C'était une grande dame et une héroïne, pleine d'humour et de modestie. Geneviève de Galard, 99 ans, vient de partir, 70 ans après la bataille de Dien Bien Phu où elle était restée pour soigner les blessés jusqu'à la chute du camp retranché.
Surnommée "l'Ange de Dien Bien Phu", Geneviève de Galard, est devenue une héroïne malgré elle, s'imposant dans un monde d'hommes par son courage et son abnégation.
"On parle souvent de 'sexe faible'. Cette bataille a permis de se rendre compte que le sexe faible n'était pas celui qu'on pensait", racontait-elle en souriant en 2014 à l'auteur de ces lignes.
Elle n'avait rien oublié de ce printemps 1954 où l'artillerie Viêtminh pilonne sans relâche le camp retranché : le bruit "d'enfer" des tirs, la puanteur et la chaleur étouffante de ces boyaux de terre, les noms de "ses chers" blessés.
"Au milieu de cette défaite collective, il y a eu Geneviève de Galard", résumait en juin 2022 sur France Inter Marie-Laure Buisson, qui a consacré un chapitre de son livre "Femmes combattantes" à l'infirmière. "C'est une très grande héroïne".
La France et le reste du monde découvrent le 5 juin 1954 cette jeune femme brune aux yeux bleus de 29 ans. Tout juste sortie de l'enfer, elle fait la Une de Paris Match, habillée d'une combinaison verte de convoyeuse de l'air. L'hebdomadaire titre "La France accueille l'héroïne de Dien Bien Phu". La photo fait le tour du monde.
Volontaire pour l'Indochine
Née à Paris le 13 avril 1925, Geneviève de Galard-Terraube a grandi dans une vieille famille aristocratique. Un aïeul aurait combattu avec Jeanne d'Arc. Elle perd à neuf ans son père, officier. Un deuil douloureux, qui la rend très sensible à la souffrance d'autrui.
Devenue infirmière, elle a déjà géré des situations difficiles en Afrique quand elle signe en 1953 un contrat de convoyeuse de l'air et se porte volontaire pour l'Indochine.
Elle accompagne dans les Dakota médicalisés les blessés depuis le camp retranché où, avec les bombardements incessants, les évacuations deviennent très difficiles.
Le 28 mars 1954, son avion se pose acrobatiquement. Endommagé, il ne redécollera jamais. Munie d'une simple trousse de premiers secours et de sa foi indéfectible, elle officie à l'antenne chirurgicale.
Elle refait des pansements à la lumière de lampes de poche, administre des piqûres au Phenergan, réconforte les blessés, des hommes souvent plus jeunes qu'elle au regard "d'enfants égarés".
"Quand vous descendez dans mon abri, mon moral remonte de 100 %", lui murmure l'un. "Quand ce sera fini, Geneviève, je vous emmènerai danser", lui promet un légionnaire, amputé des deux bras et d'une jambe. Les blessés la surnomme "Mam'zelle". Elle sera nommée caporale d'honneur de la Légion étrangère.
"Le bruit des bombardements était infernal et, lors de l'accalmie du matin, on savait que d'autres brancards allaient nous arriver", racontait-elle, Parfois, il n'y a plus rien à faire. Certains meurent dans ses bras.
Acclamée par 250.000 New-Yorkais
Elle devient mère, soeur, amie, gagnant le respect et l'admiration de tous. Sur place, elle est faite chevalier de la Légion d'honneur et reçoit la Croix de guerre.
A la chute du camp le 7 mai, elle demande à rester jusqu'à l'évacuation des derniers blessés mais est finalement poussée dans un avion pour quitter la cuvette de Dien Bien Phu. "Qu'est-ce que nous allons devenir sans nos yeux bleus ?", lui lance un soldat.
De retour en France, elle se retrouve brusquement confrontée à une immense popularité. "Que je n'avais jamais ni voulue, ni recherchée. Je n'avais fait que mon devoir".
Conviée par le Congrès américain – "la première invitation de ce genre depuis Lafayette", s'enorgueillissait son mari Jean de Heaulme, officier épousé en 1956 – elle est accueillie comme un chef d'Etat et décorée à la Maison Blanche de la Médaille de la Liberté, plus haute distinction pour un étranger. Elle parcourt le pays pendant trois semaines et descend Broadway sous les confettis sous les yeux de 250.000 New-Yorkais.
"J'ai alors eu l'impression d'être tout à la fois actrice et spectatrice". Fuyant les honneurs, elle repart vite en mission et retombe dans un relatif anonymat qui lui convient très bien.
En 2014, elle avait été élevée à la dignité de grand croix de la Légion d'honneur , une décoration qu'elle était une des rares femmes a avoir obtenue à titre militaire. Son mari, le colonel Jean de Heaulme, 101 ans, au parcours impressionnant en Indochine, est toujours resté dans son ombre. Avec humour, il se présentait comme "le mari de Geneviève de Galard"'.
Pierre-Marie GIRAUD (AFP)