Parquet spécialisé, nouveau régime carcéral d’isolement, mesures répressives et outils pour les enquêteurs : la proposition de loi contre le narcotrafic, adoptée mardi 1er avril par les députés, contient de nombreuses dispositions ayant clivé l’hémicycle, au nom de la défense des libertés publiques et des droits de la défense. Le texte a été approuvé par 436 voix contre 75.
Certaines mesures ont été supprimées par rapport à la copie sénatoriale, notamment celle qui visait à contraindre les services de messagerie chiffrée (Signal, WhatsApp…) à communiquer les correspondances des trafiquants aux services de renseignement. D’autres ajoutées comme le nouveau régime carcéral d’isolement pour les gros trafiquants.
Parquet spécialisé
Au coeur de la proposition de loi: la création d’un parquet national anticriminalité organisée (Pnaco), relativement consensuelle, qui devrait voir le jour en juillet 2026. Sur le modèle des parquets financier (PNF) et antiterroriste (Pnat), le Pnaco serait saisi des crimes les plus graves et complexes.
Nouveau régime carcéral d’isolement pour le narcotrafic
Le texte prévoit de créer des quartiers de haute sécurité dans les prisons, où seraient affectés les trafiquants les plus dangereux. Cela sur décision du garde des Sceaux, après avis du juge de l’application des peines pour une personne condamnée. Un magistrat instructeur pourra aussi s’y opposer pour une personne prévenue.
La durée d’affectation à ces quartiers à été ramenée dans l’hémicycle à deux ans renouvelables (quatre initialement), suivant un avis du Conseil d’Etat. Ce régime, inspiré des lois italiennes antimafia, prévoit des fouilles intégrales en cas de contacts sans surveillance d’un agent, même si les administrations conserveront une latitude pour adapter le principe. Un accès restreint au téléphone, ou une interdiction d’accès aux unités de vie familiale et parloirs familiaux sont également prévus.
Dossier-coffre pour les enquêtes sur le narcotrafic
Décriée par la gauche et les avocats, mais défendue par le gouvernement : la création lors des enquêtes d’un procès-verbal distinct, ou dossier-coffre, pour ne pas divulguer certaines informations aux trafiquants et à leurs avocats.
La date, l’heure, le lieu d’utilisation de techniques spéciales d’enquête (sonorisation, captation des données informatiques…) seraient inscrites dans un PV distinct. Tout comme l’identité de personnes ayant concouru à l’installation.
Après avis du Conseil d’Etat, le dispositif a été restreint aux cas de nature à mettre en danger la vie ou l’intégrité physique d’une personne. Les éléments recueillis ne pourraient pas être utilisés pour une condamnation sans que le PV distinct soit révélé. Sauf si ces éléments sont absolument nécessaires « à la manifestation de la vérité ».
Renseignement algorithmique
Le texte prévoit une expérimentation pour recourir au renseignement algorithmique, technique déjà autorisée pour la prévention du terrorisme et des ingérences étrangères. Elle vise à permettre l’analyse d’un volume très important de données à l’aide d’un algorithme, pour produire des alertes révélant possiblement une menace. Un pas « vers une surveillance généralisée », selon la gauche.
Activation à distance
Autre mesure technologique : la possibilité, dans le cadre d’une enquête, d’activer à distance un appareil électronique, à l’insu de son propriétaire, afin de procéder par exemple à des écoutes. Une telle technique ne pourrait concerner les appareils mobiles d’un député, sénateur, magistrat, avocat, journaliste ou médecin.
Repentis
Les députés ont voté pour un régime plus attractif du régime des repentis, personnes impliquées dans des réseaux mais collaborant avec la justice. Avec le nouveau dispositif, elles pourraient voir leur peine réduite jusqu’à deux tiers. Il est également élargi aux personnes ayant commis un crime de sang.
Visioconférence pour la comparution en cas de narcotrafic
Pour la comparution des narcotrafiquants les plus dangereux, le recours à la visioconférence deviendrait la règle. Cette mesure vise à prévenir les risques d’évasion (après celle meurtrière du narcotrafiquant Mohamed Amra en mai 2024).
Interdiction de paraître
Les préfets pourraient prononcer une interdiction de paraître d’un mois maximum dans les lieux liés à des activités de trafic de stupéfiants pour les personnes y participant. Le préfet pourrait aussi saisir un juge pour faire expulser de son logement toute personne dont les agissements en lien avec des activités de trafic de stupéfiants troublent l’ordre public.
Fermetures de commerces
Le texte permet aux préfets de décider la fermeture administrative de commerces soupçonnés de blanchiment. Elle pourra durer jusqu’à six mois et le ministre de l’Intérieur pourra la prolonger de six mois. Les députés ont adopté un amendement du Rassemblement national, contre l’avis de Bruno Retailleau. Il permet aux maires de procéder à de telles fermetures administratives, ramenées dans ce cas à un mois.
Par Lucie AUBOURG (AFP)
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