Les plateaux techniques territoriaux en charge de la Police technique et scientifique (PTS) au sein de la Police nationale vont-ils faire les frais de la chasse aux dépenses gouvernementales ? Gérard Collomb, le ministre de l’Intérieur, l’a rappelé la semaine dernière : il doit réaliser 370 millions d’économies pour son budget 2017 dans le domaine de la sécurité.
Un objectif auquel l’Intérieur pourra difficilement déroger, en témoigne la soufflante publique du chef de l’Etat adressée au chef d’état-major des armées, coupable d’avoir rouspété à propos des grandes manœuvres budgétaires. Les plateaux techniques de la Police nationale et les cellules d’investigations criminelles de la Gendarmerie, chargés principalement de traquer les empreintes digitales, pourraient être concernés, sous la forme d’une mutualisation partielle. Ils sont en effet dans le viseur d’un rapport de la Cour des comptes publié en février 2017. Dans ce document de 131 pages, les magistrats de la rue Cambon préconisent « d’élaborer une carte commune des plateaux et des plateformes techniques de la Police et de la Gendarmerie »., jugent-ils. On en comptait un peu moins de 300 en 2016…
La Gendarmerie en pointe
Dans ce domaine, la Gendarmerie a un bel atout. La « vigoureuse rationalisation » des plateaux techniques demandée par la Cour des comptes est en effet stimulée par l’Europe. Une norme simplifiant l’échange d’informations de police scientifique est en cours d’adoption. Et sur ce sujet, l’Institution a pris un train d’avance. L’IRCGN a obtenu son accréditation dès 2007. Et l’ensemble des cellules d’investigations criminelles doivent également l’obtenir avant la fin de l’année.
La mutualisation évoquée par le ministre de l’Intérieur pourrait donc prendre, pour les plateaux techniques, la forme d’une colocation des deux forces, chez les gendarmes… Mais visiblement, ce n’est pas ce qu’on a en tête du côté de la Police. Le plan de rénovation des plateaux policiers, doté d’un budget de 36 millions d’euros, même s’il a pris du retard, bat son plein. En 2016, seuls neuf sites étaient achevés, 60 en cours, et 92 dossiers en cours d’instruction. Depuis, les choses ont, affirme-t-on dans la Police, « beaucoup évolué ».
« Ils ont fait leur découpage territorial sans regarder ce que nous avions fait, déplore un cadre de la Gendarmerie proche de ce dossier. Si l’Etat veut économiser de l’argent, il faut geler ces constructions qui coûtent parfois 300.000 euros pièce et proposer au personnel de police une formation de quinze jours pour leur permettre de venir travailler chez nous. »
Cette cohabitation, affirme-t-il, est facilitée par le mode de travail des gendarmes : les techniciens en investigation criminelle (TIC) , contrairement à leurs homologues de la Police nationale, font à la fois l’analyse en plateau et le recueil d’indices sur le terrain. Ils n’occupent donc pas en permanence leurs locaux, ouverts à la Police dans la mesure où cette dernière que les gendarmes.
Pas d’harmonisation des modes opératoires
Un point plus épineux qu’il n’y paraît. Dans les plateaux techniques territoriaux, Police et Gendarmerie travaillent chacun à leur manière. Les formations et les modes opératoires ne sont pas harmonisés, des différences, souligne la Cour des comptes, remarque ce cadre de la Gendarmerie. La Police est bien dotée pour les traitements de masse, tandis que la Gendarmerie a mis en place un maillage territorial de proximité fin.
Vu les déclarations du ministre, l’hypothèse du statu quo a du plomb dans l’aile. Fustigeant une organisation « singulièrement complexe », les magistrats de la rue Cambon remarquent dans leur rapport que alors même que ce domaine est considéré « comme particulièrement propice aux mutualisations ». L’une des préconisations de la Cour des comptes, clarifier l’organisation jugée « sédimentaire » de la police technique et scientifique au sein de la direction générale de la Police nationale, a déjà été suivie d’effet. Annoncé en septembre 2016, un nouveau service central de la police technique et scientifique, placé auprès du directeur général de la police nationale, est créé en avril 2017.
D’autres propositions des magistrats seront-elles reprises par la Place Beauvau ? La Cour des comptes pose également la question de l’intégration de l’IRCGN au sein de l’Institut national de la police scientifique (INPS), un établissement public sous la tutelle technique du nouveau service central de la police technique et scientifique. Les experts de la Gendarmerie préparent déjà leur riposte: l’activité de l’IRCGN aurait été sous-évaluée par les magistrats de la rue Cambon, pour cause de déménagement à Cergy-Pontoise en 2015. On imagine mal la Gendarmerie laisser filer sans rien dire son joyau technique, positionné en haut du spectre. Le recours à la PTS est devenu déterminant dans les enquêtes, notamment en matière de terrorisme. ajoute la Cour des comptes. Les discussions entre les deux forces sur la mutualisation de la police scientifique, un vieux serpent de mer au ministère de l’Intérieur, s’annoncent âpres.
Gabriel THIERRY
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