Ces recours de Nadia Mostefa qui embarrassent la Gendarmerie

Photo : Nadia Mostefa.

27 avril 2022 | Société

Temps de lecture : 5 minutes

Ces recours de Nadia Mostefa qui embarrassent la Gendarmerie

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C’est “un drame terrible”, et “une tristesse inconsolable”, selon les mots sur Twitter du directeur général, Christian Rodriguez. Mais le suicide de Nadia Mostefa, qui s’est immolée par le feu à Montpellier à la mi-mars, est aussi une affaire explosive pour la Gendarmerie. Car si les causes de ce drame sont d’abord à rechercher du […]

C’est “un drame terrible”, et “une tristesse inconsolable”, selon les mots sur Twitter du directeur général, Christian Rodriguez. Mais le suicide de Nadia Mostefa, qui s’est immolée par le feu à Montpellier à la mi-mars, est aussi une affaire explosive pour la Gendarmerie. Car si les causes de ce drame sont d’abord à rechercher du côté du conflit entre la mère et son ancien conjoint au sujet de la garde de leur enfant, la capitaine de Gendarmerie était également en conflit ouvert avec l’Institution. 

Cette situation délétère n’a sans doute rien arrangé. Ces deux dernières années, selon nos informations, cette officière du corps de soutien technique et administratif avait ainsi déposé six recours. Il s’agit plus précisément de deux recours contre sa notation, deux en discipline et deux contre son placement en congé de longue durée pour maladie. Soit l’expression d’un ressentiment certain contre l’Arme. Ces procédures révélatrices d’un climat professionnel tendu résonnent différemment, aujourd’hui, après le suicide de la gendarme. Comme l’a dévoilé le site d’information StreetPress, Nadia Mostefa y faisait en effet état de harcèlement et de violences. 

Ce conflit intense, l’Arme en avait parfaitement connaissance. La capitaine Nadia Mostefa avait par exemple exposé au major général et à l’inspecteur général des Armées-Gendarmerie dans un courrier daté de janvier 2020 les violences qu’elle disait avoir subi dans le cadre de ses fonctions. Elle avait également, selon nos informations, saisi l’inspection générale de la Gendarmerie et sa cellule Stop-discri. 

Recours contre son placement en congé maladie

L’un des recours de Nadia Mostefa, dont L’Essor a eu copie, détaille la chronologie de cette détérioration professionnelle. Ce document date d’un peu plus d’un an, en février 2021. A l’époque, le supérieur de la capitaine est le général Jean-Valéry Lettermann, alors patron des gendarmes de l’Occitanie. Il est désormais le chef du service de relations publiques de la Gendarmerie, le Sirpa. Outre la sensibilité de ce dossier, c’est ce qui explique sans doute pourquoi le suivi de l’affaire Nadia Mostefa a été attribué au cabinet réservé du directeur général. On imagine en effet mal le général Lettermann donner des directives dans un dossier où il a été l’une des parties.

L’étonnante évaluation d’une gendarme par celui qu’elle avait dénoncé à Stop-discri

A Montpellier, l’ambiance a rapidement viré au rouge. L’officière avait été nommée au printemps 2020 cheffe de section du personnel non-officier de la formation administrative du Languedoc-Roussillon. La situation était visiblement complexe. La gendarme est ainsi à la fois l’une des accusatrices et l’une des mises en cause. Selon nos informations, on lui a en effet reproché d’avoir harcelé des personnels. Nadia Mostefa est finalement arrêtée à la mi-décembre 2020. Puis, en janvier 2021, un médecin psychiatre estime qu’elle doit bénéficier d’un congé de maladie jusqu’au 26 mai 2021 pour être ensuite placée en congé de longue durée pour maladie.

Mais la capitaine, qui ne reviendra finalement pas à son bureau, ne l’entend pas de cette oreille. Même si elle envisage très vite la poursuite de sa carrière dans le privé, elle ne veut pas se laisser faire. “Elle était intègre jusqu’à l’intégrisme, rappelle une de ses proches. Elle faisait l’unanimité contre elle car elle n’avait pas peur de dénoncer les choses.”

Pour la capitaine, sa hiérarchie tente de la pousser en dehors de la Gendarmerie en s’appuyant sur le corps médical, qui aurait été, estime-t-elle, instrumentalisé. “Le commandement s’est contenté d’abord de déléguer son intention d’écarter la capitaine à la médecine militaire, pour lui donner un vernis médical factice”, argumente son avocate dans le recours de février 2021. Une décision qui serait concomitante, écrit la juriste, avec la notification d’une précédente punition disciplinaire.

Le clash de Dijon

La carrière de Nadia Mostefa, jusqu’ici brillante, a en fait dérapé lors de sa précédente affectation. En août 2019, elle est nommée cheffe de cabinet et officier de communication de la région Bourgogne-Franche-Comté. Un poste qu’elle dira ensuite avoir pris à contre-coeur, car il la rapproche de son ancien conjoint, qu’elle a accusé de violences et de viol – selon StreetPress, son ancien conjoint a bénéficié d’un non-lieu à ce sujet.

Or, dès la rentrée de septembre, les choses se passent mal avec son chef, le général de division Thierry Cailloz, qui aurait pourtant fait des pieds et des mains pour la faire venir. La raison? Selon les proches de la gendarme, elle est mise à l’écart parce qu’elle s’est ouverte à son entourage professionnel de ses problèmes familiaux. Ce qui aurait été mal perçu, estimait la capitaine, dans une Gendarmerie encore très conservatrice sur la place et le rôle des femmes.

Qui était Nadia Mostefa, cette gendarme rayonnante et dynamique?

Mère célibataire, Nadia Mostefa doit en effet conjuguer l’éducation de son enfant et sa vie professionnelle sur fond de conflit avec son ancien mari. Originaire de Moselle, plus précisément de Folschviller, cette fille d’un couple algérien modeste craignait qu’on ne voit en elle qu’un “cas social”. Une situation que la capitaine voulait dénoncer à travers un livre qu’elle préparait. Son titre de travail? “Triple peine”, selon une amie de Dijon. “Être une femme dans la Gendarmerie, ce n’est pas simple, être une femme arabe c’est encore plus compliqué”, énumère cette proche.

Les relations entre Nadia Mostefa et Thierry Calloz deviennent particulièrement tendues en octobre 2019. Selon la gendarme, malgré une porte fermée, elle entend son chef hurler au téléphone qu’il souhaite se débarrasser d’elle. La capitaine s’en étonne aussitôt. Une discussion houleuse débute. Selon Nadia Mostefa, son supérieur fait alors preuve de violences contre elle, en la prenant par les épaules. 

Son ancien patron estime lui avoir été espionné par sa cheffe de cabinet. Et dans StreetPress, le général précisera contester cette présentation des faits – et donc les allégations de violences. “C’était quelqu’un de très humain, très proche des gens et très à l’écoute”, indique un ancien personnel de Dijon à propos de l'ex-patron des gendarmes de Bourgogne. Tout en ajoutant, pour ne pas départager les deux parties, que Nadia Mostefa était également une gendarme “très professionnelle” avec qui il était agréable de travailler.

Cet enchaînement de décisions judiciaires qui a conduit au suicide de Nadia Mostefa

Rattrapée par la sanction

Cet épisode brûlant se solde d’abord par un premier arrêt maladie de six mois. Puis par le départ de l’officière vers Montpellier. Mais en novembre 2020, la capitaine est rattrapée par une sanction de 15 jours d’arrêts, avec dispense d'exécution. Si la décision est contestée par la gendarme qui lance un recours, elle y voit un nouveau point de bascule dans ses relations professionnelles à Montpellier, désormais entachées par la suspicion. La révélation de cette ancienne affaire lui aurait ainsi porté préjudice. 

La gendarme est alors visiblement à cran. Ainsi, reçue le 14 décembre 2020 par le médecin militaire, elle quitte la consultation avant sa conclusion. Ce qui pousse le praticien à recommander une consultation spécialisée en psychiatrie. “Vainement, la capitaine a tenté de savoir quel diagnostic était posé”, relate son avocate dans son recours. L’officière consultera par la suite une autre psychiatre, de son initiative, qui conclut en affirmant que la gendarme est “apte à exercer son activité professionnelle à temps plein”.

Le travail était en effet  l’un des piliers personnels de cette gendarme de cœur. La mettre en arrêt-maladie revenait à la plonger dans la dépression, estiment ses proches. Ces derniers rapportent ainsi le blues de ces journées rythmées uniquement par l’école de son enfant, hormis une activité de chambre d’hôte lancée ensuite avec succès sur le site de réservations hôtelières Booking. “C’est la perte de la garde de son fils qui l’a fait basculé vers le suicide, résume son amie dijonnaise. Mais la Gendarmerie, au lieu de la soutenir, l’a enfoncée.”

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