[EXCLUSIF L’ESSOR] La cour administrative d’appel de Toulouse donne trois mois au ministère de la Justice pour réexaminer son refus d’attribuer la médaille nationale de reconnaissance aux victimes du terrorisme à six gendarmes, otages à Ouvéa en 1988. En première instance en juillet 2023, le tribunal administratif (TA) de Montpellier avait rejeté la demande de ces anciens gendarmes.
Extinction de l’action publique pour cause d’amnistie
Ce dossier s’était ouvert le 28 septembre 2020. Le ministère de la Justice, qui gère cette décoration, avait alors refusé à quatorze gendarmes de leur attribuer cette médaille. Ces militaires avaient été blessés lors des évènements meurtriers de Fayaoué et de Gossanah, en avril 1988 sur l’ile d’Ouvéa (Nouvelle-Calédonie).
Six d’entre eux avaient alors intenté un recours devant le TA de Montpellier. Mais celui-ci avait finalement rejeté leur demande le 13 juillet 2023. La juridiction s’appuyait sur les mêmes motifs que ceux avancés par le ministère de la Justice. À savoir l’extinction de l’action publique pour cause d’amnistie, prononcée après les évènements. Mais aussi l’absence de qualification terroriste dans la procédure judiciaire, interrompue du fait de l’amnistie.
Erreur de droit
Dans son jugement rendu le mardi 1er juillet 2025, la cour administrative d’appel dit que la première juridiction s’est fondée uniquement sur l’absence de qualification juridique des faits en actes de terrorisme par le juge pénal. Et sur l’intervention des lois d’amnistie qui ont mis un terme à la procédure pénale. Les juges d’appel affirment donc que « l’administration s’est placée en situation de compétence liée ».
Toutefois, poursuit la cour d’appel, les dispositions du décret du 12 juillet 2016 créant la médaille nationale de reconnaissance aux victimes du terrorisme, dans leur version issue du décret du 6 mars 2019 modifiant le décret du 12 juillet 2016, « ne font pas obstacle à la faculté ouverte à l’administration de procéder à une telle qualification ». Notamment pour des faits qui n’ont pu être qualifiés comme tels par le juge pénal. « En se limitant à opposer aux requérants les motifs ainsi énoncés, sans procéder à une appréciation des mérites de sa demande, l’administration a entaché sa décision d’une erreur de droit », conclut la cour d’appel.
« Une grande victoire »
Pour Me Manuel Gros, avocat des six gendarmes, cet arrêt constitue « une grande victoire pour mes clients« . Me Gros avait d’ailleurs plaidé le 20 mai 2025, lors de l’audience « l’erreur de droit et l’erreur d’appréciation ». Il avait en effet souligné que l’amnistie n’efface pas les faits. Il avait par ailleurs relevé que les familles de deux gendarmes tués en Corse, dans des attentats, avaient bien obtenu la médaille de reconnaissance aux victimes du terrorisme.
Par ailleurs, la cour administrative d’appel enjoint l’Etat de verser à chacun des six requérants la somme de 1.000 euros.
Le 22 avril 1988, 35 indépendantistes attaquent par surprise la brigade de Fayaoué, sur l’ile d’Ouvéa. Ils tuent quatre gendarmes et blessent grièvement un cinquième. Le commando emmène ensuite 27 gendarmes en otages et emporte l’arsenal de la brigade. Douze otages sont relâchés à Mouli, dans le sud de l’île, trois jours plus tard. Parmi eux figurent les six requérants. Les quinze autres sont emmenés dans le nord de l’île. La libération des otages de la grotte de Gossanah interviendra le 5 mai, après un assaut sanglant (21 morts, soit 19 indépendantistes et deux militaires du 11e Choc).
Les otages seront soumis à des simulacres d’exécution leur laissant de graves traumatismes psychiques avec des conséquences sur leur vie professionnelle et privée. Les requérants n’admettent donc pas de ne pas être reconnus comme victimes d’un acte terroriste manifeste
Une décoration décernée depuis sept ans
Le décret n° 2016-949 du 12 juillet 2016 a créé la Médaille nationale de reconnaissance aux victimes du terrorisme. Elle est accordée aux Français tués, blessés ou séquestrés lors d’actes terroristes commis en France ou à l’étranger. Elle est aussi attribuée aux étrangers. Les conditions sont identiques mais, à l’étranger les actes terroristes doivent avoir visé les intérêts de la République française. Elle doit être demandée par la victime ou, en cas de décès, par sa famille.
Depuis la première attribution le 1er juin 2018, près de 1.100 personnes ont reçu cette médaille. Elle figure au 5ème rang de la liste protocolaire des décorations. La Légion d’honneur, l’ordre de la Libération, la Médaille militaire et l’ordre national du Mérite la précédent.
PMG
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