Nom de code “Wuambushu”. Un mot mahorais qui signifie “reprise”. L’opération lancée sur fond de très vives tensions locales, fin avril 2023, “sans dates précises de début ni de fin”, comme le précise le ministère de l’Intérieur, est l’une des plus importantes jamais entreprises à Mayotte.
Avec ses 310.000 habitants recensés en 2022, Mayotte – située dans l’archipel des Comores, dans l’océan indien – est le département français affichant la plus forte croissance (+ 100.000 habitants en dix ans), mais aussi celui avec la plus forte densité de population. L’une des principales raisons de ces exceptions est l’immigration. Massive et en grande partie clandestine, elle arrive principalement des Comores via de petites embarcations, les kwassas-kwassas. Elle s’est accentuée au cours des dix dernières années. L’Insee estime d’ailleurs qu’aujourd’hui, plus de 50 % des résidents à Mayotte sont étrangers. Outre ses statistiques sur la population, d’autres chiffres ont parallèlement bondis : ceux de la criminalité et de la pauvreté. Près du tiers de la population vit ainsi dans des habitations faites de tôle, construites sans autorisation et souvent exposées aux risques naturels. Un habitat précaire installé dans des bidonvilles où vivent notamment des populations arrivées des Comores.
C’est donc tout l’objet de l’opération débutée en avril 2023, et pour laquelle les forces en place ont reçu le renfort de plus de 500 gendarmes et policiers: lutter contre l’immigration clandestine, la criminalité qui en découle et procéder à l’évacuation puis à la destruction des bidonvilles insalubres. En l’espèce, ces renforts supplémentaires sont constitués de quatre escadrons de gendarmerie mobile, ainsi que de policiers de la fameuse CRS 8, spécialisés dans la lutte contre les violences urbaines. Au total, avec les forces résidentes (dont les antennes du GIGN et du Raid) et les renforts réguliers déjà sur place, ce sont ainsi plus de 1.800 gendarmes et policiers qui sont engagés dans cette importante opération.
#Mayotte 🚨 Progression des gendarmes de l'antenne #GIGN en terrain accidenté pour interpeller un individu soupçonné de violences avec arme à l'encontre des gendarmes.
📷 Gnd T. Chatain #SIRPA #Gendarmerie pic.twitter.com/9zjTe3bOGG— Gendarmerie nationale (@Gendarmerie) April 26, 2023
Un coup de frein localisé
Problème, les Comores voisines s'opposent à cette opération et refusent d’accueillir les expulsés de Mayotte, en contradiction avec les accords passés avec la France, en échange notamment d’une aide financière au développement. Illustration de ce refus comorien, un navire qui transportait des voyageurs et des clandestins, faisant l’objet d’une expulsion, s’est ainsi vu refuser l’autorisation d’accoster à Anjouan.
En parallèle, le tribunal judiciaire de Mamoudzou a décidé de suspendre l’une des principales opérations d’évacuation d’un bidonville baptisé “Talus 2”, qui était préparée dans le plus grand secret depuis de longs mois et devait se tenir le 25 avril. Cette décision fait d’ailleurs l’objet d’un appel de la part de la préfecture et du ministère de l’Intérieur. Mais, malgré ce frein juridique sur une zone très localisée “où il y a de l’habitat insalubre”, l’opération se poursuit et doit même “s’intensifier” au niveau “des contrôles et de la présence terrestre et maritime” des forces de sécurité, confirme la commissaire Camille Chaize, porte-parole du ministère de l’Intérieur. Elle durera plusieurs mois, “aussi longtemps que Mayotte en aura besoin”.
Preuve du climat de tension qui règne à Mayotte, un regain de violences y est observé depuis le déclenchement de l’opération. Plus encore que d'habitude, les policiers et gendarmes sont la cible de nombreux jets de projectiles. Certains groupes n'hésitent pas à venir à la confrontation armés de machettes. Alors que l'opération d'évacuation du bidonville "Talus 2" se préparait, des barricades constituées d'arbres, de pneus et de poubelles ont été installées tout au long de l'axe principal de l'île menant au secteur. Des véhicules blindés à roues de la Gendarmerie (VBRG) ont été engagés à cette occasion pour dégager les axes. Des affrontements ont également eu lieu entre des jeunes des quartiers alentours et les forces de l'ordre déployées en nombre.
Une opération largement soutenue
À l’inverse de la métropole – où l’opération Wuambushu est nettement moins soutenue et où plusieurs associations, collectifs et personnalités politiques ont demandé son arrêt immédiat –, sur place, la population mahoraise et ces représentants élus ont largement exprimé leur soutien à cette opération d’envergure menée par les forces de sécurité. Elle était même demandée avec insistance et attendue de longue date. Après plusieurs années d’augmentation systématique de la criminalité, il y a sur place un raz-le-bol général. Au point qu’un élu, le vice-président du conseil départemental de Mayotte Salime Mdéré, a même déclaré qu’il faudrait peut-être “tuer ces voyous”, les qualifiant même de "terroristes", pour que les choses évoluent. Des propos qui ont choqué et ont été vivement condamnés, avant que l'élu ne fasse machine arrière en les retirant et en s'excusant.
Merci à la population qui exprime son soutien aux forces de l'ordre qui sont engagés quoditiennement dans la sécurisation des Mahorais et oeuvrent sans relâche pour instaurer la paix républicaine.
C'est ensemble que nous y arriverons 👏 pic.twitter.com/SsNdfbmq9w
— Préfet de Mayotte (@Prefet976) April 27, 2023
Quotidiennement, la population locale est confrontée à des violences, des menaces ou encore des cambriolages. Beaucoup de résidents vivent barricadés. Le commandement de la Gendarmerie à Mayotte note que des faits graves se produisent en moyenne tous les trois à quatre jours dans l'archipel. “Une quarantaine de bandes criminelles organisées" ont été recensées à Mayotte, a déclaré le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin en marge du lancement de l’opération. Ces dernières s'affrontent régulièrement, ou se confrontent aux forces de l'ordre. Une situation qui avait déjà amené le ministère de l'Intérieur à envoyer "en urgence" un escadron de gendarmes mobiles supplémentaire en renfort sur l'île, en juin 2022.
Un escadron de gendarmes mobiles envoyé en urgence à Mayotte (juin 2022)
Intensification de la protection des frontières
Au même moment, en métropole, le gouvernement a annoncé l’envoi de 150 policiers et gendarmes à la frontière franco-italienne, notamment dans les Alpes-Maritimes, confrontée à une “pression migratoire accrue”. Une mobilisation consécutive à l’annonce par la Première ministre de la mise en pause du projet de loi sur l'immigration. Celui-ci ne devrait finalement être présenté qu’à l’automne, faute de majorité parlementaire pour le faire adopter.
Au-delà de l’action législative, ces mobilisations confirment en tout cas la prise en compte de la question de l’immigration, jugée “prioritaire” par le gouvernement, en réponse à une demande forte des populations directement impactées et leurs représentants.