Le gouvernement français s'est dit "prêt" cette semaine à faire évoluer la loi sur la compétence universelle de la justice française en matière de crimes contre l'humanité, remise en cause depuis un arrêt du 24 novembre 2021 de la Cour de cassation.
Dans cet arrêt, les plus hauts magistrats de l'ordre judiciaire ont estimé que la justice française était incompétente pour poursuivre un ex-soldat du régime de Bachar al-Assad, mis en examen à Paris pour "complicité de crimes contre l'humanité". Cette décision préoccupe vivement la justice française et des organisations de défense des droits de l'Homme qui craignent que cette décision ne fasse jurisprudence et n'obère d'autres enquêtes de même type.
Selon une source judiciaire citée par l'Agence France-Presse, cet arrêt pourrait concerner 36 enquêtes préliminaires sur les 75 menées actuellement par le Parquet national antiterroriste en matière de crimes contre l'humanité. De même, 13 des 80 informations judiciaires en cours pourraient être mises à mal par cet arrêt.
L'importance du principe de la compétence universelle
Cette situation a fait sortir de sa retraite le colonel Eric Emeraux, chef de l'OCLCH de 2017 à 2020. L'ancien officier de Gendarmerie avait publié au lendemain de son départ du service actif "La Traque est mon métier" (éditions Plon, septembre 2020), livre dans lequel il révélait les méthodes d'enquête de l'OCLCH à travers quatre dossiers de criminels de guerre bosniaque, rwandais, libérien et syrien.
Aujourd'hui, il publie une tribune sur le site du Cercle K2, une structure qui se définit comme "un espace de rencontre et de dialogue entre professionnels issus de tous horizons".
Eric Emeraux rappelle que le principe de la compétence universelle constitue "un outil extrêmement important pour les victimes d'atrocités lorsque les autres voies juridiques ne peuvent leur être accessibles, ce qui est le cas de la Syrie". En France, souligne-t-il, ce principe repose sur un dispositif spécifique qui compte quatre conditions: résidence habituelle en France de la personne; absence de poursuite par la Cour pénale internationale; requête du Parquet national antiterroriste; double incrimination à la fois par la justice française et par le pays où le crime a été commis.
C'est précisément ce principe de double incrimination qui pose problème. En effet la Cour de cassation a conclu, dans son arrêt du 24 novembre 2021, à l'incompétence du juge français puisque l'Etat syrien n'a pas ratifié le Statut de Rome (créant la Cour pénale internationale et entré en vigueur en 2002) et que la loi syrienne ne fait pas état des crimes contre l'humanité.
Supprimer la double incrimination
L'ancien chef de l'OCLCH prône donc de modifier la loi française en supprimant la double incrimination. Il suggère aussi d'aligner les cinq infractions (génocide, crimes contre l'humanité, crimes de guerre, disparitions forcées et tortures d'Etat) sur le régime de la présence en France et non plus sur celui de la résidence habituelle. Il souhaite aussi que la période de garde à vue passe de 48 à 96 heures pour les tortures d'Etat et les disparitions forcées.
La Syrie, le plus gros portefeuille de l’Office de lutte contre les crimes contre l’humanité (Vidéo)