L’annulation d’une Sainte-Geneviève, nouvelle menace ou pas pour les traditions de la Gendarmerie

Photo : Lors de la cérémonie de la Sainte-Geneviève, le 30 novembre 2022, deux gendarmes motocyclistes assuraient une haie d'honneur à la sortie de l'église où s'était déroulé un office religieux. (Photo: Archives -Gendarmerie de l'Ardèche)

27 mars 2025 | Vie des personnels

Temps de lecture : 5 minutes

L’annulation d’une Sainte-Geneviève, nouvelle menace ou pas pour les traditions de la Gendarmerie

par | Vie des personnels

Sollicitée par une association de libres penseurs, la justice administrative de Lyon a donné raison aux plaignants et annulé l'organisation de la Sainte-Geneviève 2022 du groupement de gendarmerie départementale de l'Ardèche.

Déjà plusieurs fois étudié par les services administratifs et juridiques, on pensait le problème de la Sainte-Geneviève réglé. Ca n’est visiblement pas encore une question tranchée. Notamment pour certaines associations et organisations laïques, voire anticléricales, qui attaquent régulièrement les décisions sur l’organisation de célébrations de la Sainte-Geneviève par les gendarmes. Au cœur de la problématique soulevée par ces organisations, la possible atteinte aux principes de laïcité qu’entraînerait l’organisation de cérémonies religieuses lors de ces célébrations.

C’est dans ce cadre que le tribunal administratif (TA) de Lyon a rendu un nouveau jugement, suite au recours porté par la Fédération ardéchoise et drômoise de libre pensée. Celui-ci porte sur l’organisation de la Sainte-Geneviève, le 30 novembre 2022, par le groupement départemental de l’Ardèche. Ce jour-là, comme c’est le cas dans l’immense majorité des départements chaque année, un office religieux avait lieu avant un vin d’honneur, suivi de discours d’autorités locales.

Dans sa décision publiée le 20 mars 2025, le TA de Lyon reconnaît tout d’abord le caractère traditionnel de l’événement, « associé aux valeurs de courage, d’engagement et de dévouement » des gendarmes et « participant à la cohésion de l’Institution ». En conséquence, il estime que « la présence en tenue de cérémonie des personnels militaires du groupement de gendarmerie de l’Ardèche » est « sans lien avec l’expression d’un culte ou d’une préférence religieuse ».

Des moyens alloués problématiques

Néanmoins, les juges administratifs pointent la tenue et l’organisation de l’office religieux de cette Sainte-Geneviève. En effet, le tribunal considère que le fait que cette cérémonie ait nécessité la mobilisation de « moyens (de l’Institution), notamment humains, pour sa tenue » dénote une expression de la « reconnaissance d’un culte et d’une préférence religieuse » par le commandant de groupement.

Parmi les moyens pointés du doigt par la juridiction administrative : l’organisation d’une « haie d’honneur composée de plusieurs militaires sur le parvis de l’église », l’accueil et le placement des autorités dans l’église « par les représentants du commandement de la Gendarmerie », et la « sécurisation de l’intégralité de l’office religieux (…) par plusieurs gendarmes (…) en tenue de service courant ». Autant de points qui traduisent, selon le TA, d’une méconnaissance du « principe de laïcité tel que garanti par l’article 1er de la Constitution. »

Raison pour laquelle la juridiction a prescrit « l’annulation de la décision du commandant du groupement départemental de gendarmerie de l’Ardèche d’organiser une célébration de la Sainte-Geneviève le 30 novembre 2022, en tant qu’elle comportait l’organisation d’un office religieux au sein d’une église ».

Jurisprudence

Selon un juriste interrogé par L’Essor, cette décision du tribunal administratif de Lyon est surprenante. D’autant plus qu’elle fait suite à plusieurs décisions passées qui devraient pourtant avoir une valeur jurisprudentielle.

En 2021, le tribunal administratif de Nîmes avait ainsi rejeté le recours en annulation – formulé par l’association de la Libre Pensée du Gard – d’une note de service autorisant les gendarmes du Gard à assister, au cours de la cérémonie de la Sainte-Geneviève du 30 novembre 2018, à un office religieux célébré dans une église. Les magistrats administratifs avaient notamment jugés que les principes législatifs et constitutionnels de laïcité et de liberté de culte ne faisaient « pas obstacle à ce que les militaires de la Gendarmerie soient invités et autorisés, durant le service, à assister à un office religieux dans une église ». À condition toutefois que «cette invitation présente un caractère facultatif et s’inscri(ve) dans le cadre d’une manifestation annuelle, traditionnelle et festive participant à la cohésion et à la représentation de l’institution ».

Des parlementaires interrogent aussi régulièrement le gouvernement sur la question du respect des dispositions laïques de la République, en lien avec les célébrations de la Sainte-Geneviève par la Gendarmerie. En 2014, le ministère de l’Intérieur avait ainsi répondu au député du Nord Jean-Jacques Candelier (Gauche démocrate et républicaine) que les gendarmes, « comme tout citoyen », « peuvent assister à des cérémonies religieuses, en uniforme ou non, de leur propre chef en dehors du service, ou pendant celui-ci quand les circonstances l’imposent (tâches de représentation, obsèques religieuses de soldats morts au combat…) ou encore quand ces cérémonies relèvent de la tradition ».

Ces cérémonies « ne dérogent pas aux principes républicains »

Le ministère ajoutait une référence à l’usage, dans les forces armées, de l’organisation d’une cérémonie à l’occasion des fêtes patronales, précisant que « cette activité de tradition participe à la cohésion de l’institution ». Il confirmait ensuite la règle selon laquelle ces cérémonies « peuvent comprendre un officie religieux », et « se déroulent dans le respect de la liberté de conscience de chacun ». La participation à l’office religieux ne revêt d’ailleurs « aucun caractère obligatoire ». Seuls les personnels volontaires y assistent. Et de conclure que « ce principe étant ainsi posé, les cérémonies organisées à cette occasion ne dérogent pas aux principes républicains ».

La sécurisation de la Sainte-Geneviève aussi épinglée

Un autre point soulevé par les opposants pose question. Celui de la sécurisation des cérémonies de Sainte-Geneviève par des unités de gendarmerie. Alors que la menace terroriste ou criminelle est de plus en plus pesante sur la sécurité publique et celle des personnels, on peut légitimement penser qu’une telle célébration puisse constituer une opportunité d’attaque. Il apparaît donc logique et indispensable d’inclure, dans leur organisation, un volet sécurité. Au même titre que pour tout événement, quel qu’en soit l’organisateur. Si l’on suit cette logique, faudrait-il alors arrêter les missions de sécurisation des lieux de culte, notamment lors des différentes fêtes religieuses, toutes confession confondues ? Inconcevable. D’ailleurs, les directives régulières du ministère de l’Intérieur demandant aux préfets et aux forces de sécurité intérieure de renforcer leur présence et leurs actions de sécurisation de ces lieux le prouve.

De plus, dans certains départements où les chefs lieux se situent en zone de compétence de la Police nationale, la mise en place d’un dispositif de sécurité par la Gendarmerie autour des lieux de cérémonie vise, aussi, à ne pas faire peser la charge de la sécurisation sur les forces de sécurité locales.

Sainte Geneviève, protectrice des gendarmes

Le 18 mai 1962, le pape Jean XXIII avait désigné solennellement sainte Geneviève comme patronne de la Gendarmerie. Avant de devenir souverain pontife, il avait pu apprécier les engagements et le sens du service des gendarmes. Il assumait alors les fonctions de nonce apostolique à Paris. Portant le nom de la patronne, protectrice des gendarmes, la journée de la Sainte-Geneviève est une tradition au sein de l’Arme. Elle est surtout aujourd’hui un temps de cohésion indispensable dans le calendrier des gendarmes.

Fêtée dans le calendrier le 3 janvier (date de sa mort, que l’on situe en 502 ou en 512 suivant les récits), la Sainte-Geneviève n’est pourtant célébrée par les gendarmes qu’autour du 26 novembre. Une date qui correspond à celle instituée par le pape Innocent II pour célébrer le « miracle des Ardents ». Un choix également tactique, qui s’explique aussi par le fait que le début du mois de janvier « n’est pas favorable au rassemblement des gendarmes requis par cette célébration », précise le Diocèse aux armées françaises.

D’autres fêtes patronales menacées ?

Outre la Sainte-Geneviève, cette décision pourrait aussi menacer d’autres fêtes de saints patrons. Dans les armées, la tradition veut en effet que les différentes armes se confient à la protection d’une ou d’un saint(e). D’autres saints sont d’ailleurs aussi célébrés en Gendarmerie. C’est le cas de saint Michel, patron des parachutistes, célébré notamment par le GIGN. Ou de saint Roch, patron des maîtres de chiens et des unités cynophiles. Autre exemple, les musiciens militaires, dont ceux de la Garde républicaine, qui fêtent quant à eux la Sainte-Cécile.

Mais cette tradition n’est pas exclusive aux Armées et à la Gendarmerie. Elle est aussi très répandue dans d’autres professions. C’est par exemple aussi le cas pour les sapeurs-pompiers qui partagent la Sainte-Barbe avec les artilleurs, les démineurs et artificiers, mais aussi les mineurs, les architectes ou les géologues et les mathématiciens. Réputée « patronne des armes savantes », elle est aussi la patronne de l’Ecole polytechnique. Barbe, ou Barbara, est l’une des saintes les plus célébrées en raison de ces multiples patronages. Elle porte d’ailleurs le surnom de « sainte aux cent patronages ».

Là encore, plus que l’application d’un culte religieux, ces célébrations sont essentiellement des occasions de rassemblement, de fête et de cohésion au sein des professions.

La Lettre Conflits

La newsletter de l’Essor de la Gendarmerie

Voir aussi