Magistrats, enquêteurs, vétérinaires et associations ont exploré ensemble, lundi 17 mars 2025 à Toulouse, ce que raconte la maltraitance animale qui, loin d’une préoccupation « gadget », révèle d’autres violences, notamment intrafamiliales, et se doit donc d’être pleinement prise en compte par l’institution judiciaire.
Sur un dessin d’enfant, une femme pleure, comme l’animal en cage à côté d’elle. Le visuel diffusé ces derniers mois dans les cabinets vétérinaires de l’agglomération lilloise porte un message: « la violence domestique peut frapper chaque membre de la famille » et la mention « votre vétérinaire peut vous aider, vous et vos animaux ».
Un lien entre maltraitance animale et violences humaines
« Tout est dit », explique Anne-Claire Gagnon, vétérinaire elle-même et fondatrice en 2018 de l’Association contre la maltraitance animale et humaine (AMAH), à l’initiative de ce visuel. Celui-ci visait à expliquer l’attention que les professionnels, chacun dans leur secteur, doivent accorder à ce lien existant entre maltraitance des animaux et violences humaines, jusqu’ici relativement négligé.
La question était lundi au coeur des premières Assises régionales de la maltraitance animale, organisées par le parquet général de Toulouse et l’école nationale vétérinaire de la ville rose.
« Le bien être animal ça peut être considéré comme n’ayant pas grand intérêt face aux difficultés auxquelles font face policiers magistrats et gendarmes », explique à l’AFP la députée Corinne Vignon. « Mais aujourd’hui, ce n’est plus un gadget si vraiment on comprend et on fait comprendre aux gens qu’il y a un lien réel » entre les différentes violences, dit-elle. Ce « genre de réunion, ça permet d’avancer », explique à l’AFP celle qui est également vice-présidente du groupe d’étude « Condition et bien-être des animaux » à l’Assemblée nationale.
Convention avec les vétérinaires
Ce colloque vient s’ajouter à une série d’innovations toulousaines qui ont permis de faire progresser la réflexion en ce sens, initiée par la création en 2022 du Pôle environnement et maltraitance animale (Pema) au sein du parquet général de Toulouse. Une convention inédite entre ce pôle et l’ordre des vétérinaires l’avait ensuite complété en novembre 2024.
Ce pôle a notamment permis de créer un réseau de vétérinaires appelés à faire des signalements ou à intervenir sur réquisition des enquêteurs ou de parquets compétents. « Le cadre est en place, il faut le développer et le faire vivre », souligné le procureur général Nicolas Jacquet.
Côté forces de l’ordre, des gendarmes de la Division nationale de lutte contre la maltraitance animale (DNMLA), créée en 2022 au sein de l’Oclaesp, sont venus insister sur la nécessité pour les enquêteurs de travailler à l’élaboration de méthodes dans ce domaine encore nouveau.
Lire aussi : Une nouvelle division de l’Oclaesp dédiée à la lutte contre la maltraitance animale
Éviter l’« effet tunnel »
« Les forces de sécurité intérieure sont en première ligne sur la détection de ce lien » entre violences intraconjugales ou intrafamiliales et maltraitance animale, alors que dans les situations de crise dans lesquelles ils interviennent, il peut y avoir un « effet tunnel » consistant à se focaliser uniquement sur l’humain, a expliqué l’adjudant-chef Jérome Nangis. Parfois, lors d’interventions, les indices de violences familiales n’apparaissent pas et la prise en compte de l’animal ou des actes le concernant peuvent amener à la révélation d’autres faits, a-t-il expliqué.
Dans cet esprit, la loi de novembre 2021 contre la maltraitance animale, en renforçant l’arsenal répressif sur ce type de faits, a permis de fournir de nouveaux outils aux enquêteurs, a-t-il souligné, évoquant par exemple le délit de sévices commis sur un animal devant mineur. « La simple question: ‘l’animal a-t-il été battu?’ peut permettre d’isoler l’agresseur du milieu sans qu’on ait d’autres indicateurs », a-t-il dit.
Dans les familles, l’animal est en tout cas un enjeu émotionnel très fort, il « est souvent un outil d’emprise, un moyen de pression et peut même être un frein au départ » des personnes victimes, selon M. Nangis. L’aide des associations de protection animale est alors essentielle pour accueillir, et mettre en sécurité les animaux, a-t-il insisté.
Dans ce domaine d’intervention encore récent, les acteurs de la justice et des forces de l’ordre vivent en effet « un peu à crédit » des associations en question. Elles viennent ainsi combler les manques d’un système encore en construction, a reconnu à cet égard le procureur de Saint-Gaudens (Haute-Garonne), Christophe Amunzateghy.
(Avec E. Rouyer / AFP)