui ne ressent plus la douleur”, s’interroge Marc Lordon ? Un gendarme augmenté “susceptible de causer beaucoup de dégâts”, qui, “désensibilisé, ne réalise pas totalement la portée de ses actes”, pourrait avoir comme conséquence un élargissement de la responsabilité de l’Etat. De même, des gendarmes pourraient également se retourner contre l’Etat:
“L’usage de la pharmacologie, de la chirurgie ou de biotechnologie est fort susceptible d’occasionner des troubles majeurs pour le gendarme augmenté, remarque Marc Lordon. Celui-ci risque en effet de développer certaines addictions aux substances qu’on peut lui donner afin de développer ses capacités ; des effets indésirables peuvent se déclarer sur la vision du fait de lentilles de contact améliorées, sur l’ouïe du fait d’implants auditifs.”
Gabriel Thierry
L’article Une étude détaille les cinq visages du futur gendarme “augmenté” est apparu en premier sur L'Essor.