<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> L’Affaire Flactif : jalousie mortelle en Haute-Savoie

Photo : Xavier Flactif, Graziella Ortolano et leurs trois enfants disparaissent mystérieusement de leur chalet du Grand-Bornand en Haute-Savoie. Les gendarmes sont chargés de l'enquête.

Temps de lecture : 16 minutes

L’Affaire Flactif : jalousie mortelle en Haute-Savoie

par | Affaire Flactif : jalousie mortelle en Haute-Savoie, Société

Par Gabriel Thierry • Illustration DIAMATITA   Le samedi 12 avril 2003, le taxi de Mario s’arrête devant un luxueux chalet de trois étages, au Chinaillon. C’est une jolie petite station de ski familiale du Grand-Bornand, en Haute-Savoie. Nichée entre Genève et le Mont-Blanc, le petit village est bordé par le massif des Aravis. Pour […]

Par Gabriel Thierry • Illustration DIAMATITA

 

Le samedi 12 avril 2003, le taxi de Mario s’arrête devant un luxueux chalet de trois étages, au Chinaillon. C’est une jolie petite station de ski familiale du Grand-Bornand, en Haute-Savoie. Nichée entre Genève et le Mont-Blanc, le petit village est bordé par le massif des Aravis. Pour l’adolescent de 14   ans, la fin de ce long voyage commencé dans le Nord s’ouvre sur quelques jours de vacances en famille. Il vient rejoindre sa mère, Graziella Ortolano, 36 ans, et son beau-père, Xavier Flactif, qui vient de dépasser la quarantaine.

Mais, ce samedi, il y a quelque chose de bizarre. Les volets du chalet où vit depuis quatre ans ce couple originaire du Nord-Pas-de-Calais sont fermés. Et personne ne répond aux coups de sonnette et aux appels téléphoniques de Mario. Encore plus étrange, l’un des véhicules des Flactif, un 4×4 Toyota Land Cruiser rouge, n’est pas garé comme d’habitude devant le garage. Comme l’explique la journaliste Christine Kelly dans son livre L’Affaire Flactif (Ed. Calmann-Lévy), l’adolescent, dépité, erre dans le village de montagne. Il est d’abord secouru par une amie de la famille, Christine, qui tente de trouver sa mère et ses frères et sœurs. En vain.

Où sont donc passés les Flactif ? Les trois enfants du couple, Grégory, 7 ans, Laetitia, 9   ans, et Sarah, 10 ans, n’ont pas été vus ce samedi matin à l’école. En fait, le dernier à avoir croisé la famille est un certain David Hotyat, un locataire qui donnait également des coups de main à Xavier. Il serait passé la veille vers 18 h 30.

Ce samedi soir, Christine, l’amie qui a recueilli Mario, décide d’aller faire un tour avec un autre ami, Patrick, dans le chalet familial.

Il n’y a personne. Tout est d’ailleurs trop bien rangé, contrairement à l’habitude – seules les chambres des enfants sont en désordre. Il n’y a aucun signe d’effraction sur les portes ou les fenêtres, ni trace de lutte à l’intérieur du chalet. Le réfrigérateur de la cuisine est plein, tandis que deux marmites bien remplies ont été laissées sur les feux éteints. Pas le genre de chose que l’on fait quand on se prépare à partir.

Et les proches imaginent mal la mère de famille oubliant l’arrivée de son fils Mario. « Jamais elle n’aurait laissé tomber son enfant pour partir à l’improviste, il est sûrement arrivé quelque chose de grave  », notent-ils dans Le Figaro.

Alertés le dimanche, les gendarmes s’inquiètent tout d’abord d’un accident de la route. Mais le lundi 14 avril, il faut se rendre à l’évidence : il n’y a toujours aucune trace des disparus. Les gendarmes locaux vont d’abord jeter un coup d’œil au chalet dans l’après-midi. Puis l’Arme déclenche les grands moyens pour retrouver les Flactif. Comme le rappelle Le Figaro, quasiment tous les gendarmes du département, dirigés par un certain lieutenant-colonel Christian Rodriguez – aujourd’hui le patron de l’Arme –, sont mobilisés pour retrouver le 4×4 rouge.

Deux marmites bien remplies ont été laissées sur les feux éteints. Pas le genre de chose que l'on fait quand on se prépare à partir.

Montrer la capacité des gendarmes à gérer des affaires complexes

Quatre ans après l’affaire Godard – cette disparition mystérieuse d’un médecin normand, de son épouse et de leurs deux enfants –, les militaires ne veulent pas se trouver confrontés à une nouvelle énigme criminelle. Le dossier est confié aux gendarmes de la section de recherches de Chambéry, saisis le 16 avril.

L’affaire qui va marquer l’unité commandée par le colonel Thierry Bourret est confiée à Thierry Dupin. Le premier sera le directeur des opérations, le second le directeur d’enquête. Quatre groupes rassemblent en tout dix-huit enquêteurs.

Bien plus tard, le général (2S) Jacques Hébrard dira à L’Essor que ce dossier est l’antithèse de l’affaire Grégory. Soit la preuve que la Gendarmerie a tiré tous les enseignements de cet échec judiciaire et « montré sa capacité à gérer des affaires complexes ».

Le 17 avril, les gendarmes s’installent dans le grand chalet familial – environ 350 mètres carrés au sol, sur plusieurs niveaux. L’un des militaires s’étonne  : il y a des microtraces de sang, et on retrouve l’éclat d’une dent. Il faut faire appel aux experts de l’Institut de recherche criminelle de la Gendarmerie nationale (IRCGN), qui arrivent le lendemain 
en Haute-Savoie. Leur moisson va être décisive. 
En trois jours, ils vont constituer près de 300 scellés – soit, en tout, 367 prélèvements scientifiques – dans le chalet des Flactif.

Parmi les experts, Philippe Esperança.

A l’époque, le gendarme, entré dans l’Arme en 1992, est le spécialiste français de l’analyse des traces de sang. C’est d’ailleurs lui qui va créer les services d’entomologie médico-légale et de morphoanalyse à Rosny-sous-Bois. Il quittera ensuite l’Arme pour devenir, en 2008, le responsable criminalistique de l’Institut génétique Nantes-Atlantique, avant de se mettre à son compte comme formateur et expert criminalistique. 
Avec ce spécialiste dans leur manche, 
les gendarmes bénéficient d’un sacré atout. Comme il l’explique aux Amis de la Gendarmerie, le chalet des Flactif est parfaitement propre et rangé à son arrivée.

Il dégaine un produit devenu un classique des scènes de crime, le Bluestar.

Ce révélateur, à l’origine mis au point pour aider les chasseurs à localiser des bêtes blessées, permet d’identifier des traces de sang, qui restent visibles même après un nettoyage soigneux. « Il ne m’a pas fallu longtemps pour avoir la certitude que le petit salon du chalet avait fait l’objet d’un nettoyage. Je voyais nettement les traces de sang laissées sur le sol par une éponge d’une quinzaine de centimètres de largeur», raconte Philippe Esperança. Visiblement, les traces ont été soigneusement nettoyées, la preuve qu’il ne s’agit pas d’un accident. Les découvertes des militaires sont macabres.

En fait, il y a des traces de sang un peu partout dans le magnifique chalet des Flactif.

Céline Nicloux, l’une des expertes de l’IRCGN, racontera plus tard cette séquence au quotidien Sud-Ouest. La morpho-analyse et la détection de traces prennent plusieurs jours aux gendarmes, signe de l’ampleur du travail. Ils commencent par le garage. Bingo, ils obtiennent de premiers résultats. A l’étage suivant, la tapisserie est éclaboussée par de petites projections de sang. On trouve ensuite des marques sur le sol et dans l’escalier. Dans la cuisine et le salon, les sols et murs deviennent bleus. Un enquêteur n’est pas loin de vomir d’horreur, signale Libération. Et, dans l’une des chambres des enfants, une sorte de silhouette enfantine se révèle sur le béton, en dessous d’un rectangle de moquette manquant dissimulé par un tapis.

« Là, on a ralenti, confie à Sud-Ouest, émue, Céline Nicloux. La silhouette sur le sol, ça faisait beaucoup. »

Ces traces permettent aux gendarmes de comprendre où chaque membre de la famille est mort, et dans quel ordre. Visiblement, on a traîné des corps d’une pièce à une autre. On retrouve également une douille de calibre 6,35 mm. Et une sixième trace ADN, outre les empreintes génétiques des cinq victimes.

Les gendarmes arrêtent de chercher la famille aux quatre coins du département. Il est désormais clair qu’il s’agit d’une affaire criminelle et non d’une envie subite de voir si l’herbe est plus verte ailleurs. Les Flactif ont vraisemblablement été tués par un ou plusieurs individus, dont l’un aurait été blessé durant le massacre. Autant d’éléments inquiétants, qui incitent le procureur d’Annecy, Denis Robert-Charrerau, à ouvrir une information judiciaire pour enlèvements et séquestrations, dix jours après la disparition de la famille.

Les experts de l'IRCGN comprennent vite que le chalet a été le huis-clos d'un massacre sordide.

Xavier Flactif, un promoteur ambitieux

Alors qu’ils passent au peigne fin le chalet, les gendarmes s’intéressent également aux comptes bancaires des Flactif. Il s’agit au départ de voir s’il y a une activité sur les comptes, une manière de retrouver les disparus. La tâche n’est pas aussi simple qu’elle paraît, et va révéler une facette inattendue des victimes : la famille ne possède pas moins de 71 comptes, dont 24 en Belgique !

Car Xavier Flactif fait des affaires, de très nombreuses affaires. Avec sa femme d’origine italienne, ce promoteur immobilier, également actif dans le rachat de crédits, s’est spécialisé dans la construction de chalets. Une activité qui lui a valu des inimitiés dans le village. Ses détracteurs estiment qu’il est à l’origine de la flambée du prix des terrains. On dit aussi de lui qu’il est mauvais payeur et que ses chalets de luxe, vendus plus de 600  000 euros, souffrent de malfaçons. Selon Le Monde, le promoteur aurait acquis une vingtaine de terrains dans la commune, en proposant « des sommes astronomiques », rapporte une retraitée.

Les gendarmes découvrent des montages financiers obscurs et des pratiques douteuses. Ils remarquent également que l’homme d’affaires a été interdit de gestion – c’est sa femme qui avait la gérance légale des sociétés civiles immobilières. Et qu’il était visé par une enquête de la police judiciaire d’Annecy.

Dans le Pas-de-Calais, les langues se délient auprès de la presse. Des habitants racontent comment ils ont été trompés par ce promoteur qui habitait entre Arras et Doullens. Il y a même une association, la Dague (Défense association des gens usurpés et escroqués, un titre évocateur), qui a Xavier Flactif en ligne de mire.

« Il nous a reçus dans un café d’Arras  » pour proposer «  un petit investissement dans le Pas-de-Calais », raconte au Figaro une investisseuse. A ses interlocuteurs, Xavier Flactif propose, explique alors le quotidien national, des investissements immobiliers censés être couverts à 100  % par les futurs loyers encaissés par son agence immobilière. « Jamais nous n’avons été appelés par un notaire ou une banque, il nous présentait des papiers signés », poursuit cette nordiste qui a acheté trois maisons. Mais son affaire n’est pas aussi bonne que prévu : à cause de malfaçons,

la valeur des constructions ne représente que la moitié du coût d’achat, tandis qu’il faut bien payer des impôts et autres échéances financières.

Lourdement endetté – à hauteur de 2,7 millions d’euros –, Xavier Flactif inquiète également les élus de Manigod, à une quinzaine de kilomètres du Grand-Bornand. Comme le rappelle Le Figaro, le dernier projet immobilier du promoteur les laisse perplexes. L’entrepreneur veut construire huit petits immeubles et trois chalets de luxe au col de la Croix-Fry. Alors qu’ils exigent des garanties financières, ils tiquent sur le montant du capital de la société civile immobilière, doté seulement de 1000 euros. Un montant jugé ridicule pour « un projet aussi démesuré », qui doit être financé, avant la construction, par la vente des 142 appartements.

Résultat  : la Mairie, avertie des démêlés passés du promoteur avec le fisc, refuse, en janvier 2003, de donner le permis de construire. Une décision attaquée à Grenoble, au tribunal administratif, par les Flactif – ces derniers ont même déposé un référé suspension le 11 avril, la veille de leur disparition. Cette déroute immobilière a-t-elle un rapport avec la disparition de la famille  ?

 

Des locataires particulièrement vindicatifs

Les médias s’intéressent d’autant plus aux affaires des Flactif qu’ils ont « de bons clients » à ce sujet. David Hotyat, la dernière personne à avoir vu les Flactif, et sa femme, Alexandra Lefèvre, sont en effet particulièrement volubiles. Ce 30 avril, le couple, parents de deux enfants, reçoit un journaliste de l’émission d’enquête Sept à huit diffusée sur la chaîne TF1. «  On entend des trucs  ! Vous pouvez pas savoir », confie aux caméras Alexandra, avant de lister quelques-unes des rumeurs qui circuleraient dans le village. Xavier Flactif se serait enfui dans les îles pour échapper à ses créanciers…

Mais, rapidement, la conversation dérive.

Le promoteur, qui est aussi leur bailleur, les balade de chalet en chalet, se plaignent-ils.

Il serait également autoritaire et malhonnête. « C’est un con, il prend les gens pour ses esclaves. Un agent immobilier d’ici m’a dit qu’il a de la chance de n’être jamais tombé sur un Corse, car il serait au fond de la mer avec une pierre autour du cou à cette heure-ci », assène Alexandra. « C’est un arnaqueur, tous les gens se sont fait baiser la gueule », résume crûment David.

Des propos qui suggèrent que l’entrepreneur, criblé de dettes, aurait pris la fuite. Mais n’est-ce pas une description très à charge ? Elevé dans les environs de Lens dans une famille modeste, Xavier Flactif déborde effectivement d’énergie. Un vendeur « hors pair », raconteront ses proches au Figaro, qui vivait « à cent à l’heure » et qui aurait réussi à « faire passer un sac de farine pour un sac de charbon ».

Le jeune homme, au départ métreur, est incontestablement doué pour les affaires.

Au Grand-Bornand, il sait tendre l’oreille pour dénicher des terrains à vendre. Ceux qu’il achète en faisant monter les enchères deviennent ensuite des chalets vendus à prix d’or. Ce qui lui permet de faire fortune. De très bonnes affaires, qui sont le résultat du travail intense de ce « bosseur acharné », comme le décrit Le Parisien, qui se lève aux aurores et se couche tôt.

Certes, Xavier Flactif flirte régulièrement avec la ligne jaune, comme en témoigne, par exemple, ce renvoi en 2000 devant le tribunal correctionnel de Béthune pour abus de biens sociaux. Mais le procès se soldera par une relaxe. Quant à son interdiction de gestion, elle a finalement été levée en décembre 2002, après l’apurement de ses dettes. En clair, Xavier Flactif est peut-être parfois trop borderline, mais il n’y a pas forcément de malice. Et, comme le raconte Christine Kelly, quand il a des difficultés financières, par exemple lorsqu’il n’arrive plus à rembourser cette facture d’environ 7 600 euros à un carreleur, il finit tout de même par acquitter ses dettes. « C’est là que j’ai vu que c’était finalement un homme de parole », confie le carreleur.

Si Xavier Flactif ne payait pas d’autres artisans, observe-t-il, c’est aussi parce que le travail n’avait pas été fait ou mal fait. D’ailleurs, poursuit-il, le promoteur paie parfois d’avance, parfois même à ses dépens.

Cet homme affable, qualifié de généreux, sait en fait retourner en quelques mots les situations les plus tendues, avant d’inviter à boire le verre de l’amitié ou à déjeuner au restaurant. Sa réussite est donc indéniable.

Ce qui suscite des jalousies, voire du racisme : certains regardent d’un drôle d’œil ce métis – son père est tchadien – faire fortune.

Mais l’homme ne prête pas vraiment attention aux mécontents. Et il ne se rend pas compte que certains problèmes lui valent une hostilité qui confine à la haine.

En avril 2002, un an avant le quintuple meurtre, l'un des chalets de Xavier Flactif est incendié. Qui en veut au promoteur ?

Les incohérences de David Hotyat

Les gendarmes s’intéressent d’ailleurs de près à David Hotyat, le témoin médisant de Sept à huit. La piste de trois artisans locaux ayant été écartée, un jeune enquêteur pousse les investigations dans cette direction. David Hotyat a un comportement suspect.

Il observe régulièrement les investigations des gendarmes depuis une colline située en face du chalet. C’est aussi, on l’a déjà dit, le dernier homme à avoir vu la famille. Son audition, menée une semaine après la disparition, ne semble pas très cohérente.

Il explique avoir vu Xavier Flactif au volant de son 4×4 avec sa compagne, quand les autres témoins parlent de deux voitures différentes.

Ce soir-là, vers 20  h  30, il s’est étonnamment fait passer pour le propriétaire auprès des nouveaux locataires de l’un des chalets gérés par les Flactif. « Il avait l’air parfaitement normal, il était souriant et avait l’apparence d’un homme sympathique », se souviendra le touriste.

David Hotyat explique enfin aux gendarmes qu’il vient de passer un nouveau contrat de location d’un chalet avec le promoteur disparu. Ce qui explique son déménagement, un peu plus tard, au Cortinaire, l’autre partie du chalet devant être louée à son ami Stéphane Haremza.

A peine un mois après la disparition de la famille, David Hotyat est mis sur écoute et placé sous surveillance. Et il y a des choses intéressantes à entendre. A la mi-juillet, sa femme, après une dispute, le menace au téléphone d’appeler « les flics » et de tout dire. Un mois plus tard, elle glisse un lourd sous-entendu : « Avec ce qui s’est passé en avril, notre vie pourrait être foutue en l’air d’un seul coup. »

Cela fait en réalité plusieurs semaines que les gendarmes savent qu’ils sont sur la bonne piste. Le 14 Juillet, le résultat des analyses génétiques – en tout, il y a eu environ 130 prélèvements – tombe : ce sixième ADN, relevé dans 22 endroits distincts du chalet, c’est celui de David Hotyat  !

Mais, patiemment, les gendarmes vont attendre la mi-septembre pour arrêter le suspect, le temps de bien comprendre tous les aspects du quintuple crime. Car les militaires, comme le raconte Jacques Hébrard, sont convaincus que le massacre n’a pas pu être effectué par une seule personne. Le tueur a peut-être bénéficié de complicités, par exemple pour faire place nette. Il aurait en effet fallu des heures, comme le relève Libération, pour nettoyer toutes les pièces du grand chalet.

David Hotyat est un mécanicien, plutôt beau gosse, note la presse, qui approche de la trentaine. Mais ce gaillard costaud a comme des airs de reflet raté de Xavier Flactif. Comme ce dernier, il est originaire du Pas-de-Calais. Comme ce dernier, il vient d’arriver au Grand-Bornand, au début de l’automne 2001. Mais les similitudes s’arrêtent là. Alors que Xavier Flactif réussit dans les affaires, David Hotyat devient de plus en plus vindicatif au fil de sa vie professionnelle, qui se solde par des renvois ou des démissions.

C’est simple, il ne supporte pas la moindre critique et n’hésite pas à faire le coup de poing. L’ancien volontaire de la Forpronu en ex-Yougoslavie est, comme le rappelle Le Figaro, « intolérant à la moindre frustration ». Ce fan de tuning finit ainsi par se faire mettre à la porte de son entreprise, Sevelnord, lorsque sa direction découvre qu’il se gare sur une place handicapée avec une carte falsifiée et vole des sandwichs au distributeur…

Une voisine, une octogénaire, raconte également comment le mécanicien l’a frappée par-dessus la clôture, sous les rires de sa compagne, à la suite d’une simple remarque sur la limite entre les deux propriétés.

« Que cela plaise ou que cela déplaise, je considère que c’est moi qui ai été une victime », osera-t-il dire plus tard. David Hotyat ressemble de plus en plus à une brute épaisse qui multiplie cambriolages, vols de voiture et de carburant, pour dépenser le moins possible.

 

David et Alexandra, unis dans la haine

Pour le grand malheur des Flactif, David, sa femme et leurs enfants déménagent dans l’Ain. La famille tombe alors sur l’une des annonces immobilières du promoteur. Ils sont séduits. Mais le chalet à louer est encore en construction, leur explique Xavier Flactif, il ne sera pas disponible avant début décembre.

En attendant, il leur propose d’occuper temporairement un autre chalet, le Cortinaire. Le ver est dans le fruit. D’un côté, Xavier Flactif est mal avisé de mettre en location un logement qui n’est pas encore disponible.

De l’autre, la famille de David Hotyat s’intéresse à une location qui est bien au-dessus de ses moyens. Il leur faudra d’ailleurs tricher avec la Caf pour payer le loyer. La mère de famille prétend ainsi qu’elle vit seule avec ses deux enfants, pour toucher davantage d’allocations.

Les travaux dans le chalet qui doit être loué prennent du retard, tandis que celui occupé doit être libéré pour des touristes. Cela oblige la famille et leur ami Stéphane Haremza à déménager à l’hôtel. C’est David qui a pistonné ce dernier pour venir travailler avec lui en Haute-Savoie. Il vit avec eux en attendant de faire venir sa propre famille. Si le couple se plaint amèrement du déménagement à l’hôtel, le promoteur respecte bien ses obligations   : c’est lui qui règle la note. Mais la situation de la famille Hotyat reste bancale, ballottés de chalet en chalet à cinq reprises au total.

La haine grandit donc chez David et Alexandra contre « le négro », le surnom raciste donné à leur bailleur.

Le premier envie les voitures de luxe de Xavier Flactif, la seconde n’en peut plus de déménager sans cesse et tente de monter des clients contre le promoteur.

Pourtant, étonnamment, ces locataires déçus ne font pas l’effort d’aller chercher un autre logement qui soit disponible et corresponde plus à leurs moyens. Il existe pourtant des appartements libres !

Un premier incident a lieu en avril 2002, un an avant le quintuple meurtre. Un des chalets de Xavier Flactif est incendié. On le saura plus tard, l’incendiaire est David Hotyat, aidé de son ami Stéphane Haremza. Après une première tentative infructueuse, ils ont aspergé d’essence le salon du chalet visé.

L’acte de malveillance montre déjà l’ampleur de la jalousie qui ronge David Hotyat.

Il ne faut décidément pas grand-chose pour enclencher la mécanique macabre. En ce début d’année, David Hotyat découvre à la télé l’affaire Stranieri. Ce criminel, condamné en février 2003 à la réclusion criminelle à perpétuité, est surnommé « le tueur aux petites annonces ». Son mode opératoire ? Il signe des ventes immobilières avec ses victimes avant de les tuer et de faire croire qu’ils ont pris le large. Ce procédé inspire le mécanicien. Et s’ils pouvaient s’emparer d’un chalet du promoteur, à la faveur d’une fausse vente, le premier scénario envisagé, puis d’un faux bail, en faisant croire à sa fuite ? David Hotyat et Alexandra Lefèvre vont d’ailleurs pousser très loin la technique du coucou. On retrouvera chez eux bon nombre d’objets des disparus, de centaines de DVD emportés au passage à un téléphone portable, en passant par les parfums, les skis ou la chaîne stéréo des enfants.

Après des premiers commérages, les habitants rendent hommage à la famille assassinée. Contrairement aux mis en cause, les Flactif étaient bien insérés dans la vie du village.

Les multiples versions du tueur

Difficile de faire plus sinistre que ce couple.

Au départ, David Hotyat va dire aux gendarmes que, ce soir du 11 avril, il voulait régler ses problèmes avec Xavier Flactif – comprendre, obtenir la location d’un chalet –, une discussion qui aurait abouti au massacre. Il se serait rendu au chalet pour attendre l’arrivée du promoteur. Après une dispute, il l’aurait tué accidentellement. C’est ensuite qu’il aurait abattu les autres membres de la famille, les enfants qui sont en train de prendre leur goûter et la femme de Xavier Flactif, qui se trouve au sous-sol, avant d’aller brûler les corps dans la forêt pour dissimuler les traces du crime. On ne retrouvera quasiment rien des victimes, à part quelques os qui servirontà des prélèvements. Mais les experts réussiront à retrouver une balle dans la forêt.

Alexandra Lefevre ne dira pas exactement la même chose que son mari. Selon elle, David Hotyat lui aurait confié avoir d’abord tué les enfants, puis Graziella et Xavier. C’est aussi la terrifiante chronologie que retiendra le directeur d’enquête. Ses proches expliquent que le mécanicien, armé d’un pistolet de famille, et son ami Stéphane avaient tenté une première tuerie, avortée, deux jours plus tôt. Stéphane, chargé « des enfants », avait finalement renoncé.

Que disent les experts ? Les effusions de sang de Xavier sont compatibles avec un meurtre par arme à feu. Mais celles de son épouse et de deux des trois enfants suggèrent des chocs portés par un objet contondant. Une batte de baseball ou un bâton ? Le pistolet sera retrouvée par les gendarmes dans un cours d’eau du Nord de la France. Le frère de David Hotyat l’avait reçue par la Poste quelques jours après la disparition de la famille, avec une lettre lui demandant de la faire disparaître.

Plus tard, David Hotyat donnera une dernière version des faits à la justice, en brodant un récit rocambolesque. Il accuse deux hommes mystérieux, à l’identité non précisée, d’avoir massacré la famille, en commençant par des coups de couteau contre le promoteur, alors que lui, il voulait simplement discuter « tranquillement » d’un projet immobilier. Avant d’être assommé et de se réveiller face à un homme menaçant. « Ils m’ont mis une certaine peur, je ne peux pas rentrer dans les détails », dira-t-il aux jurés lors de son procès aux assises, en juin 2006. Et de sous-entendre que la vie de sa famille est menacée par ce duo qui l’aurait obligé à faire disparaître les cadavres. Cette version ne tient guère la route. A l’endroit où il est censé avoir été mis KO, on n’a pas retrouvé de sang.

Reste la question des complices. Quel est le rôle exact de sa compagne, Alexandra Lefèvre, de son ami Stéphane Haremza et de son épouse Isabelle  ? Pour les familles des victimes, Alexandra a joué un rôle clé dans la tuerie.

C’est elle, rongée par la haine, qui aurait poussé David toujours plus loin, comme quand elle l’avait incité à voler cette Renault 19 qu’elle convoitait.

Au contraire, Alexandra et le couple Haremza vont décrire un David Hotyat menaçant, qui imposait sa loi. « Ils avaient évoqué le projet criminel ensemble, mais très vite, ma cliente n’y a plus adhéré », explique l’avocate de la compagne de Stéphane. Cette dernière avait pourtant indiqué initialement aux gendarmes qu’ils étaient « tous d’accord ». De fait, ils ont tous donné un sérieux coup de main à David, mais à différents moments. Selon l’enquête, Alexandra l’accompagne en voiture quand il va dissimuler le 4×4 de Xavier Flactif dans les bois. Deux jours après la tuerie, c’est Stéphane qui accompagne David pour une nouvelle visite dans le chalet des disparus, embarquant au passage deux ordinateurs portables. Les deux couples se rendent en famille à Genève, avec leurs enfants. David en profite pour déplacer

le 4×4 de Xavier Flactif sur un nouveau parking. Tous sont au courant, mais personne ne dit rien. Le tueur demande également à son ami Stéphane de l’accompagner sur le lieu où il a brûlé les corps, pour vérifier qu’il ne reste pas de traces.

Le bûcher funéraire installé au Roi-du-Mont, à une vingtaine de kilomètres, sera d’ailleurs l’une des preuves clés apportées par les gendarmes. Leurs expertises vont montrer que ce genre de crémation complète impose la préparation d’un important bûcher, d’environ cinq stères, qui a sans doute duré deux jours.

Ce qui implique donc une préméditation du crime. Le feu n’a donc certainement pas été alimenté avec seulement du linge de maison et des papiers dérobés chez les Flactif…

Le 30 juin 2006, David Hotyat est condamné à la réclusion criminelle à perpétuité assortie d’une peine de sûreté de 22 ans. Stéphane Haremza écope de 15 ans pour sa complicité. Alexandra Lefèvre de 10 ans de prison pour association de malfaiteurs et dissimulation de crime. Et Isabelle Haremza de sept ans pour association de malfaiteurs. David Hotyat fait appel, avant de se désister in extremis.

Un épilogue éprouvant pour les parties civiles, qui doivent se contenter des explications alambiquées du principal accusé. Une séquence de l’audience avait d’ailleurs marqué le premier procès. Mario, l’adolescent qui avait trouvé porte close le lendemain de la tuerie, avait demandé si l’accusé, son beau-père, donc, pouvait réussir à le regarder dans les yeux. Comme le rapporte Libération, David Hotyat n’y était pas parvenu.

Registre :

La Lettre Conflits

La newsletter de l’Essor de la Gendarmerie

Voir aussi