Entrave aux secours des blessés, usage "disproportionné" des armes par les forces de l'ordre… Un rapport publié lundi 10 juillet 2023 par la Ligue des droits de l'Homme (LDH) relève la responsabilité de l'Etat lors de la violente manifestation du 25 mars à Sainte-Soline (Deux-Sèvres) contre les méga-bassines.
"Sainte-Soline est très emblématique de la période que nous vivons en matière d'atteinte aux libertés et de répression des mobilisations sociales", a déclaré lundi devant la presse le président de la LDH, Patrick Baudouin. "La volonté politique était claire: la manifestation de Sainte-Soline ne devait pas avoir lieu" et toute personne qui bravait l'interdiction préfectorale "s'exposait à des risques pour son intégrité tant physique que morale", soulignent dans leur rapport plusieurs observatoires des libertés publiques et des pratiques policières, dont la LDH est à l'initiative avec le Syndicat des avocats de France (SAF) et la Fondation Copernic.
Le compte-rendu de 150 pages s'appuie sur le travail de terrain des observateurs présents lors de la mobilisation, théâtre de violents affrontements entre manifestants et forces de l'ordre. Sur place, les observateurs relèvent entre autres l'"usage de GM2L, GENL, ASSD, lanceur Cougar et de LBD, toutes classées comme armes de guerre", précise le rapport.
"La priorité donnée à des enjeux de maintien de l'ordre sur toute autre considération a révélé son absurdité lors des entraves aux secours", assurent les auteurs. "La responsabilité des pouvoirs publics et notamment de l'Etat, est manifestement engagée du fait de l'absence d'anticipation, puis de la volonté délibérée de ne pas porter secours au plus vite, cela en plus des responsabilités pénales liées aux conséquences d'une possible non-assistance à personne en danger", ajoutent-ils.
Dans un communiqué, la préfète des Deux-Sèvres Emmanuelle Dubée a dit qu'elle prendrait connaissance dans le détail du rapport mais "réfute à nouveau les accusations sur une prétendue entrave délibérée aux secours".
"Usage disproportionné"
La manifestation avait rassemblé de 6.000 à 8.000 personnes selon les autorités, 30.000 d'après les organisateurs. Ces derniers ont fait état de 200 blessés, dont 40 graves, côté manifestants. D'après les chiffres officiels, 5.015 grenades lacrymogènes ont été tirées, soit environ une par seconde. La Gendarmerie a eu recours aussi à 89 grenades de désencerclement de type GENL, 40 dispositifs déflagrants ASSR et 81 tirs de LBD.
Dans deux rapports, préfecture et Gendarmerie ont défendu une riposte ciblée et proportionnée face à 800 à 1.000 manifestants présentés comme "radicaux". Les observateurs dénoncent au contraire les "nombreuses blessures causées par l'usage disproportionné et à plusieurs reprises non nécessaire des armes" par les forces de l'ordre.
Parmi les blessés, côté manifestants, deux hommes, Serge D. et Mickaël B., grièvement blessés lors d'affrontements avec les forces de l'ordre, ont passé plusieurs semaines dans le coma. Le délai de prise en charge de Serge D. à Sainte-Soline est dénoncé par les organisateurs et des observateurs pour qui les autorités ont entravé l'intervention des secours. "Ces derniers se sont rendus auprès du blessé et n'ont pu confirmer le diagnostic que 46 minutes après le premier appel aux secours", souligne le rapport. Les autorités justifient le délai d'intervention des secours par la nécessité, pour les gendarmes, d'assurer leur sécurité.
"Réécriture alarmante"
Par ailleurs, les auteurs du rapport affirment que la zone a été le théâtre d'un "déploiement massif de moyens de surveillance, comprenant des mesures de renseignements prises à l'encontre de personnalités du mouvement opposées aux méga-bassines et de certains élus".
Ils déplorent aussi la communication officielle sur le déroulé de la manifestation, alimentée par une "rhétorique guerrière et fallacieuse, alimentée par le ministère de l'Intérieur". Ou encore les "déclarations hâtives" de Gérald Darmanin qui ont contribué "à la divulgation de fausses informations" et constitue une "réécriture alarmante des événements".
M. Darmanin avait déclaré en conférence de presse le 27 mars –deux jours après la manifestation– qu'aucune arme de guerre n'avait été utilisée et que les gendarmes n'avaient pas fait usage de LBD en quad. Une version contredite par la publication d'une vidéo montrant les gendarmes poursuivit par des personnes visiblement équipées, entre autres, de protection et barres de fer, et lançant des projectiles dans leur direction. Durant le repli des gendarmes, on voit l'un des militaires, passager d'un quad, procéder à un tir de LBD. Par la suite, l'enquête de l'Inspection générale de la Gendarmerie nationale (IGGN) avait conclu à un acte de légitime défense de la part du gendarme, précisant dans son rapport que les militaires étaient dans une situation de "péril avéré" et dans "une nécessité absolue de se défendre".
Tirs de LBD depuis un quad à Sainte-Soline: pour l’IGGN, les gendarmes ont agi en légitime défense
"Partout en France, (…) on assiste à un nombre croissant d'arrêtés d'interdiction de manifestation, à une répression tant policière que judiciaire des manifestants et à de nombreux cas de blessés en manifestation", déplore le rapport de la LDH. Quelques heures après la publication de ce rapport, l'association a poursuivi son propos dans un tweet, en dénonçant une "logique liberticide et autoritaire de criminalisation et de répression des mobilisations sociales", dans laquelle "persiste" le Gouvernement depuis les événements de Sainte-Soline.
Mi-juin, le gouvernement a annoncé la dissolution du mouvement des Soulèvements de la Terre (SLT), l'un des organisateurs avec le collectif "Bassines non merci" et la Confédération paysanne.
(Rédaction de L'Essor, avec l'AFP)