Quelle macabre découverte ! Ce 16 octobre 1984, le corps du petit Grégory, un enfant de 4 ans, est retrouvé dans la Vologne, un fleuve des Vosges. L’énigme criminelle, toujours non élucidée, va scandaliser les Français. Elle va aussi être un épisode crucial pour les gendarmes dans leur professionnalisation en matière de police judiciaire. Car cette affaire va être l’aiguillon qui va pousser l’Arme à se doter d’un outil moderne pour la police technique et scientifique.
Le déclencheur de la création du Pôle judiciaire et la mise en place des techniciens d’identification criminelle
Il s’agit du désormais célèbre Institut de recherches criminelles de la Gendarmerie nationale (IRCGN), lancé en 1987. "L’affaire Grégory, c’est le déclencheur de la création du Pôle judiciaire et la mise en place des techniciens d’identification criminelle, rappelait à L’Essor le général (2S) Jacques Hébrard. Il faut aussi retenir la manière dont, à cette époque-là, on faisait des prélèvements ou on gérait une scène d’infraction. Aujourd’hui, quand on regarde les images, on se dit qu’on a peut-être avancé dans la science, mais on ne peut pas rétablir ce qui a peut-être été mal fait au départ au niveau de la préservation des pièces à conviction."
Il reste que l’affaire Grégory n’est pas une simple histoire de méthodes. Si, effectivement, la Gendarmerie avait des choses à améliorer en matière criminalistique, c’est également un dossier où les passions humaines ont sans doute joué un trop grand rôle.
"Pusillanime et influençable"
En témoignent les relations houleuses avec le juge d’instruction Jean-Michel Lambert, déterminantes dans la faillite judiciaire d’un dossier toujours en cours – une injustice intolérable pour les proches de l’enfant tué. Après l’ouverture d’une enquête préliminaire, c’est ce magistrat, surnommé "le juge des non-lieu" par les gendarmes locaux, qui est chargé d’instruire le dossier, confié d’abord aux gendarmes de la brigade de Bruyères. Le portrait que lui réserve le colonel (ER) Etienne Sesmat, l’ancien commandant de la compagnie d’Epinal au moment des faits, est cinglant : «"l ne jouit pas d’une bonne réputation professionnelle, écrit-il dans son livre, Les Deux Affaires Grégory. Certes, l’homme se montre affable et souriant, mais il passe pour manquer d’assiduité à l’ouvrage. On le sait pusillanime et influençable."
Ainsi, alors que les gendarmes suivent la piste de Bernard Laroche, ils sont dessaisis, en février 1985, par le juge Lambert, au profit du service régional de police judiciaire de Nancy. Un changement de service d’enquête qui réoriente les hypothèses de travail vers une impasse, celle de la piste du meurtre intrafamilial. Dans un arrêt accablant pour les services enquêteurs, en 1993, bien plus tard donc, Christine Villemin, la mère de l’enfant, bénéficiera d’un non-lieu.
Rivalité entre Police et Gendarmerie
Le dessaisissement est rageant pour les gendarmes, qui avaient identifié après plusieurs jours d’enquête un premier suspect, Bernard Laroche. "Tout concordait, mais le juge Lambert a fait d’énormes fautes de procédure", regrettait Etienne Sesmat dans le Midi Libre. L’ancien gendarme observe toutefois que le juge d’instruction a été induit en erreur par les tenants de la thèse de la culpabilité – fausse, on le sait aujourd’hui – de la mère de l’enfant.
Surnommé "le Petit juge", le magistrat a perdu pied dans une affaire devenue un monstre médiatique, sur fond de rivalité, prégnante à l’époque, entre Police et Gendarmerie. Ses fautes sont connues. Comme, par exemple, son départ en week-end alors que les gendarmes mènent un interrogatoire clé, celui de Murielle Bolle. Et sa communication périlleuse, qui menace l’enquête.
Jean-Charles Métras, victime collatérale de l’affaire Pilarski
Hanté par cette affaire, le magistrat se suicidera en juillet 2017. "On a cherché à faire de moi le bouc émissaire, regrettait-il un mois plus tôt. J’assume effectivement certaines erreurs de procédure, mais j’aurais aimé que tous en fassent autant, et ce n’est pas le cas." Le "petit juge" est en effet loin d’être le seul à avoir fauté dans une affaire qui a longtemps ressemblé à une faillite collective.