Si la volonté de Yassine El Azizi n’a « jamais été de tuer un gendarme », il a néanmoins commis « une manœuvre volontaire d’intimidation directe constitutive d’une forme de violence envers Mélanie Lemée » en choisissant de lancer « un véhicule d’une tonne à 150 kilomètres/heure dans la zone de la chaussée où » la gendarme se trouvait et « en misant sur le fait » qu’elle s’écarterait.
C’est avec cette analyse des faits que le vice-président chargé de l’instruction au tribunal judiciaire d’Agen a choisi de renvoyer aux assises le conducteur du véhicule qui, en 2020, a mortellement percuté la jeune gendarme à un barrage à Port-Sainte-Marie (Lot-et-Garonne).
L’ultime pourvoi de la défense rejeté par la Cour de cassation
Dans son ordonnance de mise en accusation devant la cour d’assises du Lot-et-Garonne – que L’Essor a pu consulter – le magistrat a néanmoins requalifié les faits initialement retenus d’homicide volontaire en violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner. En décembre 2024, comme l’avait révélé Sud-Ouest, la Cour de cassation avait rejeté le pourvoi formulé par la défense en faveur d’un renvoi devant la chambre correctionnelle pour homicide involontaire aggravé, ouvrant la voie à un procès d’assises. Il se tiendra du 16 au 25 juin 2025.
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Tout a commencé le 4 juillet 2020, peu après 20h30, dans le petit village de Colayrac-Saint-Cirq. Trois gendarmes de la brigade de Port-Sainte-Marie se garent perpendiculairement à la départementale et observent le comportement des automobilistes. Une minute plus tard, ils entendent vrombir un moteur et une Clio IV gris clair leur passe sous le nez à vive allure. Ils décident de l’intercepter, et se lancent à ses trousses, gyrophare allumés et sirène hurlante. Mais l’homme seul à bord refuse de s’arrêter et prend la fuite à grande vitesse.
De multiples mises en danger des automobilistes
C’est le début d’une course-poursuite d’une dizaine de minutes qui s’étendra sur 20 kilomètres. Durant ce laps de temps, le fuyard prendra tous les risques et en fera courir de plus grands encore aux 52 autres véhicules qu’il croise ou double. Feux rouges, priorités et lignes blanches sont ignorés par Yassine El Azizi qui n’hésite pas à rouler à contresens de la circulation, parfois en créant « de fait une troisième voie centrale sur des chaussées n’en comportant que deux… », écrit le magistrat.
Pendant ce temps, un équipage composé d’un adjudant-chef et de la gendarme Mélanie Lemée décide de se positionner à la sortie de Port-Sainte-Marie, en direction d’Aiguillon, pour y mettre en place un dispositif d’interception.
Les deux gendarmes garent alors leur fourgonnette Partner face à la route par laquelle le fuyard va déboucher, sur la droite de la chaussée, phares et gyrophares en fonction.
A cet endroit, la vitesse maximale autorisée est de 80 km/h. Ils se munissent chacun d’une herse dépliable de type « Stop-stick » et, une minute plus tard, voient à la Clio sortir à tombeau ouvert d’un virage à environ 250 mètres de distance.
Mélanie Lemée décède très rapidement après le choc
Depuis le centre de la chaussée, les deux gendarmes jettent alors leurs herses en travers de la voie opposée, et tentent de se mettre à l’abri. L’adjudant-chef y parviendra, mais la gendarme Lemée est percutée par le véhicule du fuyard qui s’est déportée sur la voie opposée. Le choc est d’une telle violence que sa jambe gauche est arrachée et projetée à une cinquantaine de mètres. Sa mort n’est pas instantanée mais survient très rapidement après le choc.
Le fuyard parcourt encore quelques centaines de mètres avant de s’immobiliser et de tenter de prendre la fuite à pieds, tout en se débarrassant d’un paquet qui s’avèrera contenir près de 150 grammes de cocaïne. Il est aussitôt interpellé.
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De multiples versions successives
Durant l’enquête, les déclarations de Yassine El Azizi, aujourd’hui âgé de 31 ans, ont été « évolutives et contradictoires ». S’il n’a pas tenté de nier l’évidence – la présence de cocaïne dans son véhicule où les multiples infractions au code de la route -, il a en revanche cherché à minimiser sa responsabilité dans le choc. Il a ainsi prétendu successivement avoir vu les gendarmes lancer les herses, puis n’avoir vu que l’adjudant-chef, et enfin n’avoir vu ni l’un ni l’autre sur la chaussée. Selon lui, les freins auraient par ailleurs été inopérants et le soleil gênait en outre sa visibilité, alors que les expertises ont contredit ces deux assertions. Le véhicule étaient en effet en parfait état et la position du soleil ne créait aucun éblouissement à cette heure, d’autant que le mis en cause portait des lunettes de soleil.
Enfin, Yassine El Azizi a même assuré ne pas avoir vu la fourgonnette des gendarmes, dont les phares et gyrophares étaient en action, en raison d’une dépanneuse le précédant. Mais les images de la caméra de bord des gendarmes qui le poursuivaient ont montré qu’il n’y avait aucun véhicule devant lui.
Une conduite précise
Le mis en cause a tenté de plaider l’altération de ses réflexes liée à sa consommation de stupéfiants. Mais les experts, comme les gendarmes lancés à sa poursuite, ont tous souligné sa grande dextérité et sa maîtrise de son véhicule lors de la course poursuite. La précision des trajectoires empruntées à cette occasion a d’ailleurs plaidé en sa défaveur. Les enquêteurs ont en effet établi « qu’un écart de 4,50 mètres existait entre le bord gauche le plus à gauche des deux herses et l’accotement gauche de la chaussée » et que le véhicule de Yassine El Azizi mesurait 1,73 mètre de large.
Le juge note donc qu’« à la différence des obstacles ou difficultés s’étant présentées à lui antérieurement dans sa fuite (il) n’a cette fois-ci aucunement freiné ni décéléré, et a abordé son soudain déport à gauche, vers le véhicule de gendarmerie stationné, ‘pied au plancher’ (à au moins 150 km/h), sans centrer sa trajectoire, frôlant ce véhicule à moins d’un mètre, et laissant les herses sur sa droite à plus de deux mètres, avant de revenir après le choc fatal sur sa voie de circulation initiale ».
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Différentes options possibles pour ne pas percuter Mélanie Lemée
« Ce choix de conduite plus agressive et non centrée entre les obstacles, contrastant avec son pilotage antérieur, témoigne incontestablement d’une détermination accrue à ‘forcer’ à tout prix le barrage de gendarmerie », relève le magistrat. Il insiste sur les autres options qui s’offraient au fuyard: « contourner les herses par la droite via le large accotement herbeux se transformant rapidement en une petite aire bitumée » ou, « surtout, lever le pied, décélérer un peu, voire freiner, et centrer plus précisément son passage en force, donnant ainsi plus de chances à la victime de pouvoir atteindre le bas-côté vers lequel elle se dirigeait » lors de l’impact.
Ainsi, conclut le juge, « le choc ayant emporté Mélanie Lemée est donc bien la résultante d’un choix volontaire agressif de trajectoire de Yassine El Azizi formé dans les trois dernières secondes avant l’impact funeste. Cela dépasse la simple volonté de causer un risque à autrui, et ne répond en aucun cas aux caractéristiques d’un homicide involontaire au sens pénal que revendique sa défense ».
La cour d’assises examinera tous ces éléments en juin 2025 pour décider ou non de la culpabilité du mis en cause.
MG