La traque des frères Kouachi après le massacre de Charlie Hebdo (RECIT)

Photo : En réponse aux tirs des frères Kouachi, le GIGN déclenche un assaut d'urgence et neutralise les terroristes qui s'étaient retranchés dans une imprimerie de Dammartin-en-Goële. (Photo d'archive - Gendarmerie / Ministère de l'Intérieur)

6 janvier 2025 | Société

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La traque des frères Kouachi après le massacre de Charlie Hebdo (RECIT)

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Le 9 janvier 2015 en milieu d’après-midi, au terme d’une très vaste opération de Gendarmerie, le GIGN neutralisait en Seine-et-Marne les deux frères Kouachi, auteurs deux jours plus tôt de la tuerie à Charlie Hebdo à Paris.  Le Président de la République Emmanuel Macron rendra hommage mardi matin aux victimes des attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher.

Il y a tout juste dix ans, le mercredi 7 janvier 2015 vers 11h40, Saïd et Chérif Kouachi massacraient onze personnes dans les locaux de Charlie Hebdo à Paris. Huit journalistes, un agent de maintenance, un invité et le policier chargé de la protection de Charb, directeur de la publication. L’hebdomadaire avait publié à plusieurs reprises des caricatures de Mahomet. Les frères Kouachi repartent en criant: «Le prophète a été vengé!». Quelques minutes plus tard, ils tuent un policier dans leur fuite. Soit douze morts au total.

Ils disparaissent mais sont repérés dès le lendemain matin dans l’Oise. Dès lors, la Gendarmerie engage une chasse à l’homme de très grande ampleur qui réunira jusqu’à 5.000 gendarmes. Et les tueurs de Charlie Hebdo seront tués deux jours plus à Dammartin-en-Goële (Seine-et-Marne), à une cinquantaine au nord-est de Paris.

Denis Favier et Hubert Bonneau racontent la grande traque des frères Kouachi

Voici donc le récit de cette traque racontée par deux grands témoins: Denis Favier, alors directeur de la Gendarmerie et ex-patron du GIGN à deux reprises, et Hubert Bonneau, actuel directeur de la Gendarmerie, commandant le GIGN à l’époque des faits (1).

« Sous mon commandement du GIGN, Dammartin constitue ma plus grosse opération », confie Hubert Bonneau. Il venait de mettre en place une réflexion annuelle les Journées CIBLE (Conférence inter forces pour bilan, leçons et enjeux) du GIGN. La première édition doit donc se dérouler les 6 et 7 janvier 2015 dans un grand amphi, près du siège du GIGN à Satory. Il y a donc là toutes les composantes du GIGN. Nathalie Poux, juge d’instruction antiterroriste, s’exprimera le second jour – le 7 janvier – sur les terroristes qu’elle connait bien pour avoir entendu nombre d’entre eux dans son cabinet.

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« Il se passe des choses à Paris« 

Durant l’exposé de la magistrate, Hubert Bonneau reçoit des SMS sur le thème «Il se passe des choses à Paris». En fin de matinée, de premiers éléments lui parviennent en effet sur la tuerie à Charlie Hebdo. Le déjeuner prévu est donc annulé. L’ensemble du GIGN bascule en alerte: état-major d’appui-soutien, état-major opérationnel et les trois forces (intervention (FI), sécurité-protection (FSP) et observation-recherche (FOR)). Le patron du GIGN échange avec Jean-Michel Fauvergue, son homologue au RAID.

« Le lendemain, le 8 janvier, poursuit Hubert Bonneau, nous sommes informés dans la matinée que les terroristes viennent de braquer une station-service Avia à Vauciennes (Oise). Ils se présentent comme les frères Kouachi, expliquent qu’ils ont agi au nom d’Allah et que le pompiste n’a rien à craindre. Ils sont armés d’un lance-roquettes et de deux kalachnikovs. »

Denis Favier, directeur de la Gendarmerie, participe à la cellule de crise place Beauvau. Il a déjà ordonné le déploiement d’un énorme dispositif en moyens humains et matériels. Soit près de 5.000 gendarmes départementaux et mobiles, des hélicoptères, des véhicules blindés, des chevaux et des motos, qui seront donc déployés. Un manœuvre qui montre donc la capacité de mobilisation rapide de l’Arme. Le but de l’opération est en effet d’encager les fuyards dans une zone hermétique. La zone des recherches va alors s’étendre dans trois départements voisins: Oise, Aisne et Seine-et-Marne. 

GIGN « menant » et RAID « concourant »

Le DGGN demande à Hubert Bonneau de projeter le GIGN à Senlis (Oise), en attente. Trois hélicoptères de transports de l’armée de Terre, affectés à l’unité, stationnent à Dugny, près de l’aéroport du Bourget. Entre 10 heures et midi, plus de nouvelles des frères Kouachi. Une personne signale alors qu’elle a vu passer leur voiture, une Clio grise, à la hauteur de Villers-Cotterêts (Aisne). Les Kouachi se trouvent donc bien dans la zone.

Le GIGN fait alors mouvement à Villers-Cotterêts. Denis Favier demande alors à Hubert Bonneau d’organiser un dispositif de contrôle de terrain, au sud de Villers-Cotterêts en divisant la zone en deux: la partie ouest pour le GIGN et la partie est pour le RAID. Pour cette opération en zone gendarmerie, le GIGN est l’unité «menante», le RAID l’unité «concourante». Tout l’après-midi, gendarmes et policiers patrouillent donc dans les bois et alentours, et contrôlent les villas isolées. En vain ; quand le soir arrive, toujours pas de trace des Kouachi.

Le DGGN Denis Favier, le chef du GIGN Hubert Bonneau, le patron du Raid Jean-Michel Fauvergue et le procureur François Molins au poste de commandement (PC) opérationnel installé à proximité de l'imprimerie de Dammartin-en-Goële où les frères Kouachi s'étaient retranchés. (Photo d'archive - Gendarmerie / Ministère de l'Intérieur)

Le DGGN Denis Favier, le chef du GIGN Hubert Bonneau, le patron du Raid Jean-Michel Fauvergue et le procureur François Molins au poste de commandement (PC) opérationnel installé à proximité de l’imprimerie de Dammartin-en-Goële où les frères Kouachi s’étaient retranchés. (Photo d’archive – Gendarmerie / Ministère de l’Intérieur)

Vols nocturnes d’hélicoptères pour empêcher les fuyards de dormir

Le général Favier décide alors de maintenir la pression sur une zone encore plus large. Et, à partir de Villers-Cotterêts, de prendre ainsi en compte un rayon de 50 kilomètres dans la profondeur. Les gendarmes contrôlent tous les grands axes, comme la RN 2, et toutes les routes départementales à grande circulation. De plus, une pression supplémentaire est mise sur les frères Kouachi. Hubert Bonneau va donc faire passer toute la nuit des hélicoptères lourds et de la Gendarmerie, au-dessus des bois. De 22h à 2h du matin, période où les « où les gens commencent à fatiguer ».

« Le lendemain, on fait de nombreux mouvements pour faire croire que l’on quitte la zone. On arrête par ailleurs les vols d’hélicoptères, en espérant que les frères Kouachi vont sortir de la zone. Sur place, à Villers-Cotterêts, il y a deux sections de la FI, des équipes de la FOR et de la FSP. Il y a par ailleurs plusieurs centaines de gendarmes départementaux et cinq escadrons de gendarmes mobiles pour couvrir la zone », se souvient Hubert Bonneau.

Le lendemain, 9 janvier, à une vingtaine de kilomètres au sud-ouest de la position du GIGN, les frères Kouachi braquent, peu avant 8h30, le véhicule d’une dame. Très vite, à 8h36, elle a en effet le réflexe d’appeler tout de suite la Gendarmerie. Hubert Bonneau fait héliporter l’équipe de première alerte de la force d’intervention. Les autres gendarmes du GIGN s’engagent quant à eux par la route.

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Les frères Kouachi dans la nasse

Les frères Kouachi vont rapidement se trouver dans la nasse puisqu’ils roulent sur les grands axes tenus par la Gendarmerie. Ils partent vers l’ouest, sans doute pour gagner l’autoroute A1 et donc Paris. Un peu avant 9h, les frères Kouachi pénètrent dans la zone industrielle de Dammartin-en- Goële (Seine-et-Marne). Ils vont directement devant une imprimerie parce qu’elle est éclairée. Son patron, Michel Catalano, appelle les gendarmes. Il leur dit: “Les frères Kouachi sont là”, juste avant d’être pris en otage. Une patrouille de gendarmes – un homme et une femme – se rend donc sur place. Quand ils arrivent devant l’imprimerie, Saïd Kouachi sort. Il crie: “Allahou akbar !” (Dieu est le plus grand), tire vers les gendarmes et touche leur voiture de deux balles. Le gendarme riposte alors et atteint Saïd Kouachi au cou. Il tombe. Chérif vient récupérer son frère blessé qui est ensuite pansé par Michel Catalano.

« Au même moment, raconte Hubert Bonneau, nos hélicoptères arrivent. Nous mettons en place un plan d’assaut d’urgence. » Il arrive sur place vers 9h30 avec le convoi routier et installe son PC opérationnel dans une entreprise qui prête ses locaux. Toutes les personnes présentes dans la zone industrielle sont évacuées. La zone est totalement étanche.

Le GIGN déployé devant une imprimerie de Dammartin-en-Goële où les frères Kouachi s'étaient retranchés. (Photo d'archive - Gendarmerie / Ministère de l'Intérieur)

Le GIGN déployé devant une imprimerie de Dammartin-en-Goële où les frères Kouachi s’étaient retranchés. (Photo d’archive – Gendarmerie / Ministère de l’Intérieur)

Plan d’assaut d’urgence et plan d’assaut délibéré

Vers 10h, Michel Catalano, libéré par les Kouachi, sort. Il donne des éléments précieux en disant qu’il y a un seul autre homme à l’intérieur, Lilian. Son employé n’est pas otage parce qu’il a pu se cacher sous un évier au premier étage. Les deux frères Kouachi ont des kalachnikovs, des armes de poing, un lance-roquettes et peut-être des bouteilles incendiaires. « Nous sommes plutôt rassurés, dit Hubert Bonneau. Il y a un seul otage. Le rapport de force est tel que nous mettons en place un plan d’assaut délibéré ».

En opération, le GIGN peut mettre en oeuvre deux types de plans d’assaut. Le premier, le plan d’assaut d’urgence, comme à Marignane il y a trente ans, est lancé immédiatement dès lors qu’il faut riposter ou agir pour délivrer des otages menacés. Le second, le plan d’assaut délibéré est déclenché par l’unité au moment qu’elle choisit.

« On a agi au nom du prophète »

Vers 10h30, la chaîne d’information BFMTV contacte l’imprimerie par téléphone. Un journaliste tombe sur l’un des frères Kouachi. Il revendique la tuerie de Charlie Hebdo au nom de l’État islamique: “On a agi au nom du Prophète, on a vengé le Prophète ». « À partir de cet instant, nous savons que la négociation ne sera pas possible puisque leur message est passé », relate Hubert Bonneau.

Après avoir présenté le plan de la Gendarmerie au ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve, au centre de crise de la Place Beauvau, Denis Favier gagne par hélicoptère le PC opérationnel à Dammartin-en-Goële. Il sera donc au plus près pour superviser l’opération tout en maintenant les liens avec les autorités à Paris. Jean-Michel Fauvergue reste au PC opérationnel. « À 13h, nous apprenons qu’il y a une tuerie en cours à l’Hyper Cacher de la Porte de Vincennes. Jean-Michel Fauvergue se rend sur place, accompagné de deux officiers de liaison du GIGN. Je garde deux officiers de liaison du RAID », poursuit Hubert Bonneau.

« La Porte de Vincennes est prioritaire »

Au début de la tuerie de Vincennes (quatre morts), on ne sait pas si celle-ci ainsi que l’action des frères Kouachi sont coordonnées. Mais, rapidement Amedy Coulibaly, auteur de la prise d’otages de l’Hyper Cacher (quatre hommes tués), menace: “Si les gendarmes tuent les frères Kouachi, je tue tout le monde à l’Hyper Cacher.”

« À partir de ce moment, dit Hubert Bonneau, même si quelqu’un est caché dans l’imprimerie, la Porte de Vincennes devient prioritaire. Nous sommes prêts à agir, mais nous restons en stand-by. Cela va durer trois heures ». Les gendarmes affinent leur dispositif sur la reconnaissance des lieux. Michel Catalano leur donne les plans de l’imprimerie. Le GIGN prévoit un plan d’assaut d’urgence si des tirs sont entendus à l’intérieur ou si les frères Kouachi découvrent Lilian.

Les gendarmes de la force d’intervention (FI) envisagent d’entrer par les côtés du bâtiment en cassant des murs à l’explosif. Mais il y a de grosses bobines de papier à l’intérieur. Il faudrait alors casser et pousser. C’est donc très compliqué. De plus, les vitres de l’imprimerie sont bleutées: à l’intérieur, les gens peuvent donc voir ce qui se passe à l’extérieur, mais les tireurs d’élite sont aveugles car ils ne distinguent pas ce qui se passe à l’intérieur.

Le DGGN Denis Favier et le chef du GIGN Hubert Bonneau, à proximité de l'imprimerie de Dammartin-en-Goële où les frères Kouachi s'étaient retranchés. (Photo d'archive - Gendarmerie / Ministère de l'Intérieur)

Le DGGN Denis Favier et le chef du GIGN Hubert Bonneau, au plus près de l’imprimerie de Dammartin-en-Goële où les frères Kouachi s’étaient retranchés. (Photo d’archive – Gendarmerie / Ministère de l’Intérieur)

Les frères Kouachi sortent de l’imprimerie en tirant

À 16h40, la Force observation recherche (FOR) annonce que la porte de l’imprimerie s’entrouvre. Hubert Bonneau contacte les policiers à la Porte de Vincennes. Les policiers lui annoncent avoir des contacts en cours avec Coulibaly. Ils lui demandent donc de ne pas intervenir à Dammartin. « J’ai à peine le temps de raccrocher, assure Hubert Bonneau, que ça commence à tirer. Je me précipite vers l’avant de notre dispositif. Les deux frères Kouachi sont sortis en tirant. En se couvrant mutuellement, ils progressent. Nous ne voulons pas qu’ils atteignent la route, le long de laquelle tout notre dispositif est déployé. S’ils ont un lance-roquettes, ils peuvent faire beaucoup de dégâts. »

Les frères Kouachi sont immédiatement pris sous le feu des tireurs d’élite et d’autres éléments du GIGN déployés sur les côtés de l’imprimerie. Dans le même temps, d’autres gendarmes font tomber les vitres et exploser les murs sur les côtés pour pénétrer dans l’imprimerie. Les deux frères, qui portent des gilets pare-balles, sont blessés avant d’être neutralisés par un tireur d’élite. « Leur action – à peine deux minutes – était impressionnante, raconte Hubert Bonneau. Ils sortent en combattant et avec une vraie détermination. Je vois Chérif, qui est touché, se relever, changer son arme de main pour tirer avant d’être tué. »

En réponse aux tirs des frères Kouachi, les tireurs d'élite du GIGN ouvrent le feu et neutralisent les terroristes qui s'étaient auparavant retranchés dans une imprimerie de Dammartin-en-Goële. (Photo d'archive - Gendarmerie / Ministère de l'Intérieur)

En réponse aux tirs des frères Kouachi, les tireurs d’élite du GIGN ouvrent le feu et neutralisent les terroristes qui s’étaient auparavant retranchés dans une imprimerie de Dammartin-en-Goële. (Photo d’archive – Gendarmerie / Ministère de l’Intérieur)

Lilian exfiltré de sa cachette

Le véhicule blindé Sherpa, muni d’une plate-forme, remonte la colonne pour permettre aux gendarmes d’accéder à l’étage où Lilian est caché. Il peut alors sortir de sa cachette. Dans le même temps, le RAID décide donc d’anticiper son intervention. La BRI PP (Brigade de recherche et d’intervention de la Préfecture de police) pénètre dix minutes plus tard dans l’Hyper Cacher et neutralise Coulibaly.

La plus importante opération de l’histoire contemporaine de la Gendarmerie est donc terminée. Le général Denis Favier dira alors: « Je voudrais vous dire quelques mots, non pas en tant que DGGN, mais en tant qu’ancien patron du GIGN. Ce que vous avez fait ce soir est à inscrire au rang des belles opérations du GI. »

(1) dans le livre « Le GIGN par ceux qui l’ont commandé » (Mareuil Editions).

Pierre-Marie GIRAUD

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