En déplacement au Havre, ville tenue par l’ancien Premier ministre Edouard Philippe, François-Noël Buffet, le ministre auprès du ministre de l’Intérieur, a ouvert lundi 10 mars 2025, le quatrième et ultime « chantier » du Beauvau des polices municipales. L’initiative avait été relancée en février 2025, après une première tentative débutée au cours du printemps 2024, mais stoppée par la dissolution de l’Assemblée. Une seconde tentative avait aussi été lancée en novembre 2024. Mais elle avait également avorté en raison de la censure du gouvernement Barnier.
Coordination et moyens
Ce dernier chantier, ouvert au Havre, faisait suite à trois rencontres menées à Lyon, Metz et Meaux. Il portait sur les thématiques de la mutualisation des moyens entre communes, et sur la coordination avec la Gendarmerie et la Police. « Un enjeu central », de l’aveu même de responsables de polices municipales présents lors des échanges. « Fondamental » complète le ministre.
« L’exemple dramatique (de l’attentat) de Mulhouse le montre : les premiers sur place étaient des policiers municipaux et des ASVP » (agents de surveillance de la voie publique). « De plus en plus, nos policiers municipaux sont engagés dans la sécurité publique du quotidien. Cela ne peut pas se faire évidemment sans une coordination avec la Police (et la Gendarmerie). Mais il faut sans doute aussi leur donner plus de moyens pour assurer ce continuum de sécurité que nous voulons et cette efficacité que nous souhaitons », résume le ministre François-Noël Buffet.
Pour Edouard Philippe, dont la commune est située en zone de compétence de la Police, il y « a au fond deux forces qui ont un usage différent, des responsabilités différentes, des compétences différentes ». « Si elles travaillent bien ensembles, elles peuvent avoir des bons résultats. Donc, tout ce qu’on pourra faire pour les polices municipale et nationale travaillent ensemble sera bien. Bon pour l’ordre, bon la sécurité de nos concitoyens. Et donc il faudra le faire. » Et de conclure, de concert avec le ministre, que « nous sommes prêts à faire bouger les lignes. S’il faut bouger les verrous juridiques, nous le ferons. »

L’ex Premier ministre Edouard Philippe, maire du Havre, lors de l’ouverture du 4e et dernier chantier du Beauvau des polices municipales, le 10 mars 2025 au Havre. (Photo: L.Picard / L’Essor)
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Davantage de possibilités pour les polices municipales
L’objectif affiché par ce Beauvau est justement de mener une réflexion collective pour renforcer l’efficacité du système de sécurité intérieure. Un système auquel contribuent indéniablement les polices municipales (PM) et qui nécessite une actualisation des textes les encadrant.
De fait, depuis la dernière loi du 15 avril 1999 définissant le cadre d’emploi des PM, il n’y avait pas eu de réelle évolution sur le plan législatif et juridique. Pourtant, les polices municipales ont considérablement évolué. À la fois sur le plan des missions et des risques, avec une augmentation marquée des violences, mais également sur l’équipement.
Les pistes évoquées lors de cette réunion au Havre portaient notamment sur le développement des moyens et attributions alloués aux policiers municipaux. « Plus de moyens, c’est plus de capacité à faire, estime le ministre. Par exemple, la possibilité de consulter tel ou tel fichier alors qu’aujourd’hui ils n’ont pas l’autorisation. La possibilité de délivrer des amendes forfaitaires délictuelles. La possibilité de pouvoir, sur le territoire où ils sont compétents, coopérer avec la police judiciaire pour mener des opérations sous le contrôle du procureur de la République. »
La question de l’armement de ces policiers communaux occupe aussi une place centrale du débat depuis plusieurs années. De plus en plus de communes décident d’ailleurs d’armer leurs policiers. Y compris celles qui y étaient fermement opposées.
Un avant et un après 2015
Edouard Philippe a lui-même connu cette expérience qu’il a raconté devant la centaine d’élus et d’acteurs de la sécurité présents au Havre pour ce 4e chantier du Beauvau des polices municipales. « En 2014, je faisais campagne pour la mairie en refusant l’armement des policiers municipaux. Pour qu’il n’y ait pas de confusion avec les forces de sécurité nationales, explique l’édile. Puis il y a eu 2015. » Cette année là, la France est frappée par une série d’attentats meurtriers. La policière municipale, Clarissa Jean-Philippe, est froidement assassinée en pleine rue, à Montrouge (Hauts-de-Seine), par le terroriste Amedy Coulibaly.
Comme beaucoup d’autres, le maire du Havre prend alors conscience d’un changement de paradigme, du niveau de menaces et de l’exposition des policiers municipaux. Le passage à l’armement est donc acté. « Et nous avons bien fait », estime l’ex-Premier ministre. Il évoque d’ailleurs « un passage maîtrisé et professionnel » à l’armement, mais aussi « une marque d’appartenance de la PM au continuum de sécurité ». Plusieurs exemples l’ont depuis démontré.
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Le tournant des émeutes de 2023
Pour François-Noël Buffet aussi, « l’ambiance a changé ». Outre 2015, l’autre tournant marquant reste selon lui l’été 2023. Fin juin, des émeutes et violences urbaines avaient éclatées après la mort de Nahel Merzouk. Cet adolescent de 17 ans avait été tué par un policier national alors qu’il conduisait, sans permis, un véhicule de sport et tentait d’échapper à un contrôle routier à Nanterre.
Pendant cette période de troubles majeurs à travers le territoire, la Police et la Gendarmerie ont été confrontées à un niveau de violences jamais observé à cette échelle. Mais par endroits, souligne le ministre, « les policiers municipaux étaient en première ligne pour accompagner, et parfois même suppléer, les forces de police et de gendarmerie ». Loin d’être une critique, ce constat pose aussi entre parenthèses la question des moyens de l’Etat pour répondre à une telle crise généralisée.
Et face au « développement de la délinquance et de la violence sur le territoire », le ministre souhaite que « ceux qui sont aux premiers rangs de la situation de tous les jours puissent être rapidement aidés par ceux dont c’est le métier ».

Le ministre auprès du ministre d’Etat, ministre de l’Intérieur, François-Noël Buffet, lors de l’ouverture du 4e et dernier chantier du Beauvau des polices municipales, le 10 mars 2025 au Havre. (Photo: L.Picard / L’Essor)
Deux exemples concrets de polices municipales
Comme pour les autres rendez-vous du Beauvau des PM, à la suite des échanges, le ministre a enchaîné avec des visites sur le terrain. La première au poste de police municipale du Havre. Après une visite des locaux, le ministre a échangé avec des policiers municipaux, à propos de leur activité, de leur statut ou encore de leurs équipements. Des exemples d’actions communes entre polices municipale et nationale dans cette ville portuaire de près de 170.000 habitants ont aussi été présentés.
Créée en 1957, la PM du Havre compte aujourd’hui une centaine d’agents. Ils se répartissent au sein de neuf brigades : cinq « d’intervention », deux « de proximité » et deux « de soirée ». Elle est également dotée d’un centre de supervision urbain (CSU) où sont scrutées en permanence plus de 500 caméras de vidéoprotection. Un atout pour la gestion de la sécurité en direct, mais aussi pour les services judiciaires. Ces derniers peuvent en effet s’appuyer sur les images captées au CSU pour faire avancer leurs enquêtes, par le biais de réquisitions.

Un policier municipal du Havre. (Photo d’illustration: L.Picard / L’Essor)
« L’un des meilleurs modèles de police municipale intercommunale »
Toujours en Seine-Maritime, le ministre a ensuite rejoint Port-Jérôme-sur-Seine. Cette commune nouvelle, située à mi-chemin entre Le Havre et Rouen, appartient à la communauté d’agglomération «Caux Seine agglo». Elle abrite, selon le cabinet du ministre Buffet, une police municipale intercommunale (PMI) parmi les plus performantes du territoire national. Celle-ci rayonne sur 40 communes « adhérentes au dispositif » (sur les 50 que compte l’agglomération). Elle dispose de 41 agents, dont 27 policiers municipaux et 13 gardes champêtres, chargés de la police rurale.
Là encore, la force de police intercommunale dispose d’un réseau de vidéoprotection qui s’étend sur une trentaine de communes de l’agglomération. Le centre de supervision service assure la liaison avec la Police et la Gendarmerie dans le cadre de la police judiciaire.

Une agent de la police municipale intercommunale veille sur les écrans du centre de supervision de vidéoprotection de Caux Seine agglo. (Photo: L.Picard / L’Essor)
S’il n’est pas question de le généraliser, le modèle des polices municipales intercommunales n’en reste pas moins « duplicable » estime le ministre. Il y voit « une piste d’amélioration des moyens matériels et humains » des polices municipales, mais aussi « probablement d’une partie sociale ».
Côté coordination, les échanges sont réguliers entre la PMI et les services locaux de la Police et de la Gendarmerie. Le vaste territoire de Caux Sein agglo a la particularité d’être couvert par les deux forces de sécurité intérieure. On y trouve en effet un commissariat de police à Bolbec, et trois brigades territoriales de gendarmerie (Rives en Seine, Port-Jérôme-sur-Seine et Terres-de-Caux).
Objectif : « un texte d’ici l’été » pour les polices municipales
La fin des débats de ce quatrième chantier marque la clôture de cette phase de concertation. Les échanges continueront toutefois, au ministère, avec les associations d’élus et de les organisations représentatives de la profession. L’objectif est maintenant de rendre une copie suffisamment avancée pour élaborer un texte solide d’ici l’été. Celui devra alors avoir passé les étapes des réunions interministérielles et du Conseil d’Etat. Il pourra alors être débattu au Parlement, « sans doute vers l’automne 2025 ».
Au niveau national, 4.640 collectivités disposaient, au 31 décembre 2023, d’un service de police municipale ou intercommunale. Soit près de 11% des communes. Un taux qui grimpe à plus de 80% pour les communes de plus de 3.500 habitants. Il atteint même quasiment les 100% pour les communes de plus de 10.000 habitants.
Ainsi, ses services comptent à l’échelle du pays, plus de 28.000 agents. Ce nombre comprend les policiers municipaux, les agents de surveillance de la voie publique (ASVP) et les gardes-champêtres. Côté équipements, selon les derniers chiffres du ministère de l’Intérieur, 80% des policiers municipaux disposent dorénavant d’armes (que l’armement soit létal ou non). Et 58% possèdent des armes à feu.
L’Observatoire des finances et de la gestion publique locales (OFGL), estime que les dépenses de fonctionnement pour l’ensemble des polices municipales et intercommunales s’élèvent à 2,2 milliards d’euros en 2023. Plus de 90% de cette somme correspond à des frais de personnels.
Loïc Picard
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