Les mouettes de la plage de Quend (Somme) s'envolent au passage de deux gendarmes en moto-cross, qui veillent à empêcher les départs clandestins vers l'Angleterre, de plus en plus nombreux et dangereux depuis ce département, pourtant éloigné des côtes anglaises.
Debout sur les repose-pieds de leurs motos, les gendarmes remontent le rivage, regard tourné vers les dunes où pourraient se cacher des candidats à l'exil. Dans ces mêmes dunes sillonnent des gardes républicains à cheval, à la recherche de matériel dissimulé par des passeurs en amont des départs.
Aucune tentative n'aura lieu ce matin d'avril: la météo est mauvaise, le vent violent et la mer agitée. Les gendarmes patrouillent malgré tout. "Même quand les conditions sont défavorables, des dépôts de matériel peuvent être faits pour un départ quand la météo sera meilleure", assure le capitaine Fabien Catan, commandant en second de la compagnie de gendarmerie départementale d'Abbeville, contraint de ranger son calot, balayé par une bourrasque.
Depuis le début de l'année, les chiffres sont en forte augmentation dans le département: trois départs réussis ont été recensés entre janvier et mars par la préfecture alors qu'en 2023, le premier départ n'avait eu lieu qu'en juin. Sur la même période, 420 étrangers en situation irrégulière ont été interpellés, quatre fois plus que l'an passé.
Danger accru
Un phénomène imputable à la forte présence policière plus au nord, reconnaît le capitaine Catan: "Le Nord et le Pas-de-Calais sont très bien quadrillés par nos collègues, donc les migrants cherchent à partir de plus bas" et même à présent "de plus en plus bas dans le département, jusqu'à Cayeux-sur-Mer", au sud de la baie de Somme.
Pour Pierre Roques, délégué général de l'Auberge des migrants, après le renforcement de la présence policière sur le littoral du Nord-Pas-de-Calais, le gouvernement se lance dans une "fuite en avant" dans ce département.
Pour les exilés qui tentent la traversée depuis la baie de Somme, le danger est accru. C'est "une multiplication par trois ou quatre de la distance et du temps de traversée" par rapport au chemin le plus court entre Calais et Douvres, assure Fabien Touchard, coordinateur de l'association d'aides aux migrants Utopia 56 à Grande-Synthe (Nord).
Dans ce corridor maritime parmi les plus empruntés au monde par les cargos, les prises de risques sont multiples, sur des embarcations inadaptées et "surchargées", souligne Fabien Touchard.
"Dernière chance"
Sans compter qu'en cas de tentative avortée, "les personnes ne savent pas où elles sont ni comment regagner leurs campements", autour de Calais et de Dunkerque, à des dizaines de kilomètres, et "se retrouvent en pleine nuit à marcher le long des routes, en situation d'errance, parfois en hypothermie".
Rares sont les migrants à renoncer à traverser. "Quoi qu'il arrive, je ne retournerai pas dans mon pays", jure sur un campement de Grande-Synthe Bassim (un prénom d'emprunt), Irakien de 45 ans, qui a tenté sept traversées en un an et n'attend que d'être suffisamment remis de problèmes aux pieds pour repartir à l'assaut de la Manche.
"Pour beaucoup, l'Angleterre, c'est la dernière chance. (…) Fermer une frontière maritime, ce n'est pas possible", abonde Pierre Roques. "Malgré le fait que ce soit un moyen de traversée particulièrement risqué et mortel", le "taux de réussite" reste élevé, souligne Fabien Touchard.
Après une baisse en 2023, les départs semblent repartir à la hausse cette année. Au premier trimestre, 5.373 personnes ont traversé la Manche clandestinement, un chiffre record sur la période, selon un comptage de l'AFP à partir des données officielles britanniques.
Comme les forces de l'ordre, les passeurs s'adaptent: selon Pierre Roques, des départs ont déjà eu lieu de Normandie, pour des traversées encore plus longues et périlleuses.
(Reportage de K.Augeard / AFP)
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