<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Le glaçant scénario de l’assassinat de Magali Blandin

Photo : Magali Blandin

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Le glaçant scénario de l’assassinat de Magali Blandin

par | Le glaçant scénario de l’assassinat de Magali Blandin, Société

Par Gabriel Thierry – DESSINS DIAMATITA

 Ce jeudi 11 février 2021, à Pleumeleuc, en Ille-et-Vilaine, la psychologue s’impatiente. Magali Blandin, l’une de ses patientes, devait venir pour 10 heures. Il n’y a toujours personne. Rien de grave, cela arrive. Mais ce qui est moins banal et bien plus inquiétant, c’est de ne pas aller, le lendemain, chercher ses bambins à l’école – la mère de famille a quatre enfants, âgés de 3 à 14 ans. C’est Aurélie, une collègue de Magali, éducatrice spécialisée, qui le signale aux autorités. L’école vient de l’alerter. Alors que Magali, qui vient de se séparer de son mari, a la garde des enfants ce week-end, personne n’est venu les chercher. « Ce n’est pas normal », convient Jérôme, le père, aux gendarmes, selon Le Parisien. « Même si nous sommes en bataille pour la garde et le divorce, c’est une très bonne mère. »

 Une enquête pour disparition inquiétante est aussitôt ouverte et confiée aux gendarmes de la brigade de recherches de Montfort-sur-Meu, la ville où vit Magali, à une trentaine de kilomètres à l’ouest de Rennes. Les militaires lancent un appel à témoin pour retrouver cette femme souriante, menue, aux cheveux châtain clair mi-longs.

 Selon les premiers éléments de l’enquête, Magali est partie de chez elle, le jeudi vers 10 heures, à pied. Grâce à son téléphone, les enquêteurs tracent un premier itinéraire.

 La mère de famille aurait marché vers le nord, dans le bocage, pas très loin d’un cours d’eau. Pas plus étonnant que cela : comme le rapporte à l’époque France Bleu, la quadragénaire fait souvent des randonnées. Elle aurait donc pu vouloir arpenter la campagne enneigée, un spectacle rare en Ille-et-Vilaine.

Les gendarmes procèdent d’abord à plusieurs battues et font appel à des plongeurs.

 Deux cours d’eau sont sondés, tandis que les militaires et des centaines de bénévoles arpentent les champs. A ce moment-là, les autorités judiciaires restent très prudentes, aucune hypothèse n’est écartée : accident de randonnée, piste criminelle – même s’il n’y a aucune trace suspecte dans son appartement –, disparition volontaire, ou encore suicide, la justice et les gendarmes planchent tous azimuts.

 Toutefois, comme le signale le parquet de Rennes qui demande l’ouverture d’une information judiciaire, la mère de famille a déjà un dossier ouvert par la justice, qui avait mis en place un accompagnement. Cinq mois auparavant, Magali Blandin a en effet porté plainte pour violences conjugales contre son mari. Mais l’affaire avait été classée sans suite.

 « Désespérant et révoltant »

« Le couple venait de se séparer. Elle a été tuée à coups de batte de baseball. Elle avait déposé plainte pour violences. Rien ne change.

C’est désespérant et révoltant », avait déploré sur Twitter la sénatrice socialiste Laurence Rossignol. « Dire que la justice ne fait pas son travail et que rien ne change, c’est très injuste », avait répondu le procureur de Rennes, Philippe Astruc.

 La tâche des magistrats n’était pas si simple : la mère de famille avait admis des violences réciproques, il aurait donc fallu la poursuivre aussi. Mais l’infraction avait été jugée insuffisamment caractérisée. « Généralement, les violences, ce sont plus des bousculades, des insultes en tout genre, des dénigrements », avait expliqué Magali. Autant d’éléments qui peuvent être insuffisants pour obtenir une condamnation en justice. Ce qui explique le choix du parquet de Rennes de mettre en place un accompagnement en saisissant des associations et un intervenant social.

En février 2021, dans la campagne rennaise,  Magali Blandin, mère de quatre enfants, vient de disparaitre. Les gendarmes sont chargés de l'enquete.

« UNE revendication de liberté insupportable »

A posteriori, la procédure donne toutefois un éclairage inquiétant sur la disparition. Comme le raconte Le Monde, les deux époux s’étaient écharpés à propos du compte bancaire qu’avait ouvert Magali, à l’été 2020, pour y recevoir son salaire. Jérôme Gaillard, son mari, n’avait pas apprécié. « Une revendication de liberté insupportable à ceux qui conçoivent leur conjoint comme un objet », résume auprès du quotidien du soir William Pineau, l’avocat de la famille Blandin. La discussion sur le compte bancaire avait viré à la dispute. Jérôme, selon la plainte de Magali, après lui avoir crié dessus en lui demandant de lever la tête, soulève brusquement le banc où elle est assise, la faisant valser sur les fesses. « J’ai eu très mal », explique-t-elle, avant d’indiquer avoir été empêchée d’appeler le 17.

 Des violences qui feraient d’ailleurs suite à plusieurs précédents, dans un contexte de dénigrement et d’injures. La quadragénaire n’en peut plus. Elle fuit d’abord chez ses parents, avant de louer un appartement à Montfort-sur Meu. Puis elle demande le divorce.

 Un mari jaloux et violent, une épouse qui essaie de reprendre sa liberté… Pour les gendarmes chargés de l’enquête – désormais ce sont les enquêteurs de la section de recherches de Rennes qui planchent sur l’affaire –, c’est évidemment un très gros point d’attention. Pourtant, comme le rapporte Le Télégramme, Jérôme Gaillard a un alibi. Il était chez lui, à quelques dizaines de kilomètres de là, à mi-chemin entre Montfort-sur-Meu et Dinan, au moment de la disparition : la preuve, il a appelé avec son téléphone mobile.

 De même, il y a eu des connexions à Internet actives depuis son domicile. Et pourtant…

 Alors que Magali Blandin est toujours introuvable, Jérôme Gaillard va se retrouver au premier plan du dossier.

 Quelques semaines après la disparition de son épouse, le père de famille frappe à la porte du juge d’instruction, au début du mois de mars.

 Il a des choses à dire, indique-t-il. Pas vraiment sur la disparition en tant que telle. Non, il explique que des Géorgiens tentent de le faire chanter. Ses parents, rappelle Le Parisien, viennent de recevoir une lettre de menaces. « On peut te détruire, nous savons ce que tu as projeté de faire », est-il écrit. La missive est accompagnée d’une clé USB où l’on retrouve plusieurs enregistrements. On y entend Jérôme Gaillard expliquer qu’il n’a plus d’autre choix que de tuer sa femme. Les maîtres-chanteurs demandent 15 000 euros en liquide contre leur silence.

 Des maîtres-chanteurs

Etonnante, cette tentative d’extorsion.

 La justice n’est pas dupe. Mais avant de questionner Jérôme Gaillard sur les raisons qui auraient pu le pousser au meurtre, il s’agit de mettre la main sur les maîtres-chanteurs pour pouvoir interroger tous les protagonistes.

 Après des surveillances des suspects, l’époux leur donne rendez-vous dans le quartier de Maurepas, à Rennes, le 14 mars. Le coup de filet du GIGN, appelé à la rescousse pour l’occasion, est un succès. Deux hommes et une femme sont arrêtés, suivis, quelques jours plus tard, par un quatrième comparse. Les enquêteurs vont désormais pouvoir entendre Jérôme Gaillard en garde à vue. Les gendarmes de la section de recherches, dirigée alors par le colonel Florian Manet, ont l’habitude de travailler sur des meurtres. Mais l’affaire a ici aussi des parfums de crime organisé.

 Comme le signale Le Télégramme, le mari de Magali Blandin va craquer au deuxième jour.

 Si, ce jeudi 11 février, Magali n’a pas pu se rendre chez sa psychologue, c’est parce qu’il l’attendait, tapis dans l’ombre de l’escalier de son petit immeuble. Il l’aurait frappée deux fois à la tête avec sa batte de baseball. Puis il a transporté le corps de sa femme dans un bois, à quelques kilomètres de Montauban-de-Bretagne, près de chez lui, pour l’enterrer avec de la chaux.

Le témoin qui avait vu la jeune femme partir à pied s’était trompé. Quant aux coups de téléphone et à la navigation Internet, c’était en réalité son père, Jean. Sa mère, Monique, aurait été réquisitionnée pour acheter deux sacs de 25 kilos de chaux. Jérôme dira ensuite avoir acheté lui-même cette matière première destinée à faire disparaître le cadavre.

 Les parents de Jérôme Gaillard étaient pourtant décrits par leurs voisins, rapporte Ouest-France, comme « un couple tranquille », des gens « ouverts » et « discrets ».

 Dans un premier temps, Jérôme tente de minimiser l’aide de ses parents. « Arrête tes mensonges », s’énerve Monique devant le juge d’instruction David Benichou, plusieurs mois plus tard, lors de la confrontation. Les parents de Jérôme, des septuagénaires à la retraite, ne veulent plus se taire. Oui, ils ont aveuglément suivi leur fils, alors que ce dernier leur avait confié depuis plusieurs mois vouloir tuer son épouse.

 Apeurés, Jean et Monique craignaient que Jérôme ne se suicide. Comme leur autre fils. « J’aimais profondément ma femme, lâche Jérôme, rapporte Le Parisien. Pour moi, le seul moyen de garder Magali, c’était de prendre sa vie.  » Au juge d’instruction, il précisera encore  : « Je sais que j’ai une vision archaïque de la famille, c’est-à-dire que, pour moi, une famille, c’est papa, maman et les enfants.

 Je n’imaginais pas élever mes enfants sans leur mère à côté d’eux ni proche de moi. »

 Et le magistrat de s’étonner : « Quitte à ce que ce soit proche d’un cadavre et non pas de leur mère vivante ? »

La mère de famille aurait disparu près d'un cours d'eau, des plongeurs spécialisés sont appelés à la rescousse.

Une impasse psychologique

« Il n’a pas supporté que sa femme refasse sa vie », résume alors à la presse son avocat, Jean-Guillaume Le Mintier. « Il s’est retrouvé dans une impasse psychologique suite au départ de sa femme. Sans Magali, il disait n’être plus rien. Il n’a pas supporté qu’elle le quitte et n’a pas supporté qu’elle quitte ses enfants », poursuit-il.

 Une jalousie intense, repérée par Magali. Dans son journal intime, les enquêteurs ont retrouvé des notes glaçantes, rapportées par Le Parisien. « Je sens qu’il se trame des choses du côté de mes fils et de leur père. Il a une longueur d’avance. Il a prévu ses coups. Il avance ses billes. Il veut agir avant pour empêcher le divorce. Mais quand je lui aurai dit que je refuse de revenir, que fera-t-il ? Cherchera-t-il à m’éliminer ? Il est adepte des phrases “pas de corps, pas de crime”, ou “pas de preuve, pas d’affaire”. “Pas de femme, pas de divorce”, ça sonne bien dans sa logique. La situation ne va qu’empirer le mois prochain. »

 Dans un texte poignant publié en ligne, ses anciens collègues diront leur regret éternel de « n’avoir pu mesurer le danger » qui la cernait. Mais auraient-ils pu l’anticiper ?

 Car si l’assassinat de Magali Blandin a toutes les caractéristiques d’un féminicide – 143 morts violentes au sein du couple avaient été recensées par les services de police et les unités de gendarmerie en 2021 –, ses ingrédients sont particulièrement retors.

 Le crime a en effet été méticuleusement préparé, faisant de l’affaire un dossier hors-norme.

 Tout avait pourtant si bien commencé.

 En juin 1996, Jérôme et Magali se rencontrent dans une discothèque de Montauban-de-Bretagne, le Tremplin, à l’ouest de Rennes.

 Le premier est un grand brun séducteur, fils d’éleveurs de vaches laitières. La seconde, une jolie fille blonde, menue, de 1,50 mètre, originaire de Bain-de-Bretagne, au sud de Rennes. Les deux jeunes s’aiment et vont avoir quatre enfants.

 Le premier naît en 2006, dix ans après leur rencontre. Ils s’installent dans la longère familiale des Gaillard, à Montauban-de-Bretagne, qu’ils vont retaper. Aurélie, une amie de Magali, racontera à France Bleu les soirées barbecue et poker passées là-bas. Elle était « très attentionnée avec ses enfants,

se souvient-elle. Elle adorait cultiver la terre et voulait les nourrir avec ses fruits et légumes, poursuit-elle. Il n’y avait pas de piscine, et un jour elle a rempli un abreuvoir pour faire un bassin. » L’avocat de la famille de Magali

se souviendra également d’elle dans une interview au Télégramme :

« C’était une fille proche de ses parents, proche de sa sœur cadette, proche de sa cousine. Une amie proche aussi.

 Une collègue de travail gaie. C’était une femme joyeuse, sympathique, extraordinairement ordinaire. »

Violences psychologiques

Mais plus les années passent, plus les chemins de Magali et de Jérôme divergent. Magali s’épanouit dans son métier de travailleuse sociale. Ses collègues louent son « engagement entier » et sa joie de vivre. « Ta joie de vivre, illustrée par ta gourmandise, nous a toujours égayés », poursuivaient-ils à l’occasion de la cagnotte en ligne destinée aux quatre enfants, avant de louer sa bienveillance, son respect, son écoute et sa douceur.

 Le portrait de Jérôme est bien différent.

 S’il paraît sympathique au premier abord, il peine à trouver sa place. Et en privé, avec sa femme, il se montre autoritaire, parfois insultant, et des fois violent. Elle fume une cigarette dehors ? Il lui demande de se déshabiller avant de rentrer dans la maison pour se laver. Et quand elle refuse

et rentre à l’intérieur, il l’asperge d’un produit pour chaussures. Un proche du couple brossera enfin, à Actu.fr, le tableau d’un « pervers narcissique ». « En apparence, tout se passait bien, explique-t-il. Jérôme passait pour un bon mari, un bon père. Mais en coulisses, il poussait Magali à bout en exerçant sur elle des violences psychologiques. »

 A côté de cela, comme le raconte Le Télégramme, Jérôme Gaillard est volage.

Il entretient pendant cinq ans une liaison avec une Rennaise, signale le quotidien breton, à qui il faisait croire qu’il était déjà séparé. Menteur, le séducteur accumule en réalité les échecs.

 Il se rêve ainsi cinéaste. Après avoir lancé sa boîte de production, il a écrit un scénario, Ego Sum. A posteriori, le script fait étrangement écho avec ce qu’il s’est passé en Ille-et-Vilaine, bien des années plus tard. Jérôme Gaillard raconte l’histoire d’un père de famille qui finit par basculer dans la folie avant de tuer sa femme, pour qui il avait pourtant tout sacrifié. « Tel un chasseur, il traque sa proie et y prend un grand plaisir, écrit-il, rapporte Le Parisien. L’homme, tel un félin, bondit de sa cachette et fait face à elle. Surprise, elle pousse un cri d’effroi vite étouffé par les mains de son agresseur qui lui porte un coup violent au visage. Elle s’évanouit sous le choc. L’homme la traîne alors dans les bois. Puis il regarde le visage de sa victime : il s’agit de sa femme. » « Pour la première fois au cinéma », on va incarner « le tueur par caméra interposée » pour ne pas être un simple spectateur, précise-t-il. Mais le projet n’intéresse guère. Et son entreprise, Filmapart, créée en juin 2008, périclite rapidement. 

Des références illustres

Signe de ses grandes ambitions, le nom de l’entreprise était une double référence au film Bande à part, de Jean-Luc Godard, et A Band Apart, la société de production du célèbre réalisateur Quentin Tarantino. Comme l’indique un des actes de création de l’entreprise, celle-ci a pour objet la production, la réalisation, le montage et la vente de films, que ce soit des courts ou des longs métrages. Selon les statuts, Jérôme Gaillard apporte 45 000 euros en espèces pour abonder au capital de l’entreprise, une sacrée somme pour quelqu’un qui n’a pas vraiment d’expérience professionnelle.

Sa carrière dans le cinéma étant tombée à l’eau, Jérôme, sans emploi, se consacre surtout à la rénovation de sa maison. Et il loue les quatre hangars à côté, pour, par exemple, garer sa caravane en hiver.

 Le Bretillien compte d’ailleurs dans ses clients des Géorgiens. L’un d’entre eux, Giorgi, un mécanicien trentenaire condamné pour des infractions routières et des vols, a même habité pendant quelques mois dans l’un des hangars.

 

Des affaires louches

Drôle de studio. Giorgi, 30 ans, père de deux enfants, s’est installé ici, entre les épaves, après que son garage ait fait faillite. Ses affaires sont plutôt louches, en témoigne un alibi présenté pour contester le fait qu’il ait pu surveiller Magali la veille de sa mort : il explique à la justice avoir accompagné des complices pour aller voler du carburant pas très loin.

 Comme le raconte Le Télégramme, il n’est pas le seul à passer par le hangar.

Des Géorgiens se succèdent : ce serait un ami, un cousin, ou un frère. Des passages suspects, qui donnent l’impression que la tranquille longère est devenue l’épicentre d’un trafic douteux de pièces de voiture volées.

Courant novembre, Jérôme rappelle Giorgi pour une histoire de vente de tractopelle. Il lui raconte qu’au début du mois, il a revu Magali devant une conseillère conjugale. Il a découvert alors que sa femme avait déjà tourné la page.

 « A ce moment-là, j’ai su que je l’avais perdue », dira-t-il plus tard
. Comme l’explique France Bleu, il raconte à Giorgi que son couple vient de sombrer, le départ de Magali.

 Selon la presse, le Géorgien ne se montre guère optimiste : Jérôme pourrait perdre sa maison – celle qu’il a rénovée de ses mains – et finir ruiné. « Un problème à régler » pour Giorgi, qui peut, selon Jérôme, être résolu de la manière la plus expéditive. Toujours selon Jérôme Gaillard, Giorgi indique avoir un ami en Géorgie capable de venir faire le boulot. En clair, tuer son épouse. Le prix à payer ? 20 000 euros.

 « Mon client n’a apporté aucune aide morale, intellectuelle ou matérielle, dans l’exécution du projet d’assassinat », conteste dans Le Parisien Me Antoine Ory, son avocat, assurant que cette histoire de contrat ne repose que sur les déclarations de Jérôme Gaillard.

 Quoi qu’il en soit, un scénario glaçant est imaginé. Comme le rapporte Le Parisien, Jérôme Gaillard achète un godemiché pour qu’un tueur viole Magali, une façon de faire croire à un détraqué sexuel et ainsi détourner l’attention des enquêteurs.

 Le père de famille aurait même présenté, le jour de Noël, ce plan délirant à ses parents et ses deux fils aînés. Mais Jérôme Gaillard manque d’argent. Or, ses parents ne lui avaient-ils pas promis de l’aider pour payer ses frais

de justice ? Le voici désormais en possession de 50 000 euros. Après un premier acompte de 8 000 euros versé à Giorgi, Jérôme assure donner deux nouvelles enveloppes de 6 000 euros au Géorgien. Le « contrat » est lancé.

 Mais les choses ne vont pas se passer comme prévu. Une fois l’argent remis à son ami Giorgi, ce dernier se fait étonnamment absent. Après coup, il expliquera d’ailleurs à la justice que les sommes versées ne correspondaient qu’au remboursement d’une vieille dette. Et il dira avoir voulu avertir Magali, sans y mettre toutefois beaucoup de zèle : il se serait endormi dans sa voiture sur la route.

 Quoi qu’il en soit, pour les gendarmes, le Géorgien n’a effectivement jamais eu l’intention d’engager un tueur. Il cherchait plutôt à escroquer Jérôme Gaillard, estiment les autorités judiciaires. Car pendant que Jérôme fulmine au téléphone contre Magali, Giorgi, avec un comparse, Severiani, fait marcher discrètement un enregistreur, autant de documents compromettants… 

Sur son terrain, Jérome a quatre hangars de disponible. Mais certains de ses locataires sont un peu louches.

«Je vais le faire moi-même »

Mais Jérôme, furieux que rien n’avance, décide de prendre lui-même les choses en main. Car entre-temps, la séparation du couple est de plus en plus tendue. Les parents se disputent au sujet des vacances scolaires et de la garde des plus jeunes enfants. « Elle me répond de haut qu’elle ne comprend pas mon attitude, elle me ridiculise par mail, que je ne sais pas ce que je veux, qu’elle essaie de faire les choses bien mais que je fais tout pour que cela se passe mal », rembobine Jérôme Gaillard devant la justice, selon Le Parisien. « Je vais le faire moi-même », dit-il alors à sa mère, Monique, selon le quotidien populaire. Il achète sa batte de baseball et une Opel à un troisième Géorgien, payée contre un mois de loyer dans ses hangars. La voiture doit servir à transporter le corps de sa femme.

 Il achète enfin un téléphone.

« Le plan était ensuite de faire croire au meurtre d’un amoureux éconduit, raconte son avocat à Marianne. Il avait pour cela acheté un téléphone prépayé, la veille, avec lequel il comptait envoyer des SMS à Magali Blandin. » Début février, Jérôme dépose les enfants à l’école. Puis il emmène son père à la longère, pour qu’il simule une activité sur l’ordinateur. Jérôme part vers l’appartement de Magali. Il se cache dans le couloir de l’immeuble, et dès qu’elle apparaît, il la frappe à deux reprises à la tête avec sa batte. Puis il l’étrangle et cache le corps dans son appartement.

 Sa triste besogne achevée, il dit à ses parents, lors du déjeuner : « J’ai réglé le problème. »

 Le soir, il revient dans l’appartement pour chercher le corps, qu’il va enterrer au pied d’un grand chêne, une cérémonie macabre dont il livrera les détails. Il reste quelques minutes dans le bois, pour veiller, en pleurant dans la neige. Un moment « à la fois féerique et horrifique », dira-t-il maladroitement à la justice, après avoir comparé son épouse à un cochon qu’il aurait assommé sans faire le souffrir. Après avoir brûlé l’arme du crime et fait disparaître la voiture, Jérôme pense que l’affaire est réglée. Une grossière erreur.

 Magali disparue, les Géorgiens qui gravitent autour de Jérôme comprennent aussitôt ce qu’il s’est passé. Ils ne vont pas rater l’occasion, selon les gendarmes. Car ils ont des enregistrements très compromettants, qui peuvent leur rapporter de l’argent.

 « On entend la voix de Jérôme Gaillard dire qu’il n’a pas d’autre choix que de tuer Magali, raconte à Marianne Me  Jean-Guillaume Le Mintier, son avocat. Il faut que ça se passe un mercredi, un jour où il garde les enfants. » Sur ces enregistrements Jérôme assure également : « Je l’aime, mais je n’ai pas d’autre choix. »

 Selon le réquisitoire du parquet, après avoir déjà empoché 20 000 euros pour le faux contrat, les Géorgiens redemandent la même somme. Si Jérôme ne paie pas, ils iront voir la police, disent-ils. La tentative d’extorsion va pourtant tourner court quand leur victime décidera finalement d’aller voir le juge d’instruction. « Le rôle de Giorgi s’est limité à un chantage, et rien d’autre. Il faut faire attention à ne pas se tromper de coupable », met toutefois en garde son avocat, Me Antoine Ory. Il déclare au Parisien : « Qu’on ne fasse pas croire qu’il a eu une responsabilité dans ce projet macabre, dont il n’a jamais été précisément informé .» « Jérôme Gaillard a menti à tout le monde », résumait ainsi le suspect.

Une série de suicides

C’est la dernière controverse autour de ce triste dossier que la justice devra trancher. Car le reste de l’action publique est désormais éteint. Explications : pour convaincre ses parents de l’assister dans cette aventure criminelle, Jérôme a fait du chantage au suicide. Sa famille avait déjà été marquée par la mort de son frère, Franck, qui a mis fin à ses jours quelques années plus tôt après une séparation. Jérôme est le seul fils qui reste à Jean et Monique.

 Alors, ils s’exécutent. D’autant que leur fils se montre parfois menaçant. Les deux parents n’en dorment plus, avant d’être en partie convaincus par certains arguments de leur fils. Comme le rapporte Le Parisien, Jean et Monique signalent aux gendarmes qu’un divorce, c’est la guerre, ou encore que « Magali a été maligne, elle avait bien préparé son coup ». Drôle de façon de voir les choses, alors que la mère de famille était la seule à avoir un emploi et qu’elle subissait des violences de son conjoint.

En mars 2021, le GIGN est mobilisé pour arreter les maitres chanteurs. Deux hommes et une femmes sont interpellés, ainsi qu'un quatrième comparse, quelques jours plus tard. Jerome Gaillard va pouvoir s'expliquer sur cette étonnante tentative d'extorsion.

Un champ de ruines

Cette manipulation autour du suicide, Jérôme l’a également pratiquée avec… Magali. Il tente ainsi, avant leur séparation, de lui prouver à quel point il l’aime. « Une folie », admettra plus tard Jérôme. Sauf qu’à force de parler de suicide, l’idée s’est visiblement installée.

 En ce début d’automne, un an après la séparation avec Magali, cela fait plusieurs mois que Jérôme est en prison. Ses parents l’ont enjoint à dire enfin la vérité. Il a mené, il y a peu, une grève de la faim pour « pouvoir voir ses enfants », rapporte également Le Télégramme. Le 31 octobre, il décide d’en finir et se pend à la grille de la fenêtre de sa cellule, avec une cordelette faite de draps déchirés.

 Dans sa cellule, on retrouve une lettre d’adieu et son testament. Un suicide « d’une grande lâcheté », dénonce dans Marianne l’avocat de la famille de Magali Blandin. Deux des trois pages de sa lettre d’adieu seraient en effet consacrées à des reproches envers Magali. Après sa grève de la faim, Jérôme était sans doute « trop faible physiquement, et plus en capacité de réfléchir avec discernement », précise toutefois son avocat.

Plus d’un an après, en février 2023, Jean et Monique mettent également fin à leurs jours, dans la maison où ils s’étaient installés, en Loire-Atlantique. Avant de se pendre, les deux parents de Jérôme ont laissé une lettre destinée aux parents de Magali. « J’imagine que, face au champ de ruines qu’étaient devenues leurs vies, Monique et Jean Gaillard n’ont pas su trouver les ressorts intérieurs pour faire face, raconte à Ouest-France Me Olivier Pacheu, l’avocat du père. Ils portaient intimement une part de responsabilité dans la mort de Magali et le regrettaient. »

 Avec la mort de Jean et Monique, la perspective d’un procès s’éloigne. Les deux parents étaient poursuivis pour complicité de meurtre, leur fils étant, lui, mis en cause pour assassinat.

 Mais à défaut d’un procès aux assises, la justice se penchera sur cette affaire au cours d’une audience. Le parquet de Rennes a en effet requis, l’été dernier, le renvoi des trois Géorgiens devant le tribunal correctionnel, pour des faits de tentative d’extorsion, d’escroquerie, de non-empêchement de crime, et de destruction de documents ou objets pour faire obstacle à la manifestation de la vérité concernant un crime ou un délit.

 Un procès indispensable pour les quatre orphelins. Les deux aînés de Jérôme et Magali ont été placés en famille d’accueil, les deux benjamins vivent chez leurs grands-parents maternels. Ces derniers seront partie civile. « On viendra rappeler le devoir d’humanité, rappelle à Ouest-France Me William Pineau.

Il suffisait qu’une voix s’élève pour que le crime, peut-être, ne soit pas commis. Celle des parents de Jérôme Gaillard, ou du Géorgien, qui savait. »

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