C'est un des aléas de la privatisation. Outre la perte de contrôle sur une partie de l'organisation, l'événement international sur les questions de cybersécurité, créé par la Gendarmerie nationale en 2007 avec le soutien de la région des Hauts-de-France, semble, en l'état, avoir du plomb dans l'aile. Après un timide arbitrage gouvernemental, les services de l'Etat ne participeront finalement pas à la quinzième édition du Forum international de la cybersécurité (FIC) de Lille.
La décision tombe à seulement quelques jours de l'ouverture de cet événement, qui faisait jusqu'à présent office de salon-phare du secteur de la cybersécurité. Il doit se tenir à Lille, du 5 au 7 avril 2023. Raison de cette prise de distance radicale? La révélation de pratiques d'influence douteuses de son co-organisateur, le cabinet de conseil Avisa Partners. L'entreprise avait racheté en 2020 CEIS, le partenaire historique des gendarmes pour l'organisation de ce salon depuis 2013.
Pas d’arbitrage de Matignon sur le FIC
Pas de stands, mais des interventions maintenues
Plus précisément, le ministère de l'Intérieur a décidé que les services de l'Etat –ministères, Gendarmerie, Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI)– ne tiendraient pas de stand et que, contrairement à la tradition, aucun ministre ne serait présent. Une information relayée par l'Agence France Presse, qui confirme les informations données par La Lettre A et Mediapart. Ce qui n'empêchera toutefois pas la Gendarmerie (comme d'autres institutions) de participer à l'événement en tant qu'intervenant. D'autant que l'Arme reste à ce jour propriétaire de la marque "FIC" et associée à son organisation.
En clair, l'Etat ne devrait apporter aucune participation financière à l'événement, comme cela se fait lorsqu'une entité publique loue un stand sur l'événement pour y présenter son savoir-faire, ses moyens et ses missions, voire tenter de recruter quelques talents au passage. En début d'année, le ministère des Armées, précurseur, avait déjà annoncé ne pas prendre de stand pour l'édition 2023 du FIC. Il évoquait alors des questions financière face à une hausse des dépenses en période de forte inflation. Mais derrière cet argument financier, se cachait bien évidemment celui de la réputation.
Questions de réputation
La décision de non-participation des services de l'Etat s'explique en effet par des craintes et des "questions de réputation" après la révélation par la presse d'interventions d'Avisa Partners sur des pages Wikipedia ou pour avoir, sous de fausses identités, publié des avis sur des espaces de discussions de lecteurs sur des sites de médias, dont celui de Mediapart. Ces méthodes d'influence ont été menées pour défendre la réputation de pays étrangers ou de grandes entreprises, selon une enquête de Mediapart publiée en août 2022.
Dans la foulée de ces révélations, l'encyclopédie en ligne Wikipedia avait décidé du "bannissement à vie d'Avisa Partners", lui interdisant toute intervention sur ses pages. Selon elle, cela fait "suite aux nombreuses manipulations de l'encyclopédie par Avisa Partners, qui n'est toutefois pas la seule dans son secteur à se livrer à ces abus". "Pendant plusieurs années, les personnes payées par Avisa Partners ont modifié des articles pour servir les intérêts de leur clientèle, sans respecter l'obligation de transparence qui s'applique aux contributions rémunérées", avait dénoncé Wikipédia.
Selon Mediapart, le cabinet était aussi dans le viseur des services de renseignement français pour ses méthodes et ses relations à l'étranger, couplé à ses activités dans des secteurs sensibles de la cybersécurité. Guillaume Tissier, directeur du FIC et associé chez Avisa, s'est défendu de toute pratique illicite. "Avisa a des pratiques légales et légitimes et ce sont celles de la plupart des agences de communication", dont "des tribunes signées par des experts qui les endossent", a-t-il répondu à l'AFP, soulignant que son cabinet "n'a jamais eu aucune poursuite" contre lui. Quant au choix de la non-participation des services de l'Etat au FIC, il a dénoncé "une décision politique, des ministères craignant que certains médias militants ne les prennent à parti".
À défaut de la présence d'un ministre comme le veut la tradition, le FIC débutera cette année par une allocution du commissaire européen au Marché intérieur Thierry Breton. Le salon, qui ouvrira ses portes à Lille, au moment même où la municipalité subit une cyberattaque, accueillera une cinquantaine de délégations internationales, avec la participation attendue de 15.000 personnes et 650 partenaires.