En reprenant l’enquête sur le meurtre d’un Tunisien dans le Var, le Parquet national antiterroriste (Pnat) s’est saisi pour la première fois d’investigations sur un homicide raciste lié à l’ultradroite. Le Pnat a pris les investigations en main car le suspect, auteur de vidéos racistes avant et après l’homicide, pourrait avoir commis ce meurtre « avec une volonté de troubler l’ordre public par la terreur« . Ce parquet spécialisé n’avait jusque-là traité que de projets d’attentat liés à cette mouvance, laissant à des parquets locaux le traitement d’autres meurtres relevant, selon lui, du droit commun.
Les investigations étaient initialement menées à Draguignan sur le meurtre commis samedi à Puget-sur-Argens (Var) d’Hichem Miraoui, un Tunisien né en 1979. Le mis en cause est l’un des voisins de la victime. Il est actuellement en garde à vue, dans cette enquête confiée à la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) et à la Sous-direction antiterroriste (SDAT). La justice le soupçonne aussi d’avoir blessé un Turc samedi. Selon une source proche du dossier, le suspect s’appelle Christophe B. et serait né en 1971.
Le Parquet national antiterroriste n’avait traité que des projets d’actions violentes jusqu’ici
Jusqu’ici, s’agissant de l’extrême droite, le Pnat, créé en juillet 2019, s’était surtout saisi de projets d‘actions violentes, de la part d’individus isolés mais aussi de plusieurs groupuscules d’ultradroite, comme les Barjols, qui auraient notamment visé Emmanuel Macron et dont le dossier vient d’être renvoyé à un juge d’instruction.
L’Action des forces opérationnelles (AFO), soupçonnée de projets terroristes anti-musulmans, a aussi fait l’objet d’une enquête du Pnat. Le procès doit débuter le mardi 10 juin à Paris. Plus anciennement, la justice a condamné fin 2021 à des peines allant jusqu’à neuf ans d’emprisonnement six membres de l' »Organisation des armées sociales », dont sa principale figure Logan Nisin.
Les parquets locaux jusqu’ici chargés des violences ou meurtres d’extrême droite
Le Pnat avait en revanche systématiquement laissé aux parquets locaux des dossiers de violences, voire de meurtres, pouvant être imputés à une idéologie d’extrême droite, s’attirant des critiques, comme le rappelle le journaliste Paul Conge dans le livre « Les tueurs d’extrême droite » (Editions du Rocher), paru ce mercredi.
Ce fut par exemple le cas en 2019 avec l’attaque de la mosquée de Bayonne sur fond de racisme anti-musulman par un octogénaire, décédé depuis, Claude Sinké, ancien candidat du Front national. L’avocat de deux septuagénaires blessés avait dénoncé l’acte comme terroriste. Pourtant, le Pnat ne s’était pas saisi, notamment parce qu’une expertise avait établi une altération partielle du discernement du suspect.
Le parquet antiterroriste ne s’était pas non plus saisi du meurtre en décembre 2022 de trois Kurdes à Paris. Le mis en cause, William Malet, a reconnu en interrogatoire avoir voulu « faire un attentat », avant de nuancer ses propos et confesser « des fantasmes sadiques » couplés à une envie de se suicider. Le Pnat avait expliqué à l’AFP que Malet n’avait pas « conçu et perpétré » son acte dans le but « de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur », éléments décisifs pour qualifier juridiquement une action comme terroriste, « même s’il a de fait suscité un tel trouble ».
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Fin avril, la famille d’un jeune Malien, Aboubakar Cissé, assassiné dans une mosquée du Gard avait demandé la saisine de la justice antiterroriste. La procureure de Nîmes avait expliqué que le Pnat ne s’était « à ce stade » pas saisi, le suspect, Oliver Hadzovic, un Français de 20 ans, ayant agi « dans un contexte isolé, sans revendication idéologique ou lien avec une organisation ». Mais aussi parce qu’il présentait un profil potentiellement « schizophrène ».
L’homme prête « prête allégeance au drapeau français »
Dans l’affaire de Puget-sur-Argens, le procureur de Draguignan avait initialement expliqué que Christophe B., « de nationalité française » et adepte du tir sportif, avait « diffusé, avant et après son passage à l’acte, deux vidéos (…) au contenu raciste et haineux ». Selon une source proche du dossier, « la portée que le mis en cause a lui-même entendu donner à son acte va au-delà de l’action individuelle commise, avec une volonté de troubler l’ordre public par la terreur ».
Plusieurs médias ont épluché son profil Facebook, désormais restreint mais sur lequel apparaissaient encore mardi certaines publications anti-islam, insultantes pour Emmanuel Macron ou pro-« Gilets jaunes ».
Dans une vidéo, selon ces médias, Christophe B. assurait « prêter allégeance au drapeau français » et appelait les Français à « tirer » sur les personnes d’origine étrangère.
Par Guillaume DAUDIN (AFP)