<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Paul Barril : cinq semaines derrière les barreaux aux Baumettes

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Paul Barril : cinq semaines derrière les barreaux aux Baumettes

par | Paul Barril en prison, Vie des personnels

Le 30 novembre 2006, le luxueux Cercle de jeux parisien, le Concorde, situé rue Cadet, dans le 9e arrondissement, est inauguré en grande pompe. Dans  les statuts, il s’agit de «  promouvoir l’idéal républicain  » (sic)… Le Tout-Paris du show-biz, de la politique et des affaires s’y bouscule (Jean Reno, Karl Zéro, la princesse Caroline de Monaco….), mais aussi des élus de tout bord politique : Marysse Joissains, alors députée-maire d’Aix-en-Provence   ; le maire de Bonifacio, Jean-Baptiste Lantieri…

Un Corse haut en couleur, ami de toutes ces célébrités, Paul Lantieri, anime avec tact, gentillesse et prévenance, cette fête bling bling. Bon vivant, figure incontournable du milieu de la nuit appartenant aux Corses, il est associé avec André Boudou, le père de Laetitia Hallyday.

Paul Lantieri a dirigé avec succès pendant cinq saisons L’Amnésia, la plus grande discothèque d’Europe, la plus mythique aussi, en plein air.

Cette superbe boîte de nuit du Cap d’Agde a été totalement détruite, en avril 2000, par un attentat à l’explosif non revendiqué ni élucidé à ce jour. Mais l’esprit de L’Amnésia donne encore  des frissons à tous les clubbers , comme David et Cathy Guetta, Laurent Garnier, et même pappy Eddy Barclay. Ils ont tous connu ce lieu enchanteur et envoûtant. Mais maintenant, il s’agit de relancer à Paris le cercle de jeux Le Concorde, fermé depuis 1988 sur ordre de Pierre Joxe, ministre de l’Intérieur.

Paul Lantieri

Ce n’est pas une mince affaire. M. Paul s’est associé à François Rouge, banquier genevois qui cherche à pimenter sa vie. La mise de fonds de 4 millions d’euros du financier sans histoire, connu et respecté sur la place de Genève, permet à Lantieri de parler d’égal à égal avec ses deux associés de poids et aux dents longues   : Edmond Raffalli et Ange-Toussaint Federici, des personnages autoritaires, étroitement liés au business des jeux, mais aussi au grand banditisme.

Ce 30 novembre 2006, personne ne remarque  la présence à la tête, du cercle Le Concorde de personnages aussi peu recommandables. L’ivresse de la fête peut-être… avec le champagne Roederer qui coule à flots, enveloppé par le parfum envoûtant et provocateur de nombreuses jeunes femmes qui rivalisent de beauté et d’élégance.

Concernant Le Concorde, l’Etat est le premier à fermer les yeux. Un mois plus tôt, les Renseignements généraux (la police des jeux), avec  l’excellent directeur Jöel Bouchité, avaient rendu leur rapport recommandant au ministre de ne pas délivrer l’autorisation d’ouverture. Mais le ministère de l’Intérieur, dirigé d’une main de fer par Nicolas Sarkozy, supervisé par Cecilia son épouse, donne sa bénédiction au projet de reprise porté par le quartet Lantieri-Rouge-Raffalli-Frederici.

En novembre 2007, rien ne va plus, «  les jeux sont faits   ». Le Cercle Concorde est à nouveau fermé, en catastrophe. Le litige entre  les  différents associés ne se règle pas avec des mots ou des avocats, ni par le biais d’une solution négociée, mais à coups de violences. Une grosse partie de la recette des jeux s’est volatilisée.

En Corse, l’argent ne disparaît pas, il change simplement de poche…

Le juge Charles Duchaine, de la JIRS –  Juridiction interrégionale spécialisée de Marseille     –, épaulé par le juge Serge Tournaire (Corse né à Marseille), est chargé du dossier. Sur directives du magistrat, la police intervient. Plusieurs dizaines de personnes sont arrêtées, parmi lesquelles le banquier François Rouge. Le juge a monté un stratagème de voyou pour  l’attirer en France… La méthode n’est ni très classe, ni morale, pour un magistrat.

Cercle de jeu

La mission du juge d’instruction n’est pas de juger, encore moins de punir en incarcérant à tour de bras. La détention doit être réservée en priorité aux personnes définitivement condamnées et aux individus présentant un danger réel pour la société. La vraie  mission du juge est d’instruire, sans passion ni parti pris, à charge mais aussi à décharge, pour faire triompher la  vérité. (Lire encadré)

Le juge Duchaine apprécie l’aura et l’image que les médias lui façonnent. Il fait partie de la dream team et ne « craint degun » (comme on dit à Marseille). Il aime l’image du motard baroudeur avec son gros cube. Mais, en vérité, Duchaine à peur, tout comme Tournaire, qui  se déguise pour faire son jogging, puis prend soin de mettre ses affaires dans un sac à dos.

Il joue les passe-muraille.

Duchaine fait du chantage à sa hiérarchie : il est « menacé ». Pendant deux ans (2013-2014), deux officiers de sécurité du service de protection des hautes personnalités veilleront quelques mois sur lui, payés par le contribuable. «  Canard  » (pseudo du juge) était très fier de ses body guards, dont Frank Brinsolaro, alors âgé de 39 ans.

Frank sera abattu le 7 janvier 2015 en assurant la protection du patron de Charlie Hebdo.

Le 9 mars 2011, le juge affirmera : « J’aime les enquêtes médiatiques, qui me rendent excité comme un gamin.   » Prudent, il attendra la fin de son séjour à Monaco (1995 à 1999) pour publier (chez Laffont), bien qu’il ne soit pas à la retraite et soumis au devoir de réserve, Juge à Monaco, le 27 juin 2002. Durant son confortable séjour dans la principauté, il avait  bénéficié  d’un salaire gratifiant, avec un appartement de fonction luxueux et les avantages du «   Rocher   ». Le Procureur général de la principauté, Gaston Carrasco, l’avait pourtant mis

en garde sur cette publication : « Monsieur Duchaine, on va vous couper la tête.    »

Le juge sera condamné en diffamation par le tribunal correctionnel de Nice, présidé par Mme    Marie Christine Aimar, à 1  000 euros d’amende envers Daniel Ducruet (ancien mari de la princesse Stéphanie). Le juge Duchaine fera appel. Il sera condamné à nouveau avec une amende supplémentaire de 900 euros à verser à M.  Ducruet.

Revenons au dossier corse du Concorde. Duchaine fait du chantage, il menace de faire incarcérer la compagne enceinte et prête à accoucher de l’un des gardés à vue, Bazin, dit Mario : afin qu’il appelle le banquier et le convainque d’un rendez-vous urgent à Lyon, où il sera aussitôt interpellé. Paul Lantieri est informé de l’opération de police quelques heures avant son déclenchement. Il a le temps de se volatiliser dans la nature.

En ce qui me concerne, moi, Paul Barril, la genèse de toute cette histoire est très simple. Elle commence par un appel de Jacques Verges, mon avocat et mon ami. Il  me demandait de prendre  contact avec l’une de  ses nombreuses relations, François Rouge, dont je n’avais jamais entendu parler auparavant. Il m’expliquait en quelques mots que : son client avait repris un cercle de jeux à Paris ; qu’il avait de sérieux problèmes de sécurité avec ses associés corses. Plus de 7 millions d’euros avaient été détournés en moins d’un an.

Mon nom ayant été cité dans la procédure, je décidai d’anticiper une convocation et de me présenter spontanément aux enquêteurs et au juge. Pour désamorcer toute accusation me concernant. Cette technique montrant ma bonne foi avait toujours bien fonctionné…

Quand je me présente à l’Evêché, le célèbre commissariat central de la cité phocéenne, je suis loin d’imaginer ce qui va me tomber sur la tête. Je ne pense pas une seconde risquer une GAV(garde à vue), ressortir les menottes aux poignets.

Je porte un beau costume Hugo Boss avec une cravate Armani achetée en Arabie. Je suis serein, j’ai la conscience tranquille. Ayant été en contact avec François Rouge, je pense que l’on va juste m’interroger, une simple routine.

D’emblée, cela part mal. J’ai face à moi la commissaire Magali Caillat, de la police judiciaire. Les cheveux mi-long, la quarantaine, c’est une belle femme à l’allure plutôt BCBG. Une main de fer dans un gant de velours…

Elle me fait comprendre que c’est elle la « chef ». Ses questions me désarçonnent.

– Monsieur Barril, balancez-moi l’Arménien, Patrick Devedjian, et je vous sors sur-le-champ du dossier   !

– Je ne le connais pas !

– Le banquier Rouge est-il homo   ?

– Je n’en sais rien, je m’en fous totalement  !

–  Comme vous voulez.

Au sourire et à la jubilation des policiers de Marseille, je réalise que les vieilles haines entre policiers et gendarmes sont brutalement ressuscitées. Je suis parti pour quatre longs jours de garde à vue.

Plus tard, lorsque je me retrouve dans le bureau des juges Tournaire et Duchaîne, de la Juridiction interrégionale spécialisée (JIRS) de Marseille, c’est la douche froide. Le climat est lourd. Je suis traité comme si j’étais un islamiste évadé et multirécidiviste. Lorsque je tente d’expliquer que je n’ai joué aucun rôle dans l’affaire du cercle Le Concorde, le juge Tournaire persifle, rageur : «    Si vous n’y êtes pour rien cette fois-ci, cela sera pour l’ensemble de votre œuvre… L’affaire des Irlandais de Vincennes, le scandale des écoutes téléphoniques de l’Elysée…   ».

Juge Charles Duchaine

Mon avocate ne pourra pas obtenir l’inscription de cette déclaration au procès-verbal d’audition. Je n’en crois pas mes oreilles. J’essaie alors de comprendre ce qui se passe, de trouver une explication. Je me dis que la raison de ces ennuis est à chercher ailleurs que dans les cercles de jeux, que je ne fréquente pas. L’animosité du juge Tournaire à mon égard est manifeste, injuste et indigne d’un magistrat. Lorsque je lui propose de regarder ce que contient mon ordinateur portable crypté, pour montrer que je n’ai rien à me reprocher, il répond qu’il s’en moque. Agacé, je demande à mon avocate, Sophie Jonquet, en sortant du palais, de jeter mon PC Toshiba dans le vieux port.

Aucune réaction ! Pour lui, je suis coupable. Mais de quoi?

Le 24 décembre 2007, la veille de Noël, après quatre jours de garde à vue dans des locaux moyenâgeux, et avec ma maladie de Parkinson qui commence à me handicaper sérieusement, je suis placé sous mandat de dépôt et mis en examen pour «     association de malfaiteurs en vue de la commission d’extorsion en bande organisée, en vue du délit d’assassinat et en vue du délit de corruption. » Rien que ça    ? Je ne suis pas encore sorti du bureau des juges que mon nom est jeté en pâture aux médias. Je vais être servi!

Ma famille et mes amis, du moins ce qu’il en reste, tombent des nues. Naïvement, je croyais qu’eu égard à mes états de service et à mon casier judiciaire vierge, le Juge des libertés et de la détention (JLD) ne jugerait pas utile de me placer sous écrou. J’avais sous-estimé le ressentiment des magistrats à mon égard et leur envie de briller dans les médias. Pour eux je suis un beau trophée. Cette affaire leur offre, pensent-ils, une occasion de prendre leur revanche sur les Corses qu’ils n’ont pas pu faire tomber lorsqu’ils étaient en poste à Bastia.

J’apprendrai plus tard que le juge Tournaire est «corse d’adoption », du petit village Moltifao, près de Corte. Le jour de Noël, il a bruyamment sabré le champagne en compagnie de son frère, psychiatre à la prison de Borgo, en Corse, pour fêter l’incarcération du capitaine Barril.

Pendant plusieurs années, j’ai subi la réputation sulfureuse qu’on me prêtait, pour servir les intérêts des Etats qui m’employaient dans la lutte contre le terrorisme. Ce 24 décembre 2007, ma réputation de bad boy infréquentable me revient en pleine figure, comme un boomerang. J’avais appelé le banquier François Rouge pour que nous nous rencontrions. Sa démarche était un appel au secours. Il était terrorisé et se sentait menacé. Nous nous sommes vus trois fois, brièvement. Je lui avais fait plusieurs recommandations : surtout, de rester en Suisse, de déposer plainte et de se rapprocher du ministère de l’Intérieur qui avait délivré la licence de jeux pour le cercle Le Concorde.

Il me semblait que c’était la première chose à faire. Ma marge de manœuvre pour agir dans ce dossier était très étroite. A cette époque, j’étais toujours entre deux avions, avec de nombreux dossiers à traiter. Comme je m’étais engagé auprès de Jacques Vergès, il était hors de question que je n’essaie pas d’aider son protégé.

J’ai commencé par collecter le maximum d’informations et de photos sur le pedigree 
des lascars qui gravitaient autour du cercle Le   Concorde. J’ai récupéré un certain nombre de documents auprès d’amis journalistes chez Bakchich , qui suivaient l’affaire avec attention.

Comme je n’avais pas la possibilité ni le temps de m’investir, j’ai transmis le dossier à Olivier Bazin, plus connu  sous le nom de « colonel Mario ». Un garçon que j’avais rencontré lors d’une mission en Centrafrique. Il connaissait bien le milieu des jeux. Il était le propriétaire de tous les jeux du Tchad, dont le PMU. Il se trouvait en France depuis quelque temps : son épouse devait accoucher prochainement. C’est un aventurier sympathique, débrouillard, comme on les rencontre en Afrique. Un bon garçon, « un National », comme aurait dit François de Grossouvre. (Le colonel Mario m’avait rendu un service par le passé en m’aidant à nouer des contacts étroits avec le MJE – le Mouvement de la justice et de l’égalité  – d’Ibrahim Khalil, au Darfour, mission que m’avait confiée personnellement le ministre des Affaires étrangères, Philippe Douste-Blazy).

 Concernant l’affaire du Cercle Concorde, je pensais que le colonel Mario pouvait m’épauler une nouvelle fois. Je lui avais transmis tous  les documents sur lesquels figuraient les photos et les curriculum vitae des personnes qui menaçaient de mort le banquier suisse. Les policiers en charge du dossier avaient suggéré au juge que je préparais l’élimination physique de tout ce petit monde… En septembre 2007, Marcel Ciappa, proche de Lantieri, était abattu au fusil  de chasse à la chevrotine, alors qu’il était hospitalisé à la clinique d’Aubagne. Pour les policiers, c’est un coup de professionnel :

« Pas de  doute, c’est la signature du capitaine Barril   ! Il agit pour défendre Lantieri et Rouge. » Il fallait charger la barque pour pouvoir m’expédier derrière les barreaux…

Me faire incarcérer à la prison des Baumettes, bel exploit ! Mais c’était un peu risqué. Les magistrats savent ce qui attend les gendarmes et les policiers lorsqu’ils se retrouvent détenus avec ceux qu’ils ont fait arrêter. Les gardiens de la prison n’en ont pas cru leurs yeux lorsqu’ils m’ont vu arriver, menotté et encadré comme si Jacques Mesrine était de retour. Pourtant, je suis l’un des rares officiers de Gendarmerie à avoir été décoré de la médaille de l’administration pénitentiaire pour actes de bravoure dans des enceintes de détention…

Entrer en prison le soir de Noël, quel coup de pied dans les fesses, tout de même ! C’est un signe fort de la vie. Je ne suis ni triste, ni choqué. J’ai tellement côtoyé la mort durant ma carrière que je reste de marbre. Les Baumettes sont insalubres, mais on n’y torture pas les détenus…

Le capitaine Paul Barril en prison

Je me retrouve seul dans une cellule sale, triste et sombre, de 9 mètres carrés. Avec une vue imprenable sur le mirador et les barbelés. Il y a un petit frigo, une plaque chauffante électrique, une minuscule télé, un lit métallique, deux couvertures malodorantes, un WC. Ce n’est finalement pas si mal. Je connais des pays africains où même les VIP n’ont pas l’eau courante…

Il fait un froid humide qui me glace les os et me paralyse. Je place le réchaud électrique sous le matelas pour me réchauffer un peu. J’ai appris la  méthode des Pères blancs : savoir observer pour s’adapter. Je m’impose une discipline de vie. Je suis un soldat en mission. Je nettoie ma cellule, j’établis un programme de lecture et d’action pour la journée. Je prévois même des itinéraires de sortie au cas où… Résister et être toujours prêt à saisir une opportunité, c’est ma méthode.

Je ne me suis jamais ennuyé durant ce séjour. Je suis prêt depuis longtemps à endurer ce genre de situation. Je devais tenir mentalement et physiquement. Séries de cinquante pompes, étirements, des rafales de coups de pied circulaires de karaté (mawashi-geri) dans le mur. Cela réchauffe et défoule. Je m’impose deux heures de marche par jour. Je me rase.

Je monte des bribes de réseau avec les gardiens. Je veille à manger lentement en mettant de côté les aliments trop gras ou trop riches, incompatibles avec l’inactivité. Je me tiens informé de ce qui se passe à l’extérieur.

Je dévore le journal Le Monde et surtout Le Canard enchaîné. Je limite les heures devant le poste de télévision accroché au mur, ce n’est pas bon de s’abrutir devant un écran minuscule.

Les premiers jours de mon incarcération, j’étais un peu la bête curieuse. Ma présence va même jusqu’à susciter l’incrédulité parmi le personnel pénitentiaire et les détenus. Les histoires les plus rocambolesques se racontaient à mon propos. Un jour, un gardien sympathique au fort accent méridional est venu dans ma cellule. 
Il s’est approché et m’a chuchoté à l’oreille : 
« Le capitaine Barril en détention, on ne me la fait pas, à moi ! Vous êtes en infiltration, mon capitaine. C’est fort ! Bon courage, bonne mission. Si vous avez besoin de moi, n’hésitez pas. »

Pour aller au parloir voir mon avocate, Sophie Jonquet, ponctuelle, efficace et courageuse, la seule personne qui était autorisée à venir me voir, je devais, accompagné de quatre gardiens, traverser une grande partie des Baumettes. Comme j’étais à l’isolement, personne ne devait m‘approcher ni me parler. Toutes les portes, toutes les grilles, tous les sas se fermaient sur mon passage, créant des embouteillages.

Ce manège exacerbait la curiosité des autres détenus. Quand ils me reconnaissaient, des cris fusaient : « Capitaine, courage ! Si tu as besoin… Pace e salute. » Aucune menace, pas d’insultes. Aux Baumettes, 80% des repas sont hallal. 80% de la population est musulmane, avec un imam pour maintenir les détenus dans les règles du Coran. Ce sont les détenus qui contrôlent et gèrent la cantine. J’avais commandé un kilo de confiture à la fraise. J’ai reçu cinquante pots d’un kilo. Une erreur? Une blague?…

Par deux fois, en pleine nuit, les gardiens m’ont changé de cellule en urgence. Un tireur d’élite devait m’abattre… Heureusement, ce séjour a été quelque peu adouci grâce aux égards des gardiens et du directeur de la prison.

Le 1er janvier 2008 vers 13 heures, j’ai entendu dans le couloir un bruit anormal qui se rapprochait de ma cellule. Quelqu’un a tourné une clef dans la lourde serrure métallique. « Bonne année, mon capitaine ! » La sous-directrice de la prison, une jolie blonde avec un très beau sourire plein de gentillesse, était venue m’offrir des chocolats Ferrero, comme dans la publicité. Son geste m’a touché, il m’a sorti quelques instants de ma solitude. J’ai reçu un courrier de star, avec des lettres de soutien d’inconnus me disant. « Courage, tenez bon ! »

Une lettre adressée aux deux juges me surprendra. Le président Lissouba et son épouse Jocelyne, du Congo Brazza, tenaient à témoigner de ma moralité et de mon intégrité, se portant garants pour moi. Une seule lettre de menaces, déplaisante et injurieuse, provenait du commandant Beau. 
Je lui  avais pourtant sauvé la vie en le désarmant de force pour l’empêcher de se suicider…

Par la fenêtre de ma cellule, j’ai eu le temps d’observer de près les chats des Baumettes.

Ils sont plus de deux cents à avoir élu domicile dans des endroits inaccessibles aux hommes. Une équipe de gardiens est chargée de leur régulation, car l’accroissement de la colonie est exponentiel. Ils en capturent vingt ou trente à la fois en utilisant des boîtes piégées. Les chats sont alors soignés, vaccinés et castrés. Mais nombre de ces félins équilibristes évitent les  pièges. J’en reconnais sept ou huit, unis comme des frères, toujours ensemble. Chaque jour, après la fin de la promenade, alors que la cour se vide, les félins investissent les lieux devenus déserts. Sur le toit de la salle de gym, un beau zébré musclé solitaire et nonchalant se prélasse en me regardant. Il a pris ses quartiers et personne ne le dérange, c’est une forte tête.

Je l’appelle Duchaine…

Pour se nourrir, les matous n’ont aucun problème. Ils profitent de la générosité humaine. La majorité des plateaux-repas atterrissent deux fois par jour dans la cour. Lorsque souffle un fort mistral, les restes sont ainsi distribués, tandis que les plastiques s’envolent. C’est la valse des détritus, une forme de liberté, vocable qui prend tout son sens quand on est seul aux Baumettes, à l’isolement, le soir de Noël et du Nouvel An.…

Je suis surpris de la présence de femmes au sein du personnel pénitentiaire et de leur sérieux. Elles représentent un tiers des effectifs. Le soir, j’écoute les bruits du couloir, je cherche à les identifier, à les détecter. Le pire peut se produire, avec des gardiens complaisants qui peuvent ouvrir votre porte pour laisser le champ libre à un commando de tabasseurs. J’étais toujours prêt au corps

à corps. Chaque soir je me préparais au pire. J’avais cinq stylos à bille que je fixais solidement avec du ruban adhésif sur chaque doigt. Mes coups portés à la gorge devenaient mortels. J’avais pour voisin de cellule Roland Cassonne, le parrain des parrains du milieu marseillais. Il était calme et très poli. Je me tais et fais profil bas.

Dans ce genre de circonstances, il faut s’adapter, rester modeste et faire le caméléon. Etrange, je trouve gravé, parmi les centaines de graffitis et de messages sur le mur de ma cellule, la devise de la CIA : « Vous trouverez la vérité et la vérité vous affranchira. » Avec ou sans l’aide des écoutes téléphoniques?

Un matin, à l’heure de la relève, un gardien avec qui j’avais pris l’habitude d’échanger quelques mots au moment de la distribution des repas me glisse à l’oreille : « Vous avez un ami qui vous salue tous les matins. » Sur le coup, je n’ai pas compris ce qu’il voulait me dire. Plus tard, mon avocate m’apprend que j’avais Jean-Marc Rouillan pour voisin. Rouillan, le chef d’Action directe, que j’ai traqué trente ans plus tôt.

Je réalise alors que je suis en détention à l’isolement total, et lui, Rouillan, terroriste assassin, bénéficie du régime de la semi-liberté depuis le 17 décembre 2007. Il sort le matin pour aller travailler chez l’éditeur marseillais Argone. Le soir, il sonne à la porte des Baumettes et crie : « Je suis Rouillan, je viens passer la nuit en prison, ouvrez-moi s’il vous plaît. »

Lorsque mon avocate a pu obtenir ma libération, j’avais passé plus d’un mois derrière les barreaux crasseux et moyenâgeux des Baumettes.

Ouf ! C’est bon, la liberté.

Lorsque nous avons épluché le dossier qui m’avait valu cette incarcération, je suis tombé à la renverse. Ma dangerosité supposée était basée sur deux transcriptions de conversations téléphoniques qui m’avaient été attribuées par erreur.

Les propos qui m’étaient prêtés étaient ceux d’un autre Paul. Paul Lantieri, je suppose…

Le juge Duchaine a reconnu – après avoir pris le temps, à ma demande, de prendre connaissance des deux écoutes litigieuses – que ce n’était pas ma voix…

Il a été très gêné quand je lui ai demandé de faire acter devant les avocats présents qu’il avait fabriqué volontairement des fausses écoutes, en accord avec la directrice d’enquête, pour me faire incarcérer.

Le grand juge Duchaine, l’idole des médias, pris la main dans le sac des écoutes… Il a admis qu’il y avait eu une erreur. Personnellement, je lui reproche de ne pas avoir eu une approche objective et neutre du dossier.

L’épilogue de toute cette affaire est étonnant. En 2012, le vice-procureur Marc Rivet a eu un joli succès auprès de la presse locale, lors de la publication de son arrêt de renvoi de 134 pages, rédigé comme un vrai polar. Il en oubliait de citer mon nom, sans demander la moindre peine contre moi.

Le dossier s’étant dégonflé comme une baudruche. J’avais tenté d’expliquer à l’époque que je payais pour ma notoriété et de vieilles jalousies. J’en reste persuadé. J’ai tout de même passé plus d’un mois aux Baumettes…

Les magistrats qui ont jugé l’affaire du cercle Le Concorde mon accordé une relaxe totale…

Il reste cependant une énigme. Pourquoi la justice et la police n’ont-elles pas mis autant de zèle à traquer Paul Lantieri, le véritable pivot de toute cette affaire   ? Je suppose que sa proximité avec les policiers de l’Evêché, avec le Tout-Paris du show-biz et de la politique, faisait redouter d’autres scandales. Une chose est sûre, depuis 2007, son frère, Jean-Baptiste Lanteri, gère ses affaires et continue à les faire prospérer. Etonnant, non ? Sympathique, le travail en famille…

En juin 2013, Paul Lantieri sera présent au procès du cercle Le Concorde, qui durera trois semaines. Souriant, il embrasse tout le monde. Courageusement il vient se livrer à la justice et s’expliquer sur la gestion du Concorde, qui rapportait 250   000 euros par mois aux différents actionnaires du Casino et de la Rotonde, la brasserie à la mode d’Aix-en-Provence.

Le soufflé des juges Duchaine et Tournaire, monté avec une presse complaisante pour le juge Duchaîne et les policiers de la JIRS, était retombé au niveau le plus bas.

Le procureur demande « la relaxe pour le capitaine Barril », les magistrats sont très gênés à cause du mois que j’ai passé aux Baumettes. Je suis totalement mis hors de cause, victime de ma réputation de bad boy !

Les plaidoiries de mes avocats furent brèves mais incisives, rappelant les propos du juge d’instruction : « Monsieur Barril, je vous mets en détention. Si vous n’y êtes pour rien dans le cercle Concorde, ce sera pour l’ensemble de votre œuvre ! »

Le capitaine Barril, donc, est l’enfant terrible d’une justice parfois rancunière!

Pondérée, la présidente saura, avec humour, résumer les 15 interrogatoires réalisés pendant les 4 jours de garde à vue d’un prévenu corse : « Je ne sais pas. Je suis innocent. »

Pour certains Corses, il a déjà trop parlé…

A retenir en cas de convocation !…

Le 25 septembre 2013, tôt le matin, au palais de justice de Marseille, le tribunal correctionnel prononçait les condamnations du procès du cercle Le Concorde :

–     Paul Lantieri : 3 ans de prison.

–    François Rouge : 18 mois de prison.

–    Paul Barril : relaxe totale (sans appel  du parquet, ce qui aurait pu sauver l’honneur  des juges  Tournaire et Duchaine).

Ce dernier fera une véritable crise en apprenant la relaxe du capitaine.

–  Monsieur Barril  demandera 1,5 million de dommages et intérêts, comme le prévoit la loi.

–    Le 25 septembre 2013, je suis reconnu innocent. Avec la relaxe totale au bénéfice de la certitude de l’innocence du prévenu, qui a été totalement démontrée au cours de l’audience correctionnelle.

–   (Barril Paul n’a pas commis les faits reprochés. Mais ce sera le silence total dans la presse : pas une ligne, pas un écho au journal télévisé.

La vérité habilement déformée par le juge Duchaine demeurait une évidence, une réalité absolue…)  

 

(L’ensemble de ce dossier est écrit par Paul Barril, encadrés et parties à la troisième personne compris.)

La bande « Action directe »

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