Poison de la relation entre la France et le Royaume-Uni, la lutte contre l'immigration clandestine vient de faire l'objet d'un nouvel accord de coopération, signé lundi 14 novembre 2022 entre les deux pays, pour enrayer les traversées de la Manche par des migrants, toujours plus nombreux à tenter ce dangereux périple. Cette annonce intervient alors que la barre de 40.000 migrants ayant traversé le Channel cette année a été franchie dimanche. Un record, selon le gouvernement britannique.
Depuis le début de l'année 2021, "nous avons démantelé 55 filières de criminalité organisée et procédé à plus de 500 arrestations grâce au travail de la cellule de renseignement conjointe franco-britannique, au sein de laquelle des fonctionnaires britanniques et français rassemblent et analysent des renseignements opérationnels afin d'empêcher les traversées et de démanteler les filières qui les organisent", indique de son côté; le ministère de l'Intérieur dans un communiqué. Malgré tout, "le nombre de tentatives de traversée continue d'augmenter". Raison pour laquelle a été signé cet accord, qui est, selon de ministère français, le préambule d'un "partenariat plus ambitieux et plus complet entre nos deux pays", et ce, notamment, dans la perspective du sommet franco-britannique qui doit se tenir en 2023.
Des hommes, du matériel et du renseignement
Les deux points principaux de cet accord sont une enveloppe de 72,2 millions d'euros que devront verser les Britanniques en 2022-2023 à la France qui, en contrepartie, s'engage à augmenter de 40% ses déploiements de forces de sécurité intérieure sur les plages d'où partent les migrants à destination des côtes britanniques. Concrètement, cela devrait se traduire par une augmentation d'une centaine d'effectifs pour atteindre près de 900 gendarmes et policiers mobilisés sur ce dispositif.
Ce lundi après-midi, Gérald Darmanin a fourni quelques précisions sur la nature de ces renforts. La centaine de personnels supplémentaires devrait, notamment, être constituée de réservistes opérationnels de la Gendarmerie. Ces dernières années, en plus des escadrons de gendarmerie mobile (EGM) et des compagnies républicaines de sécurité (CRS), des gendarmes réservistes de différentes régions se relaient en permanence dans le cadre de l'opération Poséidon pour renforcer les unités locales dans leurs missions de surveillance des côtes et empêcher le départ de migrants à bord de "small boat". Le nombre de ces réservistes devrait donc croitre dans les prochains mois, grâce à cette enveloppe de plus de 72 millions d'euros. Un engagement qui pèse sur les ressources financières de l'Arme. Le ministre de l'Intérieur a d'ailleurs rappeler que "depuis 2018, les Britanniques ont financé une enveloppe de 200 millions d'euros", principalement pour ces renforts, et que dans le même temps, la France "a dépensé quatre fois plus".
Un bébé et un enfant sauvés par un gendarme dans le Pas-de-Calais
Les Britanniques vont également financer des places dans des centres d'accueil pour migrants dans le sud de la France pour dissuader les exilés qui empruntent la Méditerranée de remonter jusqu'à Calais. Enfin, de nouveaux drones de surveillance, des chiens de détection, un approfondissement du renseignement commun pour arrêter les passeurs, et un travail "le plus en amont possible" avec les pays d'origine et de transit des exilés, font partie de la douzaine d'actions listées dans l'accord.
Celui-ci s'inscrit dans le cadre du traité "Sandhurst", signé en janvier 2018 entre les deux pays. Aucun objectif chiffré d'interceptions de bateaux, comme le souhaitait le Royaume-Uni, selon la presse outre-Manche, n'apparaît dans la déclaration commune, signée à Paris par le ministre français de l'Intérieur Gérald Darmanin et son homologue Suella Braverman. "Ce n'est qu'en travaillant ensemble que nous pouvons espérer résoudre ce problème complexe. Je voulais remercier Gérald et son équipe pour leur travail et leur coopération", a tweeté, en français, Mme Braverman. Pour la première fois, des équipes d'observateurs seront déployées de part et d'autre de la Manche.
La pression de la question migratoire
Ce renforcement de la coopération entre Paris et Londres intervient alors que les deux gouvernements sont mis sous pression sur la question migratoire. En France, Gérald Darmanin, accusé par la droite et l'extrême droite de ne pas assez expulser les étrangers interdits de séjour sur le territoire, va présenter début 2023 un projet de loi visant à durcir les procédures d'asile. Au Royaume-Uni, le parti conservateur au pouvoir a fait du contrôle de l'immigration une priorité depuis le Brexit, mais se heurte à la courbe exponentielle des traversées illégales. "Nous interceptons beaucoup plus de migrants qu'auparavant (plus de 30.000 à ce jour en 2022 contre 22.600 en 2021)" et "nous consacrons 255 millions d'euros" à la sécurisation du littoral, argumente-t-on côté français.
Comment les gendarmes protègent les migrants de leur périlleux rêve d’Angleterre
Après des années de querelles, parfois virulentes, sur la question migratoire, notamment lorsque Boris Johnson et Liz Truss étaient Premiers ministres, le nouvel exécutif britannique a adopté un ton plus conciliant avec le gouvernement français, appelant à une relation plus "constructive".
Le Premier ministre Rishi Sunak, lui-même petit-fils d'immigrés indiens, a adopté une position très dure sur l'immigration. Il soutient le projet controversé des gouvernements conservateurs précédents d'envoyer les demandeurs d'asile au Rwanda, toujours suspendu à un examen par la justice. "Au fil des ans, j'ai vu tant de ministres britanniques (…) se saisir du problème et tenter de le résoudre d'une manière ou d'une autre", a déclaré à l'AFP Peter Ricketts, ancien ambassadeur britannique en France. "Mais ils finissent tous par se rendre compte que la seule façon de maîtriser le problème est de travailler avec les Français", a-t-il ajouté, qualifiant l'accord de "bonne nouvelle". L'accord "ne s'attaque pas aux facteurs qui poussent les hommes, les femmes et les enfants à entreprendre des voyages dangereux pour rejoindre le Royaume-Uni et ne fera donc pas grand-chose pour mettre fin aux traversées", a regretté de son côté sur Twitter l'ONG britannique Refugee Council.
Cet accord est signé près d'un an après la mort de 27 migrants, le 24 novembre 2021, lors du naufrage de leur bateau au large de Calais – le pire drame enregistré dans la Manche, l'une des mers les plus dangereuses du monde en raison de ses courants et de son intense trafic maritime permanent. Plus de 200 personnes sont mortes ou ont été portées disparues, en mer ou sur terre, en tentant de rejoindre l'Angleterre au départ du littoral nord de la France depuis 2014, selon l'Organisation internationale pour les migrations (OIM).
(Rédaction de L'Essor, avec l'AFP)
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