Dès leur entrée en fonction, un bras de fer s’est engagé entre le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, partisan d’un changement de la politique pénale pour plus de fermeté, et le garde des Sceaux Didier Migaud, qui a rappelé que la justice était « indépendante ».
L’encre du nouvel organigramme gouvernemental n’était pas encore sèche que les premiers points de désaccords entre Bruno Retailleau et Didier Migaud, respectivement nouveaux ministres de l’Intérieur et de la Justice du gouvernement de Michel Barnier, ont éclaboussé le débat public.
Les échanges, très policés mais de plus en plus fermes, se sont faits par médias interposés. Lundi 23 septembre 2024 au soir, n’hésitant pas à empiéter sur les plates-bandes de son collègue au gouvernement, M. Retailleau a appelé, sur TF1, à revoir « un certain nombre de cadres pour changer une politique pénale qui (…) a laissé s’installer (un) droit à l’inexécution des peines ». « Il faut qu’il y ait des peines prononcées, que les peines prononcées soient des peines aussi exécutées. Il faut construire des prisons. Ce n’est pas mon domaine mais j’en parlerai très librement avec Didier Migaud », a développé ce tenant d’une droite dure.
« Il doit savoir que la Justice est indépendante dans notre pays, et que c’est quelque chose qui est essentiel dans une démocratie », déclarait presque au même moment, sur France 2, M. Migaud.
« Echanges constructifs » à venir entre les ministres
Le lendemain, mardi, alors que le duel se poursuivait toujours à distance, le tout nouveau ministre de la Justice a rappelé, à l’occasion de son premier déplacement à la prison de la Santé à Paris, que « le taux d’exécution des peines » n’avait « jamais été aussi élevé » en France. Selon des chiffres de la Chancellerie, le taux de mise à exécution des peines d’emprisonnement ferme a atteint 95% en 2023.
« Il faudra que je puisse contribuer à l’information de mon collègue et qu’on puisse avoir des échanges à ce sujet, des échanges constructifs », a-t-il poursuivi, indiquant qu’il rencontrerait M. Retailleau « dans les prochains jours ».
Cet ancien député socialiste, seul membre du gouvernement Barnier à venir de la gauche, a par ailleurs réfuté que la justice soit trop clémente. « Il faut de l’autorité, il faut de la fermeté, et il faut bien évidemment des sanctions, accorde le nouveau garde des Sceaux. Mais je crois que le laxisme de la justice n’existe pas. Il faut en convaincre celles et ceux qui le pensent », a-t-il ajouté devant des journalistes.
Un peu plus tôt, il avait assuré qu’il défendrait « (ses) convictions » et dit faire confiance au Premier ministre Michel Barnier « pour de bons arbitrages ».
« Discours ultra-sécuritaire »
« À peine arrivé au ministère de l’Intérieur, M. Retailleau se lance dans un discours ultra-sécuritaire qui n’est pas respectueux des règles de l’Etat de droit », fustige Kim Reuflet, présidente du Syndicat de la magistrature (SM, classé à gauche). Elle trouve par ailleurs « rassurant d’entendre le garde des Sceaux mettre des limites et rappeler les compétences de chacun ».
Le nouveau ministre de l’Intérieur « professe des contre-vérités sur la Justice pour asseoir des propos sécuritaires », estime par ailleurs la magistrate, soulignant que les statistiques officielles ne montraient pas de hausse de la délinquance.
Elle cite également l’appel par Bruno Retailleau à s’inspirer des Pays-Bas « qui ont fait le choix de courtes peines d’incarcération, dès les premiers délits ». À la différence de la France où la surpopulation carcérale est telle que plus de 3.400 détenus sont contraints de dormir sur un matelas posé à même le sol, les prisons néerlandaises « accueillent les gens dignement », rétorque Kim Reuflet.
Défi budgétaire
Volonté d’Emmanuel Macron, une loi réformant l’échelle des peines était entrée en vigueur en mars 2020: elle proscrit, théoriquement, les très courtes peines d’emprisonnement et prévoit des alternatives à l’incarcération pour celles de moins de six mois.
« On est dans un positionnement de chacun, c’est bien normal dans un gouvernement de coalition », estime pour sa part Ludovic Friat, président de l’Union syndicale des magistrats. Dans ce contexte, M. Retailleau « décline le programme politique qui était le sien » mais « on verra ce que le gouvernement portera comme projet de loi et on verra ce que l’Assemblée votera ». Et « si jamais on part sur une politique davantage répressive, il faudra que la justice ait les moyens », observe-t-il.
Or, selon les lettres-plafonds envoyées en août aux ministères détaillant la répartition des budgets, celui de la justice serait raboté de 500 millions d’euros. M. Migaud l’a reconnu, cette question sera un « défi ». « Il faut que l’effort budgétaire puisse se poursuivre », a-t-il déclaré à la Santé.
(Avec Eleonore Dermy de l’AFP)
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