Collègue ou camarade ? Le général Jacques Plays, commandant en second la région de gendarmerie d’Ile-de-France et commandant en second de la Gendarmerie pour la zone de défense et de sécurité de Paris, a fait son choix. Et il le souligne dans une publication sur le réseau social professionnel Linkedin, où il rappelle à l’ordre bon nombre de ses camarades gendarmes, dans la bouche desquels il entend de plus en plus régulièrement le mot "collègue" pour se désigner entre eux. "Je ne peux pas le comprendre", explique-t-il en introduction. "Je suis soldat depuis 37 ans et je n’ai pas de collègues, uniquement des camarades." Le ton est donné.
Analyse sémantique
Un rappel important, car si les deux mots, catégorisés de synonymes, sont régulièrement confondus, leur sens n’est pas le même. Il suffit pour cela de consulter leur définition dans un dictionnaire, comme par exemple Le Robert :
- Collègue : Personne qui exerce la même fonction qu'une autre ou appartient au même établissement.
- Camarade : Personne qui a les mêmes occupations qu'une autre et des liens de familiarité avec elle. Une seconde définition du mot “camarade” évoque l’appellation utilisée dans certains syndicats et partis politiques de gauche.
Au sein de l’univers de la défense et de la sécurité, le premier évoque davantage le contingent civil et la corporation des fonctionnaires de police, tandis que l'autre va au-delà de la simple relation de travail, soulignant un lien presque familial, et qui soutient l’ensemble formé par les militaires, y compris les gendarmes.
La camaraderie est l’un des fondements de notre Institution car elle contribue à assurer la solidité et la résilience du Corps.
Général Jacques Plays
Le général Plays va plus loin dans sa démonstration, en revenant sur la construction même du mot camarade, “qui trouve son étymologie dans la «chambrée de soldats», de l'espagnol «camarada» («chambrée»), mot dérivé de «camara» («chambre»)”. Le mot “camarade” est donc empreint de militarité et s'inscrit dans l’ADN du gendarme.
Une analyse que prolonge l’officier général: “Dans l’armée en général et en gendarmerie en particulier, puisque nous vivons casernés en famille, nous partageons bien plus qu’un métier commun. L’appréhension du danger en intervention, la nécessité de se faire confiance mutuellement, la cohésion de l’équipe, prendre soin de l’autre à tout moment… tout cela nécessite de construire une relation qui dépasse largement le pur cadre professionnel. La camaraderie est même l’un des fondements de notre Institution car elle contribue à assurer la solidité et la résilience du Corps.”
Retraites : comme les autres Français, les gendarmes devront « travailler plus »
Une référence connotée
Et la publication de l’officier général n’a pas manqué de faire réagir, récoltant à ce jour près de 900 réactions et plus d’une centaine de commentaires.
Si la plupart des commentateurs souscrivent aux propos du général, certains viennent en contradiction comme ce gendarme qui réplique que “dans (ses) souvenirs, c'est en Russie qu'on s'appelle camarade ou à la CGT”. Point de vue auquel le général répond: “Je ne vous souhaite pas nécessairement de vous rendre compte de votre erreur car il se trouve que c'est souvent dans le malheur qu'on découvre la force de la camaraderie…”.
Comme ce commentateur, certains gendarmes avouent également leur malaise à employer le mot “camarade”, qui fait raisonner en arrière-plan l’appellation imposée par les régimes communistes pour désigner leurs citoyens. Une appellation également régulièrement utilisée dans le milieu syndical de nos jours, symbolisant la notion de camarades de lutte.
Quant à la notion de “frère d’arme”, plébiscitée par certains, elle renvoie, pour le général, à “une autre dimension” qui “nécessite sans doute d'avoir partagé des épreuves plus dures que celles du quotidien”.
L’insolite histoire d’amour entre une militante antifasciste et un gendarme
Marqueur générationnel
Au-delà de la définition et de l’origine des mots “collègue” et “camarade”, l’utilisation de l’un plus que l’autre semble aussi être un marqueur générationnel et sociétal. À l’image de la société, où l’individualisme prend chaque jour plus d’ampleur, les nouvelles générations de gendarmes semblent moins concernées par l’esprit de camaraderie qui prévalait au sein de l’Arme. Un constat qui doit alerter car au-delà des mots, c’est peut-être l’avenir du modèle de la Gendarmerie qui est en jeu. Ce rapport, le général Plays le fait également en concluant son texte comme un appel au retour aux fondamentaux: “stop aux dérives de langages qui, oubliant la sémantique et la valeur des mots, nous entraînent progressivement vers le délitement de ce qui fait de la Gendarmerie nationale «Une force humaine»! Je n’ai pas de collègues, je n’ai que des camarades!”
D’ailleurs, répondant à d’autres commentaires, le général confirme que cet écart de langage n’est pas le seul point à revoir dans les rangs de l’Institution. Selon lui, d’autres aspects, comme le port réglementaire de la tenue –à commencer par la coiffe par exemple–, mériteraient ainsi un autre rappel à l’ordre. Une idée pour un prochain billet peut-être.