<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> L’affaire Dominique Cottrez : les huit infanticides d’une mère

Photo : Fin juillet 2010, dans le Nord, près de Douai, le changement de propriétaire d’une maison entraîne la découverte d’un octuple infanticide. (Illustration: F.Mayot / L'Essor)

1 octobre 2024 | Les récits de L'Essor

Temps de lecture : 16 minutes

L’affaire Dominique Cottrez : les huit infanticides d’une mère

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Les gendarmes avaient d’abord été appelés pour un drôle de sac découvert enterré dans un jardin. Ils vont mettre au jour la sordide histoire criminelle d’une mère de famille qui a accouché seule et tué huit de ses bébés en l’espace de vingt ans.

À une petite quinzaine de kilomètres de Douai, le village tranquille de Villers-au-Tertre, dans le Nord, 600 habitants environ, coule des jours paisibles en ce mois de juillet 2010. Ce week-end du 24 juillet, le Tour de France, qui est passé pas très loin –une étape s’est terminée dans le Hainaut, une autre a commencé à Cambrai–, vient de s’achever avec la victoire d’Alberto Contador, finalement déchu de son titre pour dopage au profit d’Andy Schleck. Les nouveaux propriétaires d’une maison de Villers-au-Tertre ont cependant bien d’autres préoccupations. Comme ils le raconteront plus tard au quotidien régional Nord Littoral, ils avaient décidé de s’attaquer ce samedi-là aux pousses de sumacs devant leur nouvelle maison – «l’achat d’une vie» pour ce couple aux origines modestes.

Aidés par des amis de Béthune, ils veulent déplacer les pousses derrière la maison. Mais, surprise! Après le premier coup de bêche, on discerne un emballage bleu sous la terre. Masqués avec un tee-shirt pour se boucher le nez à cause de l’odeur nauséabonde, les hommes retirent un premier sac, puis un deuxième. Le cadavre d’un chien ou d’un chat, comme on pourrait s’y attendre? Pas sûr. «Appelle la Gendarmerie, tout de suite», demande la compagne de Léonard. «J’ai trouvé quelque chose, c’est sans doute un chien», explique donc le nouveau propriétaire aux militaires. Deux gendarmes d’Arleux arrivent pour vérifier. Pas la mission la plus difficile du week-end, doivent-ils sans doute penser. Erreur: en ouvrant l’un des sacs bleus, ils découvrent qu’il ne s’agit pas d’un animal, mais vraisemblablement des corps de deux bébés. L’affaire Cottrez vient de commencer.

DES GROSSESSES CACHÉES

L’enquête des gendarmes, dirigée par le parquet de Douai, est rapide. Avant d’être rachetée, la maison de Villers-au-Tertre appartenait aux Lempereur. Le couple est décédé, mais une partie de leurs cinq enfants résident toujours dans le coin. Ces derniers sont aussitôt convoqués à la gendarmerie comme témoins. Les enquêteurs obtiennent une première information capitale. Comme le raconte la journaliste Ondine Millot dans son livre sur l’affaire, Les monstres n’existent pas (Ed. Stock), les gendarmes apprennent alors que Dominique Cottrez, la dernière de la fratrie, avait caché sa deuxième grossesse.

L’aide-soignante de 45 ans, qui habite toujours dans le village, est interrogée à son tour. Oui, finit-elle par avouer. Outre ses deux filles, elle a bien été enceinte à plusieurs reprises. Sans avoir jamais signalé ses grossesses à son entourage. Son récit peut sembler incroyable. Mais il faut à ce stade préciser un point important. Dominique Cottrez est obèse, elle pèse environ 150 kilos. C’est cette forte corpulence qui aurait masqué son ventre rond.

Les deux bébés découverts dans le jardin ont dû naître, poursuit-elle, entre 1989 et 1991, l’année où elle est partie du domicile parental. Mais il y en a plus. Suivant les indications de l’aide-soignante, les gendarmes découvrent six autres dépouilles de nouveau-nés. Les corps sont cachés dans un garage, rapporte alors le média 20 Minutes, sous des pots de fleurs ou du matériel de jardinage, et enveloppés dans des sacs hermétiques.

Selon les premiers éléments de l’enquête, les huit bébés sont nés entre 1989 et 2007. Comme le précise alors le procureur de Douai, Eric Vaillant, Dominique Cottrez avoue avoir étouffé les nouveau-nés à leur naissance. L’aide-soignante, mariée à un charpentier, explique alors aux gendarmes ne pas avoir voulu de nouvel enfant après la naissance de ses deux filles, âgées désormais d’une vingtaine d’années. À cause d’un premier accouchement difficile en raison de son surpoids, l’aide-soignante se serait murée dans le silence sur ses grossesses. Son compagnon n’a rien vu, dit-il. Et malgré des rapports sexuels réguliers sans protection, il ne s’est pas interrogé sur les risques de grossesse. Quant à sa compagne, obèse, elle ne veut plus voir de médecin. Des rendez-vous qui auraient pourtant permis d’obtenir des moyens de contraception. À huit reprises, raconte Dominique Cottrez, elle a accouché seule avant de commettre l’irréparable. L’autopsie ne révèle aucune trace de coups.

L’émotion est forte à Villers-au-Tertre et dans toute la France. Le jour même de l’annonce, signale l’AFP, le prêtre du village, l’abbé Robert, met huit petites bougies devant le portail de la maison. Un hommage à ces huit petits «qui n’ont pas demandé à naître et qu’on jette quelques heures après».

Les gendarmes ont tout d’abord découvert les corps de deux bébés enterrés dans le jardin de l’ancienne demeure familiale des Lempereur, les parents de Dominique Cottrez. Les six autres corps seront retrouvés dans le garage. (Illustration: F.Mayot / L'Essor)

Les gendarmes ont tout d’abord découvert les corps de deux bébés enterrés dans le jardin de l’ancienne demeure familiale des Lempereur, les parents de Dominique Cottrez. Les six autres corps seront retrouvés dans le garage. (Illustration: F.Mayot / L’Essor)

DES PRÉCÉDENTS JUDICIAIRES

C’est alors le plus lourd dossier d’infanticide connu en France. Un an auparavant, une première affaire dramatique du même genre avait connu son épilogue judiciaire. Véronique Courjault avait alors été condamnée par la cour d’assises d’Indre-et-Loire à huit ans de prison pour trois infanticides. À l’été 2006, son mari, un ingénieur, avait découvert deux cadavres de bébés dans le congélateur de leur appartement de Séoul, en Corée-du-Sud, où le couple, qui a déjà deux enfants, était expatrié. Quelques mois plus tard, Véronique Courjault avouera avoir tué les deux enfants découverts en Asie, et tué un troisième, quelques années plus tôt en France. Pressée par les enquêteurs, la mère des trois enfants explique qu’elle ne voulait plus d’enfants, mais qu’elle ne souhaitait pas pour autant être assistée pour avorter. Son mari a bien remarqué quelques rondeurs. Mais comme elle a répondu à ses interrogations par la négative, il n’a pas insisté pour ne pas la blesser. Il ne s’agirait que de quelques kilos en trop.

Les psychiatres hésitent: s’agit-il d’une dénégation ou d’un déni de grossesse? «Peut-être ne comprendra-t-elle jamais ses actes, les ressorts en sont si mystérieux», rapporte l’un des experts, cité par le magazine Elle. «Je veux et j’espère trouver des réponses. Pour moi, pour mon mari, pour mes enfants», répond Véronique Courjault, condamnée à huit ans de prison.

Quelques mois avant la découverte macabre de Villers-au-Tertre, une autre affaire d’infanticide avait déjà secoué l’Hexagone. En mars 2010, Céline Lesage avait été condamnée à quinze ans de prison pour avoir étouffé ou étranglé six de ses nouveau-nés. L’affaire avait éclaté au grand jour trois ans plus tôt, avec la découverte dans la cave des corps des bébés par le père du sixième enfant. Lors de son procès, cette femme de Valognes, dans la Manche, peine à mettre des mots sur ses crimes. «Ce que j’ai commis, ce que j’ai fait, j’en ai conscience, dit-elle avant la fin de l’audience d’assises. J’ai conscience que j’ai tué mes bébés, les enfants que j’ai eus avec mes deux compagnons, mais c’est trop dur. Je me fais tellement horreur que je me voile la face. Je voudrais comprendre, mais je n’y arrive pas.»

Interrogée sur sa grossesse cachée pour le deuxième enfant, Dominique Cottrez ne tarde pas à avouer aux gendarmes avoir été enceinte à plusieurs reprises. (Illustration: F.Mayot / L'Essor)

Interrogée sur sa grossesse cachée pour le deuxième enfant, Dominique Cottrez ne tarde pas à avouer aux gendarmes avoir été enceinte à plusieurs reprises. (Illustration: F.Mayot / L’Essor)

«UNE PERLE»

Dans le Nord, on cherche aussi à comprendre ce qui a pu pousser Dominique Cottrez à tuer à huit reprises ses bébés. La mère de famille est pourtant «une perle», «une dame souriante», «discrète et sans histoires», rapporte la presse quelques jours après la découverte des corps. Par exemple, c’est une mamie gâteau avec son petit-fils Noah, dont elle s’occupe consciencieusement. «C’est une très bonne femme», confirme son compagnon, Pierre-Marie Cottrez, interrogé par France 3. «Les gens pourront dire ce qu’ils veulent, c’est mon épouse, c’est tout», ajoute-t-il.

Sa cheffe, au service de soins infirmiers à domicile, loue également la «très bonne aide-soignante». «Une bonne personne, très humaine, qui possédait toutes les qualités», poursuit Francine, qui décrit une professionnelle «douce lors des soins», émue par le décès de patients qu’elle suit. Elle en pleure, signe manifeste que leur mort la touche. Dominique Cottrez est la dernière d’une fratrie de cinq enfants. Elle a grandi avec ses quatre frères et sœurs à la ferme. La famille est dirigée à la baguette par la mère. Le père, aux champs, est plus taiseux.

Très vite, Dominique Cottrez prend conscience de sa différence. Elle est en surpoids –elle pèsera jusqu’à 160 kilos –, un problème qui la complexe. «À l’école, dès mon plus jeune âge, j’étais déjà à l’écart, j’avais des remarques sur mon poids, même de la part des instituteurs, sur le fait qu’en éducation physique j’avais du mal à courir», se souviendra-t-elle devant la cour d’assises. Comme le rapporte le quotidien Le Monde, elle pèse une centaine de kilos au début de sa première grossesse. Elle a affiché 130 sur la balance un mois avant l’accouchement. C’est la première explication donnée par la mère de famille à propos de ses huit accouchements clandestins. Une sorte de déni de grossesse sur fond de phobie du corps médical, commence à esquisser la défense.

Comme le raconte La Voix du Nord, Dominique Cottrez donne toutefois, quelques mois plus tard, une autre explication à son silence. Elle signale à la justice avoir été abusée par Oscar, son père, à de nombreuses reprises à partir de ses 8 ans. Des viols qui auraient continué lors de son mariage, Dominique entretenant une relation fusionnelle incestueuse avec son père. Si elle a tué les huit bébés, c’est parce qu’elle ne veut pas que les médecins s’aperçoivent qui est le vrai père, détaille-t-elle désormais. C’est «une femme qui ne voulait pas garder les enfants de son père. Qui, aujourd’hui, la blâmerait d’avoir fait cela?», questionne dans le quotidien régional l’un de ses deux avocats, Franck Berton.

Oscar Lempereur, décédé en 2007, ne peut plus être interrogé sur ces accusations graves. Mais des expertises ADN apportent un premier démenti. Le père des deux filles de Dominique Cottrez est bien son compagnon. C’est également le cas pour six des huit bébés tués. Quant aux deux derniers, l’expertise est impossible, faute d’ADN de qualité suffisante.

LA BATAILLE JURIDIQUE SUR LA PRESCRIPTION

À ce stade, au printemps 2011, Dominique Cottrez est mise en examen pour huit homicides volontaires sur mineurs de moins de 15 ans. Des inculpations prononcées à la fin juillet 2010, que la défense cherche à faire tomber en invoquant la prescription. Des expertises ont en effet permis de prouver que sept des huit bébés sont nés avant le 24 juillet 2000. Soit plus de dix ans avant la découverte de leurs corps par les nouveaux propriétaires de la maison familiale et les gendarmes. La datation du huitième bébé est plus compliquée: on sait simplement que Dominique Cottrez était bien enceinte en mai ou juin 2000, sans certitude sur une naissance postérieure au 24 juillet. C’est «à l’accusation de rapporter la preuve» qu’il est né après, rappelle toutefois Franck Berton.

Et l’avocat d’insister, en s’appuyant sur l’article 7 du code de procédure pénale : «En matière de crime, l’action publique se prescrit par dix années révolues à compter du jour où le crime a été commis, si dans cet intervalle, il n’a été fait aucun acte d’instruction ou de poursuite.» Avec un argument aussi tranchant, la bataille juridique est intense.

À l’issue de l’information judiciaire, Dominique Cottrez est visée par une ordonnance de mise en accusation, synonyme de procès aux assises. Contestée, cette ordonnance est confirmée par la chambre d’instruction de la cour d’appel de Douai en octobre 2011. Les juges, comme le rappelle le quotidien Nord Eclair, ont retenu la notion «d’infraction clandestine». Ce qui fait commencer le délai de prescription au jour de la découverte des corps des bébés.

Mais, deux ans plus tard, la chambre criminelle de la Cour de cassation rend un arrêt inverse. Elle annule le renvoi de l’accusée vers les assises, estimant, comme la défense, que les faits sont prescrits. L’affaire est alors renvoyée devant la cour d’appel de Paris. Quelques mois plus tard, en mai 2014, les magistrats de la chambre de l’instruction rendent une décision historique. Les juges retiennent finalement le même raisonnement que leurs homologues de Douai. Le délai de prescription doit courir à partir de la découverte des faits, puisque la justice a été «dans l’impossibilité absolue d’agir».

Les magistrats relèvent notamment, souligne Le Figaro, des relations sexuelles régulières et fréquentes, délibérément sans protection, qui précédaient le meurtre des bébés, des naissances «furtives», «de quelques secondes». La défense s’étrangle et fait un nouveau pourvoi en cassation.

Mais cette fois-ci, l’appel est rejeté. En novembre 2014, la plus haute juridiction française, réunie en assemblée plénière, la formation la plus prestigieuse de la cour, confirme en effet le renvoi. «La chambre de l’instruction a légalement justifié sa décision», annonce la Cour de cassation. Les magistrats valident le raisonnement de la cour d’appel: les grossesses, dissimulées par son obésité, étaient «manifestement indécelables». Les accouchements ont eu lieu sans témoins et les naissances n’ont pas été déclarées à l’état-civil. Soit autant d’éléments caractérisant l’infraction dissimulée, entraînant la suspension de la prescription par cet «obstacle insurmontable à l’exercice des poursuites».

«Les juges se substituent au législateur», regrette aussitôt, dans les colonnes de Nord-Eclair, l’une des avocates de Dominique Cottrez, Claire Waquet. Au contraire, l’une des parties civiles, l’association ‘Innocence en danger« , se félicite de la décision, notant que l’accusée va enfin pouvoir «répondre de tous ses crimes devant les citoyens français». La partie civile suggère toutefois le vote d’une proposition de loi pour rendre les crimes sur mineurs imprescriptibles, une façon à l’avenir d’éviter une telle joute judiciaire.

Depuis, comme le rappelle quelques années plus tard l’association « Innocence en danger », le délai de prescription des meurtres ou assassinats contre des mineurs est passé à vingt ans en 2017, avec un point de départ fixé en principe au jour de la commission de l’infraction, puis à 30 ans en 2018.

L’affaire Cottrez va donner lieu à une intense bataille juridique sur la question de la prescription.. (Illustration: F.Mayot / L'Essor)

L’affaire Cottrez va donner lieu à une intense bataille juridique sur la question de la prescription.. (Illustration: F.Mayot / L’Essor)

DES EXPLICATIONS ATTENDUES

Juin 2015. Plusieurs mois après cette décision historique de la Cour de cassation, le procès de Dominique Cottrez s’ouvre enfin devant la cour d’assises du Nord. Un procès attendu. Cela fait trois ans que cette femme, désormais âgée de 51 ans, est sortie de détention. On pressent en partie ce qu’elle va expliquer aux jurés. Comme le rappelle La Voix du Nord, ses accusations d’inceste, les viols commis par son père, devraient être au cœur de l’audience. «Je me souviens très bien, explique-t-elle alors dans les colonnes du quotidien régional. Ça a arrêté à l’adolescence, quand j’ai commencé à sortir, mais ça a repris après mon mariage. Mon père était toujours là pour moi, je pouvais parler un peu. On s’aimait… Aujourd’hui, j’ai compris que ça n’était pas normal, que mon père m’avait fait beaucoup de mal. Moi aussi, j’ai fait du mal à mes proches, à mes filles» – ces dernières se sont notamment interrogées, au moment des analyses ADN, sur leur réelle paternité. Et de regretter avoir été prise dans «un engrenage», faute «d’autre solution».

Si quelqu’un avait repéré sa grossesse, n’aurait-elle pas eu «un déclic»? «J’espérais que quelqu’un me dise ce que je devais faire, mais c’était de pire en pire», résume la quinquagénaire. Comme le rappelle plus tard la sociologue Julie Ancian dans L’Obs, les crimes des néonaticides rassemblent des caractéristiques bien particulières. Ces meurtres de nouveau-nés, commis dans les 24  heures qui suivent la naissance, le sont «presque exclusivement par la femme qui vient d’accoucher, après une grossesse dissimulée et un accouchement solitaire, non médicalisé». «Elles tuent les nouveau-nés dont elles n’ont pas pu avorter», le plus souvent en les étranglant ou en les étouffant, résume auprès de l’hebdomadaire la chercheuse à la thèse primée.

Des femmes qui se taisent, passant sous silence les agressions sexuelles dont elles ont pu être victimes durant leur enfance ou la complicité de leur conjoint, parfois parfaitement au courant des grossesses. Au cours de cette recherche, je ne voulais pas découvrir «des détails macabres», précise la sociologue. Il s’agissait au contraire d’écouter ces femmes ayant commis ces terribles crimes, «pour essayer de comprendre –avec leur aide– comment elles s’étaient retrouvées dans cette situation», précise-t-elle.

Des questions que se pose aussi la cour d’assises. Tout d’abord, comment les huit naissances ont-elles pu passer inaperçues? Dominique Cottrez raconte avoir posé des jours de congé pour s’absenter au moment du terme. Quand la naissance vient, la plupart du temps la nuit, elle prend des serviettes et accouche en cachette. «C’est au moment où vous le sentez sur vous que vous prenez la décision?», demande la cour à propos du premier bébé. «Oui, répond l’aide soignante, je ne savais pas quoi faire.» Et de poursuivre, à propos des naissances suivantes : «Je me retenais le plus possible pour que ça arrive le soir, quand tout le monde était couché. Après, je vais me recoucher, comme si de rien n’était. Certains matins, je reprenais ma vie comme avant.» Pierre-Marie, son mari, porté sur la bouteille, n’entend et ne remarque rien. Les corps des bébés sont pourtant d’abord remisés dans la chambre parentale, aux fenêtres grandes ouvertes pour aérer, du côté de Dominique, avant d’être entreposés dans le garage. Mais entre la pêche, les chantiers et les apéros entre amis, il semble être un simple locataire du foyer, habitué à ce que l’on fasse sa gamelle et le café. C’est sa femme qui fait tout à maison, dira-t-il au procès, des repas au ménage en passant par les enfants et les comptes. Dominique Cottrez accouche même discrètement d’un enfant lors d’un séjour à l’hôpital, à la suite d’une crise d’épilepsie. Là encore, personne n’a rien vu. Seul son père, décédé, était au courant, ajoute-t-elle, il avait constaté que son ventre était «bien dur».

«NON, JAMAIS»

Il y a toutefois des choses qui clochent dans le récit de l’accusée. Elle confie ainsi de manière étonnante avoir vécu une enfance normale. Malgré les viols incestueux, elle était bien dans le milieu agricole. Une ferme organisée autour de la culture de la pomme de terre, du blé et de la betterave, avec en plus quelques vaches, cochons et volailles, dit-elle. La petite était même la chouchoute de ses parents, Marie-Louise et Oscar. Ce dernier ne lui a-t-il pas offert une vache appelée Poupette? Ne va-t-il pas ramasser les œufs et nourrir les poules avec elle? Est-ce vraiment le même homme qui l’a ensuite violée alors qu’elle n’était qu’une enfant? L’avocat général Eric Vaillant a un doute. «Si vous êtes enferrée dans le mensonge, cela va être compliqué d’en sortir. Mais il n’est jamais trop tard, fait-il remarquer, selon le compte rendu de l’AFP. Votre papa, c’est quelqu’un qui est toujours apparu comme un brave homme aux yeux des autres. Si vous avez inventé, il est en train de se retourner dans sa tombe. Si votre père a fait ce que vous avez dit, c’est un énorme salopard.»

Dominique Cottrez confirme du bout des lèvres. Franck Berton, son avocat, intervient. «Visiblement, le procureur ne vous croit pas. Vos filles sont là, pouvez-vous jurer sur leur tête que votre père vous a violée?» La mention des enfants fait mouche. L’aide-soignante répond non par deux fois avant de fondre en larmes.

Après la suspension, Dominique Cottrez se livre un peu plus. «Non, je n’ai pas été violée par mon père», avoue-t-elle. La présidente Segond veut des précisions. Oscar l’a-t-il touchée? «Non, jamais.» Que ce soit après sa majorité ou avant? «Je n’ai jamais eu de relations avec lui», résume-t-elle. Le procès vient de basculer.

La journaliste Ondine Millot est alors aux premières loges, envoyée par son journal, Libération, pour couvrir le procès. Cela fait plusieurs mois qu’elle échange avec Dominique Cottrez pour mieux comprendre son histoire. Elle s’est plongée dans la procédure pour y découvrir la parole déconcertante de la mère des huit bébés. Cette dernière est capable de dire une chose et son inverse en quelques phrases. Aux assises, elle remarque également des contradictions entre ce que l’accusée lui a raconté et ce qu’elle dit à la cour.

Comme elle le rapporte dans son livre, les magistrats sont, eux aussi, déstabilisés par cette parole mouvante. Son mari n’a-t-il rien vu et rien su? Oui, il n’a rien remarqué, confirme, par exemple, Dominique Cottrez à la barre. Avant, ensuite, de déclarer: «Je pense qu’il savait.» «Vous m’avez dit qu’il ignorait tout, il savait ou il ne savait pas?», la reprend la présidente Segond, selon le récit fait par Ondine Millot. «Il savait… C’est une supposition», répond Dominique Cottrez.

SOUFFRANCES

Que faut-il vraiment retenir de la parole de l’accusée? «Elle seule connaît la vérité», résume Franck Berton, interrogé par Ondine Millot. «C’est une femme traumatisée, en immense souffrance, une femme qui se hait. Ce qui s’est passé dans son enfance, l’origine de ce traumatisme, restera peut-être toujours son secret.»

Une première souffrance a été clairement identifiée par la cour. Quand elle a accouché de sa première fille, Emeline, en 1987, la sage-femme aurait traité Dominique Cottrez de «gros boudin». «Elle m’a dit que j’avais intérêt à perdre 30 kilos si je voulais un autre enfant», poursuit-elle. Citée à l’audience, Pierrette ne s’en souvient pas –elle a pratiqué environ 5.000 accouchements dans sa carrière. Mais elle admet avoir donné de sa voix forte des conseils aux femmes corpulentes. «Elle a insulté l’avenir», regrette à la barre le professeur Subtil, le chef de la maternité lilloise Jeanne-de-Flandre, cité par La Voix du Nord. «Par ses paroles, telles qu’elles ont été perçues par l’accusée, c’est comme si elle lui avait interdit de revenir à la maternité», poursuit-il.

Dans son livre, Ondine Millot met également en exergue d’autres brisures familiales chez les Lempereur. La mère de Dominique, Marie-Louise, a par exemple tout fait, en vain, pour éviter sa quatrième grossesse. Pour la cinquième –la future accusée–, elle réagit de manière différente. «Elle s’est mise à nourrir Dominique de façon exponentielle, elle la gavait» avec des biberons rallongés au beurre, raconte son beau-frère Bernard à la cour. Une alimentation désastreuse pour un nouveau-né. Les bébés ont pourtant besoin d’éprouver la faim, de la signaler et d’être entendus pour expérimenter leur relation à l’autre. Avec ce gavage, «il est privé de désir», s’alarme Ondine Millot.

Autre découverte de la journaliste: il y a eu des tensions dans la fratrie après le décès d’Oscar. Jacqueline, l’aînée, a découvert d’importantes et curieuses dépenses d’alcool à l’époque où Dominique prenait soin de son père – du ménage à ses sorties, en passant par les soins. En trois semaines, onze bouteilles d’alcool fort ont été achetées, selon des tickets de supermarché. Rien à voir avec la consommation du grand-père. Six ans plus tôt, Oscar avait également demandé de manière étrange à ses enfants de renoncer à leurs droits sur la ferme pour la céder à Dominique et Pierre-Marie. «Sur la feuille jointe à remplir, pas de doute, c’est la graphie plus ronde et plus sûre de Dominique», assure Ondine Millot.

Cette dernière rappelle enfin qu’un dernier mystère reste entier. L’accusée conteste avoir enterré les corps des deux bébés découverts dans l’ancienne maison familiale. C’est l’un des rares épisodes de l’affaire où sa parole n’a jamais varié, observe la journaliste. Et de signaler une piste pour cette énigme. Jacqueline, l’aînée des Lempereur, et son mari lui ont confié une drôle d’anecdote. Un an avant sa mort, Marie-Louise, la compagne d’Oscar, se lamente. Elle ne croit plus au bon Dieu, dit-elle d’une façon bien désespérée. Le couple s’inquiète, s’en va chercher Oscar. Ce dernier s’énerve. «Tu vas la fermer», répète-t-il par deux fois à sa compagne, la menaçant de son poing. Jacqueline et son mari, effrayés, s’en vont aussitôt, raconte Ondine Millot. Mais bien des années plus tard, ils s’interrogent auprès de la journaliste. Ce brusque accès de colère cachait-il la connaissance du terrible secret familial? Celui de la découverte dans le jardin des corps des deux bébés que Dominique Cottrez avait cachés dans le grenier? On ne le saura sans doute jamais.

Avant le procès, à la suite d’une saisie du parquet, la justice donne un nom aux huit bébés. (Illustration: F.Mayot / L'Essor)

Avant le procès, à la suite d’une saisie du parquet, la justice donne un nom aux huit bébés. (Illustration: F.Mayot / L’Essor)

LA SOUFFRANCE, «PAS UNE EXCUSE»

À Douai, le procès de Dominique Cottrez touche à sa fin. L’aide-soignante encourt la réclusion criminelle à perpétuité. «L’explication d’inceste nous rassurait», mais elle «nous endormait aussi», remarque tout d’abord l’avocat général, Eric Vaillant. Le magistrat distingue d’abord la première naissance, un meurtre sans préméditation. Les sept naissances suivantes se caractérisent, elles, par une «certaine détermination», une «organisation» et un «sang-froid», ajoute Annelise Cau, la deuxième voix de l’accusation. «Il faut qu’elle reparte en prison», pour qu’elle «comprenne l’horreur absolue des crimes qu’elle a commis», poursuit Eric Vaillant. «L’extrême souffrance» de cette femme fragile et névrosée «ne peut absolument pas être une excuse», conclut-il avant de requérir 18 ans de prison.

Une peine élevée qui lui vaut, racontera-t-il à Ondine Millot, un regard de haine de l’accusée. «Je ne m’y attendais pas. Ce n’était plus la femme douce et timide. Elle aurait pu me tuer avec les yeux.» Au tour de Franck Berton et de Marie-Hélène Carlier de plaider pour l’accusée. Les deux avocats font mouche. «Si la maternité était si simple…», soupire d’abord Me Carlier, citée par La Voix du Nord dans son compte rendu du procès. «Avant d’être mère, il faut être une femme», ajoute Me Berton. Et de rappeler ainsi comment Dominique Cottrez, de plus en plus forte, est devenue de plus en plus transparente aux yeux de ses proches, elle, l’aide-soignante qui ne disait rien et qui faisait tout à la maison.

«Oui, cette femme est différente de vous. Oui, elle vous ressemble», résume Franck Berton à destination des jurés. Les mots font mouche. Dominique Cottrez est condamnée à neuf ans d’emprisonnement, seulement la moitié de la peine réclamée par le parquet. Trois ans plus tard, en juillet 2018, la mère de famille sort finalement de prison, une libération conditionnelle liée avec plusieurs obligations, des soins psychologiques à l’interdiction de revenir dans son village. Quant aux huit bébés, ils ont enfin eu un prénom en juin 2015. À la suite d’une saisie du tribunal de grande instance par le procureur de Douai, Eric Vaillant, un jugement supplétif d’acte de naissance a été obtenu. Ils s’appellent Xavier, Hubert, Fleur, Ingrid, Alphonse, Mariette, Blandine et Judith.

Par Gabriel Thierry – Dessins Frédéric Mayot

Ce récit a été publié dans le numéro 594 de votre magazine L’Essor de la Gendarmerie, paru en octobre 2024. Découvrir le sommaire de L’Essor de la Gendarmerie – n°594

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