Pourquoi avancer l'indépendance de la justice comme argument pour le dualisme des forces de sécurité ? parce que le libre choix du service enquêteur permet aux procureurs et aux juges d’instruction de ne pas être tributaires des policiers et des gendarmes, si ceux-ci venaient à ne pas vouloir suivre leurs directives.
Le libre choix du service enquêteur
Ce type d’événements est heureusement rare. L’exemple le plus mémorable s’est déroulé en 1996, dans l’escalier menant au domicile du maire de Paris, Jean Tiberi. Après un coup de téléphone à leur hiérarchie, les policiers qui accompagnaient le juge Eric Halphen lors de la perquisition du domicile du maire refusent de l’assister. En bon fusible, le directeur central de la police judiciaire de Paris, Olivier Foll, se verra sanctionné d’une interdiction d’exercer ses fonctions d’officier de police judiciaire pendant six mois.
Si la perquisition prévue était gâchée, le juge Halphen aurait pu choisir de poursuivre ses investigations avec une autre unité, de Police ou de Gendarmerie, en vertu du libre choix du service enquêteur.
Une arme comparable à la dissuasion nucléaire
Ce principe est si important que, lors du rattachement de la Gendarmerie à l’Intérieur, en 2009, "la loi relative à la Gendarmerie nationale" l’inscrivait dans la partie législative du code de procédure pénale, pour éviter qu’il soit fragilisé "dès lors que la Police nationale et la Gendarmerie nationale seront placées sous la même autorité hiérarchique", estimait le sénateur Jean Faure.
L’Etat, doté deux forces de sécurité, est doublement protégé
Le libre choix reste néanmoins une arme de dernier recours. Lorsqu’on lui demande si elle est comparable à la dissuasion nucléaire, si puissante que l’on ne souhaite pas s’en servir, le magistrat Aurélien Martini sourit avant de reconnaître : "C’est un peu ça." Trésorier national adjoint de l’Union syndicale des magistrats, il ne lui est arrivé de l’utiliser que deux fois en onze ans de carrière, au parquet ou à l’instruction. Pour l’une d’elle, la dissuasion a suffi puisque la sûreté départementale qui rechignait à effectuer des actes d’enquête dans un dossier fastidieux a fini par rentrer dans le rang sous la menace d’un dessaisissement de tous ses dossiers au profit des gendarmes. La seconde fois, il est allé au bout de sa menace, et une section de recherches de la Gendarmerie a dû transmettre une enquête qui n’avançait pas à la Police.