C’est un exemple de tout ce qu’il ne faut pas faire. La Cour des comptes a étrillé la gestion du programme Scribe, ce logiciel de rédaction des procédures qui devait remplacer les outils en place dans la Gendarmerie et dans la Police (LRPPN, LRPGN et Pulsar). Comme le rappellent les magistrats financiers dans un audit publié début juillet, ce projet lancé en décembre 2015 a finalement été abandonné cet automne après avoir englouti 13 millions d’euros.
Si la Cour des comptes est très sévère avec la Police et le prestataire, l’entreprise de services numériques CapGemini, elle est aussi critique sur le rôle de la Gendarmerie dans cette histoire. L’Arme s’était retirée du projet en novembre 2016, considérant que la fusion des deux logiciels était “risquée”, laissant donc la main à la seule direction générale de la Police nationale.
Ici Scribe, ailleurs l'Agence nationale de l'habitat… il est manifeste que l'Etat a un problème structurel pour concevoir et mettre en prod du code. Ce n'est pas administratif, mais bien politique, avec un acharnement sur les modèles top down. https://t.co/DFX147epmw
— Gilles Babinet (@babgi) July 5, 2022
Comment l’Intérieur veut booster sa transformation numérique
Dispersion des forces
“À l’issue de ces premiers travaux, la Gendarmerie a unilatéralement décidé de quitter le projet et de ne plus travailler sur des spécifications communes avec la Police nationale, rappellent les magistrats financiers. Ce retrait a eu des implications notables dans la conduite du projet. En effet, l’obligation de travailler sur deux outils distincts a conduit le service des technologies et des systèmes d'information de la sécurité intérieure à disperser ses forces et les développements réalisés en doublon ont suscité des coûts supplémentaires.”
De manière surprenante, la Cour des comptes relève que cette décision de retrait n’a pas été formalisée, et donc ni approuvée ou désapprouvée par l’équivalent de la direction du numérique. En clair, l’Arme a pratiqué la politique de la chaise vide, ce qui a pu conduire à revoir à la baisse les moyens mis sur ce projet au moment où il aurait dû monter en puissance. “L’absence de décision initiale portée par l’autorité politique en faveur du développement d’un outil commun entre les deux forces est regrettable”, déplore la Cour des comptes.
Même code de procédure pénale
Pourtant, pour les magistrats financiers, les arguments des gendarmes pour un retrait sont très critiquables. Comme ils le rappellent, le fait que les deux forces travaillent différemment n’implique pas forcément d’avoir un outil différent, alors que le métier d’enquêteur est défini par le même article du code de procédure pénale. Résultat: la direction du numérique plaide aujourd’hui pour le lancement d’un nouveau projet dédié à la Police. A terme, ce logiciel doit pouvoir converger avec celui des gendarmes, en s'en inspirant.
“Cet impératif de convergence technologique des deux logiciels doit être l’une des données structurantes du futur logiciel de rédaction des procédures de la Police, indique la Cour des comptes. La reprise de travaux communs visant à déterminer dans quelle mesure la nouvelle architecture du logiciel de la Police peut intégrer et capitaliser sur des fonctionnalités du socle technique du nouveau LRPGN-NG, doit donc constituer l’un des objectifs de premier rang du projet reconfiguré.” En clair, policiers et gendarmes sont invités à se parler.