Un beau soir de 1986, un jeune homme complètement saoul titube jusqu’à l’entrée du fort Saint-Nicolas, tout au bout du port de Marseille. Christophe Beller, tout juste 20 ans, vient d’écumer la plupart des bars du port croisés depuis sa descente du train à la gare Saint-Charles. Il arrive de sa Bretagne natale avec un rêve en tête: la Légion étrangère, où il compte bien s’engager ce soir, en dépit de son alcoolémie avancée.
"J’ai toujours voulu être dans l’armée, même tout gamin", se souvient cet homme de 56 ans aujourd’hui. Pourtant ses parents n’étaient pas militaires. Enfant, Christophe Beller alimente sa passion en dévorant des livres sur la Légion, et même des journaux de marches et d’opérations récupérés dans les bibliothèques ou auprès d’associations d’anciens combattants. Fasciné par "ces étrangers qui servent la patrie avec abnégation", il "garde toujours cela dans un coin de la tête". Lorsqu’il rencontre des difficultés dans les études, sur fond de "rapports tendus avec les parents", il arrête le lycée et opte pour "la Légion, l’école de la vie".
Il reçoit la nationalité suisse et finit major de promotion
C’est ainsi qu’il se retrouve à tambouriner à la porte du fort Saint-Nicolas. Un légionnaire portugais lui ouvre et lui demande ce qu’il veut. "Je veux m’engager", lui répond Christophe Beller. "Tu as l’air saoul. Tu vas dormir et on verra demain matin." Après une nuit dans le poste de garde, le jeune homme n’a pas changé d’avis. Sa nouvelle vie commence.
Testé et sélectionné à Aubagne, il reçoit de vrais faux papiers et la nationalité suisse – la Légion ne recrute théoriquement pas de Français. Christophe Beller est ensuite envoyé au centre d’instruction de Castelnaudary pour y faire ses classes. Il "en bave", mais finit major de promotion et peut choisir le 2e régiment étranger de parachutistes (REP) à Calvi.
Il y est affecté à la 4e compagnie, qui rassemble les tireurs d’élite et les spécialistes des explosifs. Il y est encadré par des "officiers haut de gamme, souvent majors de leur promotion de Saint-Cyr". Un de ses lieutenants de l’époque, Thierry Burkhard, deviendra d’ailleurs l’actuel chef d’état-major des armées. De ses années de Légion, il se souvient notamment de ses missions à Djibouti, "enterré dans le désert", sous "des températures à cuire un œuf sur le casque", à surveiller si des caravanes d’armements tentaient de passer la frontière avec l’Ethiopie.
C’est en Guyane que sa vie prend une autre tournure. Alors qu’il est affecté au 3e régiment étranger d'infanterie (REI) à Kourou, Christophe Beller rencontre les gendarmes mobiles qui assurent la protection du site spatial. En discutant avec eux, il se laisse d’autant plus tenter par une reconversion qu’il vient de rencontrer celle qui deviendra son épouse. "A la Légion, la vie de famille est particulière", résume-t-il d’une litote. Son choix est fait et, en 1993, il pousse la porte de l’école de sous-officier du Mans.
Le rythme de travail des gendarmes mobiles paraît doux à l’ancien légionnaire
Lors de son départ, ses chefs lui ont dit: "La porte est grande ouverte, tu reviens quand tu veux." Christophe Beller hésitera beaucoup tant le changement de mentalité est important. "Ce n’est pas du tout la même ambiance, chacun travaille dans son coin", se souvient-il. Contrairement à nombre de ses camarades, il est par ailleurs surpris par "le manque de rigueur"! Il sort dans les premiers et opte pour l’escadron 21/7 de Strasbourg, dissous depuis.
Le rythme de travail des mobiles paraît doux à l’ancien légionnaire. "Quand j’étais en Corse, j’avais entre quinze et vingt jours de congé et j’avais du mal à rentrer sur le continent. Là, même en partant quatre à cinq mois par an, j’avais encore énormément de temps à consacrer à ma famille."
Il part ensuite à Châtellerault, dans l’escadron 23/4. En 2000, il s’envole pour l’Angola, à l’ambassade de France à Luanda. "Un joli port de pêche", dit-il en riant, avant de préciser que ses trois ans sur place se sont déroulés "en pleine guerre civile". Il rejoindra ensuite l’escadron 32/3 de Luçon, en Vendée, puis celui de Pontivy, dans le Morbihan.
En 2008, il a 42 ans, il vient de divorcer et, devenu adjudant, il est au maximum de cotisation pour sa retraite. C’est l’occasion de faire le point sur sa carrière, d’autant que, "physiquement, je sentais que ça tirait après vingt-trois ans d’armée". Il bascule donc dans la fonction publique territoriale comme responsable sécurité de la commune de Ploermel, dans le Morbihan. En 2015, il prendra la responsabilité des infrastructures du département, soit 250 bâtiments.
"Un alignement de planètes"
Cinq ans plus tard, il décide de finir sa carrière comme il l’a commencée: sur une île, mais bien éloignée de la Corse de ses débuts. Christophe Beller devient en effet responsable de la sécurité et de la sûreté des six hôpitaux de l’île de Mayotte, située entre Madagascar et le Sud du continent africain. Il reconnaît qu’il s’agit d’un "gros challenge", avec plus de 150 agents sous sa responsabilité, dont 50 fonctionnaires chargés de la sécurité incendie et 100 agents d’une société extérieure qui assurent la sécurité des sites.
Sa charge est "intense", mais Christophe Beller y voit comme "un alignement de planètes ", puisque, ici, se trouve réuni "tout ce que j’ai appris à la Légion étrangère et à la Gendarmerie sur la sécurité, le management et la méthodologie".
Pour le long terme, ses projets sont de "raccrocher dans deux ou trois ans" et de retourner dans sa Bretagne natale. Il aura plus de temps pour profiter de ses "anciens collègues gendarmes déjà retraités" et, sûrement, beaucoup d’histoires à raconter !