L’hélicoptère des forces armées survole l’étendue de la forêt amazonienne guyanaise, le long de la frontière avec le Brésil. Les pilotes, habitués à repérer les sites d’orpaillage depuis les airs, montrent des camps difficiles à discerner pour les néophytes. Un changement de couleur de l’eau, une trouée dans la canopée peut leur signaler indiquer la présence de garimpeiros, orpailleurs illégaux d’origine
brésilienne. Parfois, un point blanc dans l’immensité verte ne laisse pas de place au doute.
« Trahis par leurs antennes Starlink »
« Ils sont trahis par leurs antennes Starlink », le service de connexion par satellite leur permettant d’accéder à internet, explique un pilote des Forces armées guyanaises (FAG).
Depuis des décennies, ce département d’Amérique du Sud, le plus vaste des 101 départements français avec ses quelque 83.500 km2, est le théâtre d’une guerre entre orpailleurs clandestins et forces françaises (armée et Gendarmerie),. Avec un succès tout relatif puisque la préfecture recensait, en 2024, 400 sites illégaux.
Opération Kapalu
Mais au mois d’octobre, gendarmerie et FAG ont lancé une nouvelle opération baptisée « Kapalu » dans le bassin de la rivière Camopi, qui traverse la commune du même nom, à la frontière avec le Brésil. Le but : « éradiquer l’orpaillage » dans la zone, détaille le général de brigade Jean-Christophe Sintive, commandant de la Gendarmerie en Guyane. 150 militaires des armées et gendarmes ont donc été déployés pendant six semaines dans cette région isolée de 3.000 km2, accessible uniquement par voie aérienne ou fluviale, pour détruire l’intégralité des chantiers recensés.
Le maintien de plusieurs patrouilles sur place pour limiter le retour des garimpeiros a suivi cette « phase de destruction systématique ». Et ça marche. « En 2019, l’est guyanais concentrait 20 % de l’orpaillage illégal en Guyane. En 2025, c’est 3 % », détaille le général Sintive, pour qui l’orpaillage clandestin est donc devenu « résiduel » sur le bassin de la Camopi. Les préjudices infligés aux garimpeiros – saisies de pirogues, d’or, de carburant, de motos pompes – représentent en effet environ cinq millions d’euros.
La méthode tranche avec l‘opération « Harpie » lancée en 2008. Car, depuis longtemps, des élus locaux reprochent aux militaires d’abandonner ces zones immenses, une fois les puits illégaux et le matériel des orpailleurs détruits. Sitôt les militaires partis, les orpailleurs reprenaient leurs activités. Celles-ci détruisent la forêt primaire, détournen donct les cours d’eau et les polluent sérieusement avec les rejets de mercure utilisé pour séparer l’or de la terre. Au mépris de la santé et du cadre de vie des populations locales.
La réponse judiciaire pas toujours adaptée
Mais des limites persistent. La réponse judiciaire n’est pas toujours adaptée. « Il y a un décalage entre la sophistication que requièrent les enquêtes et la dureté du milieu », relève le procureur général près la cour d’appel de Cayenne Joël Sollier. En témoigne le bilan de l’opération Harpie. Depuis son démarrage, onze militaires, dont deux gendarmes, sont morts en mission.
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La Gendarmerie a en effet payé un lourd tribut dans cette lutte contre l’orpaillage illégal. Ainsi, des garimpeiros ont tué par balles Arnaud Blanc, sous-officier de l’antenne GIGN de Cayenne, en mars 2023 sur un chantier d’orpaillage. Depuis septembre 2011, Franck Robin, un sous-officier du groupe d’intervention de la Gendarmerie en Guyane est paraplégique. Conséquence d’une blessure par balle sur un chantier d’orpaillage. Il raconte d’ailleurs dans un livre (« Pour 23 grammes d’or », Mareuil éditions), qui vient de paraître, la lutte incessante contre ces orpailleurs au sein de l’enfer vert.
« Crime organisé »
L’orpaillage illégal s’apparente à du « crime organisé », insiste Joël Sollier. « Il ne peut y avoir qu’une organisation qui achemine 400.000 litres de pétrole chaque année, des quads en quantité, des pirogues, de la nourriture pour plusieurs centaines, voire plusieurs milliers de personnes ». Et malgré des centaines de gardes à vue chaque année, le travail de renseignement est en effet long. Interpeller les têtes de réseaux reste difficile.
Pourtant, la coopération avec le Brésil est bonne. C’est l’un des paramètres qui a convaincu les autorités de lancer l’opération Kapalu sur le bassin de la Camopi. « Il y a une forte demande de la part des autorités, des élus et des chefs coutumiers », explique le préfet de la Guyane Antoine Poussier, venu fin janvier faire un premier bilan dans la région. Lors d’une visite en mars 2024, le président Emmanuel Macron avait promis « d’aller encore plus loin dans la lutte contre l’orpaillage illégal ». Neuf mois plus tard, « l’engagement est tenu, on poursuit la lutte », assure le préfet.
Mais de l’autre côté de la Guyane, à sa frontière avec le Suriname, les garimpeiros continuent à prospérer, grâce à d’innombrables comptoirs commerciaux qui approvisionnent les orpailleurs en vivres et matériel le long du fleuve Maroni. Les autorités assurent pourtant vouloir dupliquer là-bas aussi les méthodes de Kapalu.
(avec l’AFP)