Véritable feuille de route sécuritaire du second quinquennat d’Emmanuel Macron, le projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de l'Intérieur (Lopmi) a été présenté ce mercredi 7 septembre 2022 en Conseil des ministres. Il prévoit 15 milliards d'euros supplémentaires de budget en cinq ans pour les forces de l'ordre.
La Première ministre Elisabeth Borne avait annoncé la veille "8.500 postes de policiers et gendarmes" supplémentaires en cinq ans, dont 3.000 dès 2023, sans préciser la répartition de ces postes entre les deux force de sécurité. Sur les 10.000 postes créés lors du précédent quinquennat, seuls 2.500 étaient en effet revenus à la Gendarmerie.
Voici, dans le détail, les mesures qui concernent les gendarmes, telles qu’elles sont présentées dans le dossier de presse et dans le rapport annexé au projet de loi.
Tout d’abord, la fin des procurations électorales: une mesure réclamée de longue date par les gendarmes. Si elle a pour but de faciliter les démarches des citoyens qui n’auront plus à se déplacer, elle devrait surtout soulager gendarmes et policiers de cette tâche chronophage et considérée comme indue.
Cybercriminalité
La Lopmi prévoit également la formation de 1.500 cyber-patrouilleurs. Le dossier de presse ne mentionne pas la ventilation de ces postes entre la Police et la Gendarmerie, mais le rapport précise qu’ils "pourront notamment être recrutés parmi les réservistes".
Par ailleurs un numéro –l’équivalent du 17, mais pour les attaques cyber– permettra d’"être mis immédiatement en relation avec un opérateur spécialisé". La loi devrait également permettre d’appliquer "les mêmes conditions de saisie (…) aux avoirs crypto-actifs (cryptomonnaies par exemple) que pour les comptes bancaires", selon le rapport. La conversation des avoirs issus d’activités illicites en crypto-actifs permet en effet de les disperser et donc de les dissimuler plus facilement, ajoute cette étude.
Dernier point, une école de formation cyber du ministère de l’Intérieur va être créée, faisant intervenir "enquêteurs et formateurs extérieurs", et qui "permettra à la fois d’augmenter significativement le nombre d’enquêteurs formés et de garantir le niveau de connaissance dans le temps".
Équipements numériques
La Lopmi prévoit la création d’une agence du numérique pour les forces de sécurité intérieure, "constituée des divers services existants et mise en place pour porter l’ensemble" des projets d’équipements numériques. Elle "sera chargée de faire converger les visions du numérique entre les deux directions générales et d’étudier systématiquement, pour chaque nouveau projet mené par l’une ou l’autre des directions générales, la possibilité d’en faire un projet commun", ajoute le rapport.
Une mention qui n’est pas sans rappeler le raté du projet de logiciel Scribe, abandonné après avoir coûté 13 millions d’euros et que la Gendarmerie avait quitté en cours de route.
Par ailleurs, le projet de loi prévoit la généralisation des nouvelles caméras-piétons et l’équipement dès 2023 des véhicules des forces de sécurité intérieure en caméras embarquées.
Présence territoriale
Le dossier de presse mentionne à nouveau la création de "200 nouvelles brigades de gendarmerie", mais le rapport précise –comme L’Essor l’a écrit à de nombreuses reprises– que celles-ci "seront créées, sous la forme d’implantations nouvelles ou de brigades mobiles". Ces dernières consistent, "pour les gendarmes, à "aller vers" les citoyens" grâce à des "postes mobiles avancés – par exemple des véhicules de grande capacité".
Les 200 nouvelles brigades, un mélange d’implantations nouvelles et de structures mobiles
La Lopmi prévoit le "doublement de la présence sur la voie publique des policiers et gendarmes en 2030". Le rapport annexé au projet de loi détaille les mesures permettant de réaliser cette prouesse, dont beaucoup concernent la Police (suppression des cycles horaires, réforme des modalités d’affectation des effectifs, paiement des heures supplémentaires ou encore réforme de l’organisation départementale et centrale).
Pour les gendarmes, les pistes d’amélioration sont de les rendre "de plus en plus «nomades» grâce à l’équipement numérique mobile qui leur permettra de réaliser le maximum de tâches en extérieur lors des patrouilles". La Lopmi prévoit également un recours accru aux réservistes, censés passer en cinq ans de 30.000 à 50.000 pour la Gendarmerie nationale (et de 6.000 à 30.000 pour la Police).
Ce recrutement de 20.000 réservistes en cinq ans parait ambitieux, d’autant que la dernière annonce de ce type avait été un échec. Ainsi, en 2016, la création de la Garde nationale en réponse aux attentats de Nice avait créé un véritable engouement pour la réserve de l’Arme, mais le recrutement massif avait seulement permis de passer de 23.000 à 30.000 réservistes. La cible de 40.000 réservistes en 2018 n’a jamais été atteinte.
Allègement des tâches
Pour alléger le travail des enquêteurs, la Lopmi prévoit la mise en place de la fonction d’"assistant d’enquête de Police et de Gendarmerie". Par ailleurs, le rapport estime que les "extractions judiciaires devront finir d’être transférées au ministère de la Justice", ce qui mettrait un terme à un feuilleton commencé en 2010, tandis que "les policiers et gendarmes devront être libérés de la police des audiences ou encore de la garde des détenus hospitalisés".
Le ministère de l’Intérieur mise également sur la simplification de la procédure pénale pour libérer du temps pour les forces de sécurité.
Temps de travail
A noter enfin que le rapport mentionne que le président de la République a "demandé l’ouverture d’une discussion sociale sur l’augmentation du temps de travail au sein des forces de sécurité intérieure". Pourtant, les protocoles pour la modernisation des ressources humaines de la Gendarmerie et de la Police ne mentionnait une telle discussion que pour cette dernière. Le sujet du temps de travail en Gendarmerie est en effet explosif en raison du statut militaire des gendarmes et du refus de la France de leur appliquer une directive de 2003 sur le temps de travail.
Prise en compte de la victime et des violences intrafamiliales et sexuelles
Dans le projet de loi, figure la modernisation des accueils des brigades et des commissariats, dont la confidentialité et l’ergonomie devraient être améliorées. Le rapport évoque également la prise de rendez-vous en ligne, "le déploiement de bornes d’accueil“, "la diffusion vidéo de contenus pour optimiser les temps d’attente“ , voire même l’expérimentation "d’un robot d’accueil" dans certains territoires.
Le ministère de l’Intérieur compte par ailleurs doubler sur cinq ans le nombre d’enquêteurs dédiés à la lutte contre les violences intrafamiliales au sein des unités spécialisées de la Police et de la Gendarmerie. Ils passeraient ainsi de 2.000 à 4.000 enquêteurs dédiés. Parallèlement, une enveloppe doit être allouée pour recruter 200 intervenants sociaux supplémentaires dans les commissariats et les brigades. Ce qui porterait leur nombre total à 600. Sur le même sujet, un fichier de prévention des violences intrafamiliales sera créé pour prévenir la récidive mais aussi "sécuriser les interventions des policiers et gendarmes".
Le ministère de l’Intérieur devrait se voir doter d’un comité d’éthique, "composé de personnalités qualifiées indiscutables, qui pourra être saisi – et se saisir – de sujets sensibles", détaille le rapport. Par ailleurs, il est précisé dans ce document que les policiers et gendarmes "condamnés définitivement à une peine d’emprisonnement pour des faits de violences intrafamiliales, d’infractions à la législation sur les stupéfiants ou de faits de racisme ou de discrimination feront l’objet d’une exclusion définitive".
Matériel du quotidien
Côté matériels, la loi de programmation vise un "renouvellement annuel de 10% de la flotte" de véhicules,"dans une logique de verdissement" du parc automobile. Par ailleurs, les gendarmes seront dotés, sur cinq ans, "de nouvelles armes lourdes (sic), de packs de vision nocturne, de moyens en intervention spécialisée, ainsi que d’équipements de protection balistiques".
Enquête
La Lopmi prévoit la formation de l’ensemble des nouveaux policiers et gendarmes aux fonctions d’OPJ, dès la formation initiale, avec un “passage de l’examen à l’issue de la scolarité et de la période de stage". Par ailleurs, la Lopmi prévoit de "généraliser les amendes forfaitaires délictuelles (AFD) à tous les délits punis d’un an d’emprisonnement au plus". Après trois mois de tests dans certaines régions, la forfaitisation de l'usage de stupéfiant avait déjà été généralisée le 1er septembre 2020.
Au niveau pratique, le texte de loi prévoit un recours accru aux logiciels de retranscription pour gagner du temps sur les actes tels que les "constatations, perquisitions ou exploitations vidéos". Par ailleurs, il prévoit également de développer "la télécommunication audiovisuelle" "pour certains actes d’enquête, dont les auditions des victimes dans des dossiers ciblés" qui ne comprendraient pas les atteintes aux personne. Les élèves-gendarmes pourront aussi accéder aux fichiers de police dans le cadre de leurs missions opérationnelles dans les brigades où ils poursuivent leur formation.
Gestion de crise
La Lopmi prévoit de normaliser la flotte d’hélicoptères du ministère de l’Intérieur afin que Gendarmerie, Police et Sécurité civile utilisent les mêmes appareils de manière à garantir l’interopérabilité et la maintenance commune des flottes. Le rapport annonce un "effort d’investissement considérable" avec "36 machines sur cinq ans" .
A cette rénovation de la flotte, il faut ajouter la très attendue constitution d’une flotte d’hélicoptères lourds au sein du ministère de l’Intérieur. Le rapport mentionne en effet l’acquisition de "dix hélicoptères de transports lourds (H 160), dont la livraison s’échelonnera jusqu’en 2026, destinés au transport des unités d’intervention spécialisées des forces de sécurité intérieure". Ces appareils sont plus rapides que les Puma du groupe interarmées d'hélicoptères (GIH) actuellement utilisés par le GIGN et le Raid, mais ils ont une capacité d’emport et un r
ayon d’action moins importants. Surtout, le fait de disposer de ses propres appareils permettra à la Place Beauvau d’éviter de dépendre du ministère des Armées, ce qui a créé des tensions importantes par le passé, le GIGN finissant même par être privé quelque temps d’entrainement sur les Puma.
Réponse opérationnelle
La loi de programmation prévoit la création de onze nouvelles unités de forces mobiles, dont sept escadrons de gendarmerie mobile. Depuis la saignée –15 escadrons dissous– opérée sous Nicolas Sarkozy au nom de la révision générale des politiques publiques (RGPP), un seul escadron avait été recréé.
Lopmi: le gouvernement annonce la création de 7 escadrons de gendarmerie mobile
Pour leur entraînement, le texte envisage la rénovation du Centre national d'entraînement des forces de gendarmerie (CNEFG) de Saint-Astier, "en créant de nouveaux espaces d’entraînement et en se mettant en capacité d’accueillir davantage de stagiaires", ainsi que la création d’un "centre supplémentaire de formation spécialisé dans le maintien de l’ordre". Celui-ci sera implanté en Ile-de-France et il n’est pas précisé s’il serait confié à la Police, à la Gendarmerie, ou aux deux.
Formation
Le projet de Lopmi prévoit de renforcer la formation initiale des élèves policiers et gendarmes de 4 mois, passant de 8 à 12 mois. Pour éviter les réorientations intempestives de lauréats aux concours, lassés d’attendre leur incorporation, celle-ci se fera dans les 6 mois suivant le résultat.
Au cours de leur carrière, les gendarmes verront leur temps de formation continue augmenter de 50%. Celle-ci pourra se faire dans des centres régionaux mutualisés avec les policiers pour les formations techniques ou juridiques. 13 centres seront ainsi créés qui disposeront par ailleurs de nouveaux stands de tir.
Pour accueillir ces formations initiales et continues, la Gendarmerie va créer deux compagnies d’instruction à l’école de Fontainebleau, densifier celles de Dijon, Rochefort, Tulle et Châteaulin, et restructurer le camp de Frileuse-Beynes. Sur les 1.500 formateurs nécessaires pour encadrer ces nouvelles formations, les deux-tiers (521) seront des gendarmes.
Enfin, une école de la police scientifique commune à la Police et la Gendarmerie va être créée. D’une capacité d’accueil d’une centaine de stagiaires, elle "remettra à plat la scolarité" –formation initiale et continue– pour correspondre aux besoins en matière de police technique et scientifique.