C'est un nouveau rebondissement dans l'épopée judiciaire qui vise à déterminer si oui ou non, le fait de refuser de communiquer aux autorités judiciaires le code de déverrouillage d'un téléphone susceptible d'avoir été utilisé pour commettre des faits criminels ou délictuels est un délit. Lundi 7 novembre 2022, la Cour de cassation a confirmé la jurisprudence en la matière, à savoir que ce refus peut effectivement constituer un délit.
Cette question sensible portant sur la cryptologie et les téléphones portables a été examinée par l'assemblée plénière de la Cour de cassation –sa formation la plus solennelle réunissant des représentants de l'ensemble de ses chambres– après que la cour d'appel de Douai eut rendu une décision contraire à la jurisprudence de la haute juridiction.
Une affaire de stupéfiants qui prend de l'ampleur
L'affaire trouve son origine dans un dossier de stupéfiants: un homme interpellé en possession de cannabis refuse, pendant sa garde à vue, de donner les mots de passe de ses deux téléphones portables. Il est renvoyé en correctionnelle pour cette détention de stupéfiants, mais aussi pour avoir refusé de remettre la "convention secrète de déchiffrement d'un moyen de cryptologie" susceptible d'avoir été utilisé pour commettre cette infraction. Un délit passible de trois ans d'emprisonnement.
Le tribunal correctionnel de Lille, puis la cour d'appel de Douai l'avaient relaxé de cette dernière infraction, considérant que le code n'était pas une "convention de déchiffrement", car il ne servait pas à décrypter des données, mais uniquement à débloquer un écran d'accueil. Saisie une première fois, la chambre criminelle de la Cour de cassation censure en 2020 la décision de la cour d'appel, estimant qu'elle a eu un raisonnement "général et erroné". L'affaire est alors renvoyée à la cour d'appel de Douai qui refuse toutefois de suivre cette jurisprudence et confirme la décision de relaxe.
Mais après un pourvoi du parquet général, c'est en assemblée plénière que la Cour de cassation a réexaminé cette question. La plus haute juridiction de l'ordre judiciaire a considéré que, dès lorsqu'un téléphone portable était équipé d'un "moyen de cryptologie", donc d'un mot de passe, son détenteur était tenu de donner aux enquêteurs le code de déverrouillage. En s'y opposant, il commet le délit de "refus de remettre une convention secrète de déchiffrement". La Cour de cassation a donc cassé l'arrêt de la cour d'appel de Douai et renvoyé l'affaire devant la cour d'appel de Paris pour que le prévenu soit rejugé.
Une bataille pas encore terminée
Sur le réseau social Twitter, un officier du commandement de la gendarmerie dans le cyberespace, juriste de formation, a réagi à ce verdict plutôt favorable aux enquêteurs, parlant d'une décision prévisible. La pénalisation de ce refus de communiquer le code de déverrouillage d'un appareil électronique impose plusieurs conditions. Tout d'abord, l'officier de police judiciaire (OPJ) qui mène la garde à vue, doit matérialiser sa demande de communication du code, tout en prévenant le gardé à vue de l'infraction qu'il pourrait commettre en refusant. Par ailleurs, le téléphone portable concerné doit être jugé susceptible d’avoir été utilisé pour la préparation ou la commission d’un crime ou d’un délit. Il doit également disposer d'un moyen de cryptologie. Néanmoins, comme le rappelle le gendarme, c'est le cas, aujourd'hui, de la plupart des téléphones.
La bataille juridique n'est pourtant pas terminée. En effet, la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) a été saisie en 2020 de deux questions liées à cette affaire. Précisément, pour déterminer tout d'abord si le fait de devoir communiquer son code de déverrouillage de téléphone à un policier au cours d'une garde à vue est une atteinte, ou non, au droit de garder le silence et de ne pas contribuer à sa propre incrimination. Deuxième question posée à la juridiction européenne, celle de la violation, ou non, du droit au respect de la vie privée et de sa correspondance. Il faudra donc attendre le résultat de cette saisie européenne pour, peut-être, trouver une issue à ce débat juridique. Reste que le temps, lui, joue rarement en faveur des enquêteurs.
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