« Je ne connais pas un simulateur qui résisterait à six mois d’isolement et trois hospitalisations psychiatriques ». Peu connu du grand public, l’examen de l’irresponsabilité pénale d’un accusé est une audience où un expert psychiatre est sous le feu des questions.
« Merci docteur, désolé, vous avez été un peu sur le grill », s’est excusé le président de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris. Cette dernière s’est penchée jeudi 2 octobre 2025 sur le cas de l’assaillant de la gare du Nord. En janvier 2023, il avait blessé sept personnes avec une arme blanche.
L’expert psychiatre, le Dr Liova Yon, venait d’établir, en visioconférence, que l’agresseur était « dans un épisode délirant aigu au moment des faits, dans une autre réalité ». Ce qui le soustrait de fait « à une sanction pénale » et à tout procès, si la cour retient cette irresponsabilité. Ce spécialiste a ainsi préconisé une « hospitalisation psychiatrique » puis, le cas échéant, en cas d’amélioration, un dispositif assoupli avec des « consultations externes ».
L’incompréhension des victimes
Face à lui se sont dressés des avocats des parties civiles, des victimes qui ne comprennent pas qu’un accusé puisse échapper à un procès pénal qui leur permettrait de refermer un douloureux chapitre.
« Toutes ces victimes-là préféraient avoir un procès aux assises, qui aurait certainement pris une ou deux semaines, et là c’est une audience de deux heures », commente auprès de l’AFP Me Jérôme Andrei, avocat de parties civiles. « J’ai essayé de leur expliquer en amont. Et là, à fortiori, en sortant de l’audience, ils sont un petit peu choqués de la manière dont ça a été un peu expédié, entre guillemets », confie le conseil.
Me Andrei a pourtant tout fait pour contredire l’expert, arguant notamment que le mis en cause avait préparé son passage à l’acte en se fabriquant lui-même une arme, à mi-chemin entre un poignard et un poinçon avec un clou de charpentier.
« Même chez quelqu’un atteint d’un trouble du jugement, c’est très fréquent de s’équiper avec ce qu’on trouve, ce qu’on peut cacher », a appuyé le Dr Yon. « Peut-on écarter la simulation ? », a alors tenté Me Andrei. « Je ne connais pas un simulateur qui résisterait à six mois d’isolement et trois hospitalisations psychiatriques », a rétorqué le spécialiste. « S’il n’a pas déliré plein pot pendant qu’on l’a examiné, son vernis de normalité n’a pas résisté à l’isolement et le manque d’hygiène criant de sa cellule en prison m’a rappelé les grandes heures des unités psychiatriques où j’ai travaillé », a déroulé l’expert.
Une audience à défaut d’un procès
« Il se comportait de manière étrange », « se sentait suivi », « surveillé » sont des témoignages récurrents recueillis dans la famille de l’accusé et rappelés pendant l’audience jeudi.
« Je ne sais pas pourquoi j’ai fait ça, je demande pardon », s’est contenté de déclarer le mis en cause, avec l’aide d’une interprète.
Si l’avocate générale a pointé dans son réquisitoire « une tentative d’assassinat, une tentative d’attenter à la vie du plus grand nombre », elle a aussi retenu « une abolition du discernement au moment des faits ».
La cour d’appel de Paris statuera le 16 octobre sur l’irresponsabilité pénale du mis en cause. Ce qui ne soulève guère de suspense. « L’ensemble des expertises psychiatriques qui avaient été diligentées étaient toutes convergentes et concluaient au fait que mon client était irresponsable pénalement, dans la mesure où il était en décompensation psychotique au moment des faits », a synthétisé auprès de l’AFP l’avocat de l’assaillant, Me Ambroise Vienet-Legué.
Admettant qu’« on ne juge pas les fous, c’est un principe sacré de notre droit pénal », Me Alexandra Boret, avocate de victimes, dont la plus grièvement blessée, a toutefois insisté auprès de l’AFP sur la nécessité « de questionner » les conclusions des experts psychiatres. « Finalement, on doit s’estimer un peu heureux, du côté des victimes, d’avoir au moins cette procédure, cette matérialisation d’une audience, qui est là pour compenser l’absence éventuelle, justement, de procès au pénal », a conclu Me Andrei.
(Par Philippe GRELARD / AFP)
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