Faible nombre de victimes engageant des poursuites, nombreuses plaintes classées sans suite, mais condamnations en augmentation : derrière le procès fleuve de Mazan, le parcours pénal des plaintes pour viol en France reste encore difficile.
Des plaintes multipliées par trois
Entre 2016 et 2023, le nombre de plaintes pour viols ou tentatives de viol déposées dans un commissariat de police ou en gendarmerie a quasiment triplé. Passant ainsi de 14.800 à 42.600, selon le Service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI).
« Le mouvement MeToo a, clairement et relativement rapidement, créé une augmentation des plaintes », détaille à l’AFP Véronique Le Goaziou, chercheuse associée au Laboratoire méditerranéen de sociologie et spécialiste des violences sexuelles.
D’après les données du SSMSI, en 2023, les mis en cause pour des faits de viol sont quasiment tous des hommes (98 %). Les victimes sont majoritairement des femmes (88%) et pour un peu plus de la moitié d’entre elles, mineures (proportion stable ces dernières années). 40% des viols sont perpétrés dans la sphère familiale et pour 27 % des victimes féminines, la personne mise en cause est le conjoint ou l’ex-conjoint. En parallèle, le nombre de plaintes pour des viols intrafamiliaux sur majeur a bondi, quadruplant en l’espace de huit ans.
Moins d’une victime de viol sur dix porte plainte
En 2022, seuls 8 % environ des victimes majeures de viol(s) ont porté plainte, selon une enquête de victimation du ministère de l’Intérieur (Enquête Vécu et Ressenti en matière de Sécurité de 2022). Plus l’agresseur est proche de la victime, plus le taux de plainte est bas.
« Il apparait dans les enquêtes que la majorité des personnes victimes en parlent à un membre de leur entourage. Elles ne restent pas enfermées dans un silence complet », explique Véronique Le Goaziou. Mais « aujourd’hui encore, en dépit de tout ce qui s’est passé et de tout ce qui continue de se passer, la grande majorité des personnes victimes de viol ne porte pas plainte, ne saisit pas la justice pénale », ajoute-t-elle.
Une fois enregistrée, une plainte pour viol peut être classée sans suite ou confiée à un juge d’instruction. Celui-ci, au terme de l’enquête, peut décider d’un non-lieu ou ordonner un procès.
Ampleur des plaintes classées sans suite
Fait rare pour les atteintes à la personne (violences physiques, menaces…): dans 80 % des affaires de viols, un auteur présumé est identifié.
En 2023, 70 % des plaintes déposées ont été classées sans suite (tous motifs de classement confondus). 59 % au seul motif que l’infraction était « insuffisamment caractérisée », selon des chiffres communiqués jeudi 12 décembre 2024 par la Chancellerie. Soit un taux identique à celui de 2016 (diffusé en 2018 par le ministère).
Peu d’acquittements
Quand des poursuites sont engagées par un juge d’instruction, l’affaire peut faire l’objet : d’un non-lieu (34 % des mis en examen pour viol en 2016); être renvoyée devant un juge des enfants; devant le tribunal correctionnel pour celles qui ont été requalifiées en agression sexuelle; ou devant les assises, ou les cours criminelles généralisées à l’ensemble des départements en janvier 2023.
Face aux jurés des cours d’assises ou aux magistrats des cours criminelles, « le taux d’acquittement est très très faible », relève Véronique Le Goaziou. Et pour cause : n’arrivent là que les dossiers les plus graves et les plus solides.
Condamnations en augmentation de 20%
En 2023, 1.304 accusés ont été condamnés pour viol. Un chiffre en augmentation de 20 % par rapport à 2016, selon le fichier statistique du Casier judiciaire. Les majeurs ont, pour 93 % d’entre eux, été condamnés à de la prison ferme (22% pour les mineurs de 13 ans ou plus). La peine moyenne d’emprisonnement prononcée est de 11 ans, selon la Chancellerie.
Dans les affaires requalifiées en agression sexuelle, les accusés sont aussi presque tous condamnés. « Avec des peines plus lourdes pour les violences sexuelles que pour les autres atteintes à la personne », souligne la doctorante Maëlle Stricot, dans une étude publiée cette année par l’Institut des politiques publiques. La durée moyenne de la peine d’emprisonnement prononcée a eu tendance à diminuer entre 2014 (31 mois) et 2018 (25 mois). Mais elle a augmenté à nouveau en 2019 (31 mois), précise-t-elle.
(Par Laurence Coustal, AFP)