Eddy et Anne-Laure n’ont pas voulu faire les choses à moitié pour leur mariage, ce samedi 26 août 2017. Les deux futurs époux ont prévu 180 invités au repas, et quasiment 300 en tout pour l’apéritif. Pour l’occasion, ils ont réquisitionné la salle polyvalente de Pont-de-Beauvoisin, dans l’Isère. Et pour que la fête reste inoubliable, ils ont embauché un DJ et une baby-sitter, permettant aux parents de profiter, eux aussi, des festivités.
La soirée du mariage
Cinq ans plus tard, on se souvient encore de ce mariage. Mais pour des raisons dramatiques. Ce soir-là, la petite Maëlys, 8 ans, la fille de la cousine d’Eddy, Jennifer, disparaît. Les gendarmes, chargés de l’affaire, ne retrouvent le corps de la fillette que six mois plus tard, dans la forêt, près de la cascade de la Pissoire, près du mont Grêle, en Savoie, à une dizaine de kilomètres de la salle des fêtes.
On ne saura la vérité que bien des mois plus tard. Maëlys a été victime d’un tueur sans pitié qui n’en était pas à son premier forfait. Mais ce dimanche matin, on est encore loin d’imaginer ce scénario de film d’horreur. Cependant, la disparition de la fillette, signalée vers 3 h du matin, est tout de suite prise très au sérieux.
Le DJ vient de lancer "Cotton Eye Jo", ce morceau que Maëlys adore tant ! Mais pourquoi n’est-elle pas sur la piste de danse ? Les invités se mettent tous à rechercher l’enfant. Maëlys dort peut-être sous une table. Ou peut-être est-elle déjà partie avec ses grands-parents ? Ou dehors, en train de jouer ? Mais non, la fillette est introuvable, quelque part seule. A quelle heure Maëlys a-t-elle vraiment disparu ?
Un premier appel à témoins lancé le dimanche
Son cousin estime que la fillette s’est éclipsée vers 3 h10 ou 3 h15. Mais d’autres parlent plutôt de 3h ou de 3h30, tandis que ses grands-parents et sa tante indiquent avoir vu l’enfant pour la dernière fois entre 2h30 et 3h. Pour en avoir le cœur net, les enquêteurs interrogent la playlist du DJ. Il est en effet plus facile de se souvenir des chansons où des témoins se souviennent avoir vu danser la fillette que d’une heure précise. Grâce à cette technique astucieuse, ils parviennent à déterminer que l’enfant n’a plus été vue à partir de 2h45. Les gendarmes sont finalement prévenus à 4 heures du matin.
Le dimanche matin, un premier appel à témoins est lancé pour tenter de retrouver la fillette après l’ouverture d’une enquête de flagrance pour enlèvement par le parquet de Bourgoin-Jallieu. Maëlys mesure 1,30 mètre, elle pèse 28 kilos, a les yeux marron, les cheveux et la peau mate. Elle était habillée d’une robe blanche sans manches et portait des nu-pieds blancs. L’enfant doit faire sa rentrée en CM1 dans l’école du petit village du Jura où ses parents, une infirmière et un plombier, ont déménagé deux ans plus tôt. Elle aime promener son chien, nourrir les lapins et faire du sport. C’est une enfant gentille et débrouillarde, rappelle sa grand-mère, qui demande toujours la permission de quitter les lieux.
Une centaine de gendarmes participent aux recherches, aidés par des plongeurs et spéléologues. Ces recherches sont difficiles. Etrangement, les chiens s’arrêtent tous sur le parking. Comme si Maëlys, loin de se perdre dans la forêt, était montée à bord d’un véhicule.
On la voit jouer avec un monsieur qu’elle ne connaît pas
Ce dimanche matin, les gendarmes commencent les premières auditions des invités. L’enjeu est de taille. Il faut déterminer quand exactement l’enfant a disparu. Et établir le déroulé de la soirée pour la retrouver au plus vite. Il faut également comprendre où étaient les uns et les autres. Les enfants étaient ainsi dans la salle à côté de l’entrée, sous la garde de Sarah, la baby-sitter.
Tandis que les adultes faisaient la fête dans la salle principale, à côté, soit attablés, soit en train de danser. Enfin, ceux qui étaient fatigués pouvaient se reposer dans l’ancien internat, pas très loin derrière la salle.
Maëlys s’est bien amusée : elle a participé à tous les jeux. A 1 h du matin, quand Sarah a fini sa prestation de baby-sitting, elle est partie jouer au ballon, toujours à l’intérieur, avec les autres enfants. "C’était une jeune fille qui respectait les consignes", remarque Sarah. Au cours de la soirée, la sœur de Maëlys, Colleen, la voit jouer avec un monsieur qu’elle ne connaît pas, habillé d’un tee-shirt blanc et d’un jean. La grand-mère de Maëlys, Renée, se souvient également d’avoir vu l’enfant pousser des deux mains sur le ventre un adulte. Et, juste avant le dessert, au moment du fromage, la mère de Maëlys remarque, que sa fille parle avec un homme qui lui montre des photos de ses chiens. L’une des passions de l’enfant, qui appelle l’homme "tonton", selon deux témoins, et qui a demandé à sa mère si elle pouvait aller voir les chiens de son nouveau copain.
L'enquête
Très vite, les gendarmes s’interrogent sur le rôle de plusieurs suspects. "Une enquête longue et complexe", se souviendra à la barre de la cour d’assises de l’Isère Olivier Doudet, l’adjudant-chef de la section de recherches de Grenoble nommé directeur d’enquête. Ainsi, toutes les pistes, même les plus farfelues, ont été suivies pour retrouver l’enfant. Les gendarmes ont fait en vain des recherches qui les ont conduits dans la Drôme, à Bordeaux ou à Metz. Des magnétiseurs ont même tenté d’apporter leur concours !
Des informations douteuses sont tout de même réceptionnées par les gendarmes. Mieux vaut tout enregistrer pour éviter ensuite la critique d’une enquête lacunaire. Cinq personnes sont, dans un premier temps, dans la ligne de mire des enquêteurs. Il y a cet homme qui sort de prison, cette autre personne de la famille déjà connue pour des faits sur des mineurs. Et ce jeune invité, Nordahl Lelandais, un ancien militaire de 34 ans.
"Nono le barjo", comme le surnomment ses amis, connaissait les mariés. Eddy est militaire, comme le nouvel époux. Quant à Anne-Laure, la mariée, elle connaît Nordahl depuis ses 20 ans. La veille du mariage, Nordahl Lelandais a passé un coup de fil à Eddy. L’ami d’enfance s’incruste à la fête, pour l’apéritif. Mais quoi d’étonnant avec ce bon vivant, un peu vantard, qui aime faire la fête ?
Un parcours en dent de scie
Après être reparti chez lui – ses chiens se sont enfuis –, puis être passé chez son ami Boris boire quelques bières, Nordahl est revenu au mariage vers le dessert, un peu après minuit. Né en 1983 à Boulogne-Billancourt, dans les Hauts-de-Seine, Nordahl Lelandais a un parcours en dents de scie. Après être devenu maître-chien dans l’armée de Terre, il est finalement réformé trois ans plus tard, sur fond d’esclandres en interne. Le soldat avait notamment reçu une fléchette de sarbacane dans l’œil après une dispute avec son supérieur…
Revenu vivre chez ses parents, à Domessin, en Savoie, il enchaîne les petits boulots sans vraiment trouver sa voie, tout en tentant sans succès de lancer un business de dressage de chiens. Eddy s’étonne du comportement de son ami Nordahl, ce soir-là. Il est parti sans prévenir, alors que tous les invités participaient aux recherches. Puis on l’a vu dehors, près de la tireuse à bière. Une attitude bien nonchalante, alors que les autres adultes se font alors un sang d’encre pour la petite.
Les gendarmes également s’étonnent de son absence. Les soupçons d’Eddy sont confirmés par d’autres témoignages. Le fameux tonton qui a montré les photos de ses chiens à Maëlys n’est autre que Nordahl Lelandais. Un invité se souvient d’une scène troublante, vers 2 heures du matin. L’ancien militaire est près du parking avec Maëlys, qui le suit. L’homme arrête alors l’enfant et lui dit : "Moi je passe par là, mais toi tu passes par l’autre côté. "
Les chiens des gendarmes vomissent
Drôle de demande : pourquoi ne voulait-il pas être vu avec l’enfant ? Pour les gendarmes, il y a assez d’éléments pour faire une perquisition chez Nordahl Lelandais, ce lundi après-midi. L’homme est décidément bien intrigant. Après avoir d’abord dit qu’il ne se souvenait pas avoir parlé avec Maëlys, il finit par admettre qu’une fillette lui avait bien parlé de ses chiens.
Assez vite, les gendarmes comprennent que Nordahl Lelandais n’est pas venu les mains vides au mariage. Il a apporté avec lui un peu de cocaïne. Ce qui expliquerait sa discrétion à l’arrivée des militaires venus, dans la nuit, pour retrouver l’enfant. Mais il y a plus. Les enquêteurs retrouvent au domicile du suspect un bermuda noir et un tee-shirt bleu censés avoir été portés pendant le mariage. Sauf que le short que Nordahl avait mis en début de soirée est introuvable. Il aurait été jeté dans un container, à cause de taches de vomi.
Quand la Justice et la Gendarmerie s’écharpent sur la place publique
La fouille de sa voiture, mis à part un fragment d’ADN de l’enfant sur le bouton d’allumage des phares, ne donne rien également. D’ailleurs, elle a été si bien nettoyée que les chiens des gendarmes vomissent, des Saint-Hubert au nez particulièrement sensible. C’est le major Yannick Lefeur, le gendarme technicien d’identification criminelle, qui avait proposé d’employer les chiens au vu de l’intense nettoyage opéré préalablement. En vain, donc.
Mais pourquoi donc Nordahl Lelandais a-t-il aussi bien nettoyé sa voiture ? C’est parce qu’il doit la vendre, répond-il aux enquêteurs. Boris, le futur acheteur, confirme. Il avait un rendez-vous pour acheter l’Audi A3 le 31 août, même si rien n’était encore décidé. Nordahl Lelandais n’a décidément pas perdu de temps.
L’enquête commence à être accablante
Le dimanche, après sa première audition, il a donc filé au centre commercial Leclerc pour nettoyer pendant deux heures son véhicule. Sur les images de vidéosurveillance, on le voit briquer son coffre pendant trois quarts d’heure. Et, pendant 25 minutes, il nettoie consciencieusement le côté passager droit. Quant aux lingettes usagées, il les glisse dans un sac-poubelle déposé ensuite dans le coffre, et non dans la poubelle destinée aux clients.
Oui, la station est loin de chez lui, indique-t-il aux enquêteurs. Mais allez essayer leur cire, elle est bien meilleure qu’ailleurs… Ce dimanche 3 septembre, cela fait une semaine que Maëlys a disparu. Pour la justice, il y a assez d’éléments pour mettre en examen Nordahl Lelandais pour l’enlèvement de l’enfant. Un mois plus tard, les charges vont être alourdies. L’ancien militaire est désormais soupçonné de meurtre. "Ce n’est pas moi, cette gamine, je ne l’ai pas enlevée, je ne l’ai pas tuée, affirme-t-il pourtant. Pauvre petite Maëlys."
Sauf que l’enquête commence à être accablante. Les données téléphoniques permettent de voir en effet qu’il était bien présent au mariage jusqu’à 2h46 lorsque son téléphone est éteint. Son portable n’est rallumé qu’à 3h25, vers Saint-Albin-de-Vaulserre, près de son domicile. Puis il est de retour à Pont-de-Beauvoisin à 3h55, avant d’éteindre deux minutes plus tard son téléphone.
En étudiant attentivement les images d’une caméra de vidéosurveillance du centre-ville de Pont-de-Beauvoisin, les gendarmes remarquent le passage d’une Audi identifiée comme celle de Nordahl Lelandais, à 2 h47. A l’avant, on distingue difficilement un adulte vêtu d’un haut sombre. A ses côtés, un passager de petite taille, visiblement vêtu d’une tenue très claire.
Plus d’une heure plus tard, à 3h56, l’Audi est de retour, mais cette fois-ci avec une seule silhouette. Il est temps de fouiller à nouveau cette voiture, peut-être l’objet qui permettra aux gendarmes d’avancer dans leur enquête. Cette fois-ci, le 23 janvier, les experts de l’IRCGN sont chargés des nouveaux prélèvements. Ils doivent faire particulièrement attention au coffre et aux zones nettoyées par le suspect. Il va falloir quelques semaines aux experts pour réaliser l’impossible.
Cette fois-ci, ils vont démonter la voiture de fond en comble – tout en prenant soin de ne pas détruire d’éventuels indices. "Je suis père de trois enfants, dira lors du procès Yannick Lefeur, le major en identification criminelle. Ce n’était pas possible qu’on ne tente pas tout sur ce véhicule et qu’il n’ait pas laissé un cheveu ou une trace de sang."
"J’ai eu un geste incompréhensible"
Effectivement, les gendarmes vont chercher et vont trouver. En février, ils concluent que cette minuscule tache brunâtre est bien du sang humain. Elle a été découverte sous une garniture, le résultat d’une petite goutte qui a coulé depuis le coffre avant de s’arrêter dans cette zone inaccessible. Elle correspond bien au profil génétique de l’enfant.
Pour l’adjudante-cheffe Céline Nicloux, une experte de l’IRCGN, si du sang a été retrouvé ici, c’est parce que la jeune fille a dû être allongée sur le côté dans le coffre, du sang s’écoulant de son nez et de sa bouche. Cette fois-ci, Nordahl Lelandais est acculé. Il ne peut plus nier les évidences et faire comme s’il n’avait rien avoir avec l’horrible disparition de l’enfant.
En pleurs, quelques jours plus tard, il s’accuse. Il aurait tué la fillette involontairement, après avoir paniqué. "Elle m’a demandé d’aller voir mes chiens plusieurs fois, assure-t-il quelques semaines plus tard, lors d’un nouvel interrogatoire. Je lui ai demandé si elle avait demandé à sa maman et elle m’a dit oui. Sur le trajet, elle a commencé à chouiner, paniquer. Et là, j’ai eu un geste incompréhensible, je n’arrive pas à décrire pourquoi. Je lui ai mis un coup très violent."
Puis il décrit la zone où il aurait abandonné le corps. Les gendarmes de la section de recherches de Grenoble, les militaires du PGHM et les experts de l’IRCGN, se rendent sur place. En fin de journée, des maîtres-chiens découvrent des ossements dans la glace. Il ne reste plus grand-chose du corps de l’enfant. Les experts peuvent seulement dire que Maëlys devait se trouver en position fœtale. Pour la famille de l’enfant, cette découverte signifie beaucoup. Enfin, ils vont pouvoir dire adieu à Maëlys et lui donner une sépulture digne.
Cette découverte est pourtant loin de clôturer l’enquête. Il reste d’importantes zones d’ombre. Les enquêteurs vont découvrir que Nordahl Lelandais a un profil particulièrement inquiétant, celui d’un tueur en série aux instincts meurtriers guidés par sa sexualité.
Les ramifications
Les gendarmes vont en effet aller de surprise en surprise en investiguant sur leur suspect. En étudiant le contenu de son iPhone 4S, les militaires tombent sur une vidéo particulièrement sordide où l’on aperçoit un homme qui agresse sexuellement pendant son sommeil une enfant de seulement quelques années. Il s’agit visiblement de la fille de la cousine de Nordahl Lelandais, qui avait séjourné quelques jours avec sa famille en août 2017 dans la maison des Lelandais, à Domessin.
Sur l’ordinateur du mis en cause, les enquêteurs trouvent également plusieurs vidéos et images pédopornographiques. Dont une qui pourrait correspondre à la fille d’un cousin de Nordahl Lelandais, passé lui aussi en juillet 2017 à Domessin.
D’autres enregistrements de recherches semblent suggérer que Nordahl Lelandais s’intéresse à des vidéos pornographiques mettant en scène de jeunes femmes, voire des enfants – un élément contesté par la défense. Ces deux agressions sexuelles particulièrement sordides seront jointes au procès d’assises pour la disparition et le meurtre de la petite Maëlys.
Interrogé par le juge d’instruction, Nordahl Lelandais explique que, sur fond de forte consommation d’alcool et de cocaïne, il ne faisait plus vraiment la différence entre les femmes et les enfants. Une troisième affaire d’agression sexuelle, dénoncée par une autre cousine du mis en cause, sera jugée séparément. Alors âgée de 14 ans, elle accuse son cousin d’avoir eu les mains baladeuses en marge de l’enterrement de son père, puis de l’avoir menacée de mort si elle en parlait autour d’elle.
« Si on m’avait prise au sérieux »… Les regrets de l’ex-compagne de Lelandais
Les militaires font ensuite le lien entre Nordahl Lelandais et une autre affaire mystérieuse. En avril 2017, le caporal Arthur Noyer, un militaire du 13e bataillon de chasseurs alpins, disparaît après une soirée passée à écumer les bars de Chambéry, en Savoie. Ce dossier d’enlèvement et séquestration va rebondir à l’automne 2017. On découvre, au début du mois de septembre, les restes d’un crâne, près du col de Marocaz.
Mise en place d'Ariane
Puis un suspect va être identifié : Nordahl Lelandais, encore. Les enquêteurs de la section de recherches de Chambéry se sont d’abord étonnés de retrouver à nouveau des images sur les bandes de vidéosurveillance d’une Audi A3 similaire à celle du mis en examen. Une dizaine de jours après la disparition du caporal, Nordahl Lelandais s’est également renseigné sur Internet sur la décomposition du corps humain. Enfin, la géolocalisation des téléphones prouvait sa présence au côté d’Arthur Noyer le soir de sa disparition.
Acculé, Nordahl Lelandais finit, fin mars 2018, par admettre avoir tué le caporal lors d’une bagarre. Jugé en mai 2021 par les assises de Savoie, Nordahl Lelandais sera condamné à vingt ans de réclusion criminelle pour meurtre. La famille du disparu avait plaidé en vain pour la thèse de l’assassinat : elle estimait que Lelandais avait rôdé dans la ville, ce soir-là, à la recherche d’une proie. Pour l’accusation, le meurtrier, bisexuel, cherchait plutôt un partenaire ce soir-là. Il aurait pris en stop le caporal dans cette intention. Puis l’aurait tué après avoir essuyé un refus.
Quant à Nordahl Lelandais, il a soutenu jusqu’au bout qu’il ne s’agissait que d’une bagarre qui avait mal tourné à cause d’un téléphone volé. Le profil de Lelandais inquiète tellement les gendarmes qu’ils vont créer une cellule dédiée, Ariane, chargée de plancher sur d’éventuels liens avec d’autres affaires non élucidées, ces cold case. En clair, on se demande si Nordahl Lelandais n’a pas le profil d’un dangereux tueur en série. Une association, Assistance et recherche de personnes disparues (ARPD), va d’ailleurs tenter de donner un coup de main aux gendarmes. Un an après le début de l’enquête sur la disparition de Maëlys, ces proches de familles de disparus attirent ainsi l’attention des enquêteurs sur 53 affaires, soit 34 disparitions inquiétantes et 19 morts suspectes. Une coopération bien bornée : "Nous connaissons les règles", rappelle sobrement le vice-président de l’association, Bernard Valezy, commissaire divisionnaire dans la Police nationale.
Le dossier Loïc Guérin est rouvert
De gros moyens sont mis sur la table, par exemple en repassant au tamis du logiciel Anacrim d’anciens dossiers judiciaires. Ce qui demande un important travail de saisie des enquêteurs. Qui sait, ce petit détail qui n’a l’air de rien va peut-être révéler un lien avec une autre affaire, et donc permettre une nouvelle orientation de l’enquête ?
Signe du renforcement de la justice sur ce terrain des affaires non élucidées, un nouveau pôle criminel dédié aux cold case verra finalement le jour, en mai 2022, à Nanterre. Dirigé par Sabine Kheris, la juge qui a traqué Michel Fourniret dans l’affaire Estelle Mouzin, il doit pouvoir prendre en charge, à terme, plus de 200 dossiers relatifs à des enquêtes infructueuses.
On ignore les résultats exacts du travail de la cellule Ariane, aujourd’hui dissoute, réservés à la justice – et peut-être au nouveau pôle Cold case. Au point que certains se sont demandé si le profil de Nordahl Lelandais, passé au peigne fin, n’avait pas été exagéré. Si son rôle dans les disparitions de Théo Breheret, en août 2014, de Nordine Seghiri, en juillet 2015, ou encore de Thomas Rauschkolb, en décembre 2015, est questionné, aucune preuve probante de son implication n’a visiblement été enregistrée.
Mais il y a au moins une affaire de disparition où un lien a été établi. Il s’agit de l’affaire Loïc Guérin, du nom de cet autiste quadragénaire, retrouvé mort en octobre 2012. Selon l’auteur d’un courrier anonyme envoyé à l’association ARPD, Nordahl Lelandais aurait croisé la route de ce malheureux. Selon le magazine Marianne, l’auteur du courrier explique qu’à l’époque, il partait régulièrement promener ses chiens avec Nordahl Lelandais. Mais au retour d’une balade sur le massif de la Chartreuse, ils croisent en voiture un homme qui marche bizarrement au milieu de la route. Nordahl Lelandais serait alors sorti du véhicule pour l’insulter avant de lâcher ses trois chiens à sa poursuite. "Ils sont revenus un bon moment après", mais sans le quadragénaire. Des accusations suffisamment solides pour que la section de recherches de Grenoble rouvre le dossier de la mort, jugé alors accidentelle, de Loïc Guérin.
Les zones d'ombre
Sur le dossier de la disparition de Maëlys, malgré le travail des enquêteurs, il reste encore bien des mystères, même à l’issue du procès d’assises qui s’est déroulé en janvier et février dernier. Pourquoi Nordahl Lelandais a-t-il, par exemple, jeté ce téléphone portable dans le lac du Bourget, le 2 septembre 2017 ?
En garde à vue, il expliquera avoir voulu s’en débarrasser car il était volé. Les enquêteurs estiment, eux, que l’appareil devait certainement contenir des documents compromettants ou des indices en lien avec la mort de Maëlys. Autre échange intriguant : le soir de la disparition de l’enfant, Nordahl Lelandais a tenté de joindre son ancienne compagne, Anouchka, une jeune coiffeuse, pour l’inviter à le rejoindre. Quelques semaines plus tard, dans une conversation enregistrée par la justice et écoutée au cours du procès d’assises, il revient sur ce sujet.
– Mon cœur, tu tiens le coup ?, demande-t-il à la jeune femme. C’est bientôt fini. Tu ne doutes quand même pas de moi ? – Tu lui as parlé, à la petite ? – J’ai allumé l’écran, elle a vu les chiens et m’a demandé si j’avais des chiens, c’est tout. Je suis accusé d’un truc de fou. Si tu avais répondu au SMS, ça aurait tout changé.
Invité par la cour d’assises à préciser le sens de cet échange, Nordahl Lelandais donne quelques explications. Si Anouchka avait répondu au message, il serait parti du mariage et l’enfant serait encore en vie. Mais ce soir-là, raconte-t-il, il croise sur le parking Maëlys alors qu’il va partir chercher de la cocaïne.
"Bêtement, je lui dis : monte, et elle ouvre la porte, confie-t-il aux jurés. Je me dis que cela lui fera plaisir de voir mes chiens." Mais sur le trajet, la jeune fille commence à pleurer. Et, comme il l’a raconté aux juges, en proie à une sorte d’hallucination où il revoit son ancienne victime, Arthur Noyer, Nordahl Lelandais frappe l’enfant. L’accusé parle d’abord d’un coup, puis de trois. Devant les jurés, il pleure. "Les coups étaient volontaires, ce n’était pas un accident. Mais je n’avais aucune intention de lui donner la mort", explique-t-il. Avant de contester toute optique sexuelle dans le meurtre et l’enlèvement.
Le mobile sexuel tient la route selon les enquêteurs
Pourtant, qui peut croire sérieusement que Nordahl Lelandais, en pleine nuit, à l’insu des parents de l’enfant, voulait simplement montrer ses chiens à Maëlys ? Pour les enquêteurs et la justice, l’hypothèse d’un mobile sexuel dans ce crime tient la route. Une piste un temps renforcée par le témoignage d’un détenu, qui affirmait avoir recueilli les confidences du meurtrier. Ce dernier aurait tué l’enfant car il n’arrivait pas à la violer à cause de sa trop grande consommation de cocaïne.
La petite fille a-t-elle donc été victime d’un viol ou d’une tentative de viol avant le meurtre ? Si les gendarmes ont bien retrouvé dans sa voiture des traces de sperme sur du Sopalin, impossible d’affirmer catégoriquement que cet indice est en lien avec le crime. Quant au témoignage du détenu, il sera finalement écarté par la justice à cause de contradictions qualifiées de majeures par la justice.
Les magistrats manquent d’éléments matériels pour poursuivre l’accusé sur ce terrain, qui ne sera pas retenu au moment de renvoyer l’affaire devant la cour d’assises. On ignore également les circonstances précises de la mort de la pauvre enfant, le temps ayant effacé les traces.
Pour les experts, Maëlys a pu agoniser pendant de très longues minutes, voire peut-être même une heure. L’accusé dit avoir porté trois, puis quatre coups très violents. Pour le médecin légiste, les coups portés lors de la reconstitution ne sont pas incompatibles avec les trois fractures observées.
Nordahl Lelandais: l’expertise psychiatrique qui interroge sur le mobile du rapt de la petite Maëlys
L’enfant est probablement morte à la suite d’un important traumatisme crânien. Mais deux autres hypothèses ont également été citées dans l’enquête : une hémorragie fatale ou un étranglement. Dernier mystère de cette dramatique affaire, deux mèches de cheveux ont été coupées. Comme si elles avaient été tranchées avec un ciseau ou un couteau. L’accusé a-t-il voulu garder un trophée de son crime ? s’interroge l’avocat du père de l’enfant, Me Laurent Boguet. On ne le saura jamais, tout comme les lacérations constatées sur le bas de la robe de l’enfant par Nathalie Caron, l’une des expertes de l’IRCGN.
"Comment l’expliquez-vous?", demande l’avocat, rapporte le journal Marianne. Pas de réponse, une nouvelle fois, de Nordahl Lelandais. Ce 18 février, Nordahl Lelandais est finalement condamné, après sept heures de délibéré, à la réclusion criminelle à perpétuité, assortie d’une peine de sûreté de 22 ans, par la cour d’assises de l’Isère, pour le meurtre et l’enlèvement de la petite Maëlys. Soit la peine maximale encourue. L’avocat de Nordahl Lelandais, Alain Jakubowicz, avait plaidé en vain pour que son client, pas "un monstre" mais "une voiture folle sans freins", ne soit condamné qu’à trente ans de prison. Cet avocat lyonnais n’a pas eu la tâche évidente dans cette affaire extrêmement médiatisée.
"Nordahl Lelandais n’est pas un tueur en série, mais c’est un meurtrier"
"Nordahl Lelandais n’est pas un tueur en série, mais c’est un meurtrier", indiquait-il quelques heures avant aux jurés, selon le compte rendu de France Bleu. "Votre décision n’a pas à faire écho à l’opinion publique, mais à y répondre en affirmant l’indépendance de la justice française", ajoutait la robe noire, qui a estimé, après le procès, qu’il aurait pu obtenir l’acquittement sans la fameuse goutte de sang retrouvée par l’IRCGN. A l’annonce du verdict, l’avocat confirme qu’il n’y aura pas d’appel. "Le chemin va être long, très long [pour Nordahl Lelandais]. Il est temps que cette page se tourne pour la famille", indique l’avocat, qui appelle à "oublier" Nordahl Lelandais.
Et pourtant. Difficile de tourner la page sur ce personnage glaçant, qualifié par les experts de cas psychiatriques de dangereux et "manipulateur". Un homme qui a poursuivi ses frasques en détention en arrivant à se procurer des téléphones portables pour surfer sur des sites pornographiques. La preuve, pour les avocats des parents de Maëlys, que l’homme n’a pas vraiment changé.
Au grand soulagement du personnel de surveillance, Nordahl Lelandais a quitté en juin dernier la prison de Saint-Quentin-Fallavier, en Isère. Le détenu est parti pour le centre national d’évaluation d’Aix-Luynes, qui devra déterminer sa dangerosité et le renvoyer vers l’établissement pénitentiaire le plus adapté à sa personnalité.