Sur le tapis roulant, un pistolet découvert dans un grille-pain, un colis de Russie avec 48 masques à gaz destinés à une boutique sadomasochiste et, autre trésor de guerre des douanes, ce canon noir caché dans des vêtements. Il devait parachever un pistolet à la carcasse imprimée en 3D.
« Vous voyez, ça ne ressemble pas à grand-chose. Si vous glissez ça dans une boîte, si vous ne connaissez pas les armes, vous ne savez pas que c’est un canon pour Glock« , un semi-automatique autrichien, explique Jacques, le référent armes au bureau de douane postal de Wissous (Essonne) ouvert à l’AFP ce matin-là.
« Et ça, c’est la culasse », classée comme le canon en « catégorie B en France mais en vente libre aux Etats-Unis. Et si vous fabriquez la carcasse en plastique chez vous, vous avez juste à vous procurer (ces pièces) et le chargeur » pour obtenir une arme létale sans numéro de série et non traçable.
36.495 armes saisies en 2024 dans le fret express et postal
En 2024, onze armes à feu ont été saisies à Wissous parmi les quelque 5.000 colis journaliers, et 70 parties d’armes, munitions ou explosifs. « Il y a plus de contrebande en fret express parce que ça va beaucoup plus vite et la douane n’a pas le temps de contrôler », estime Jacques. Au niveau national, 603.090 armes à feu, armes blanches, munitions, explosifs et parties d’armes ont été saisies par les seuls services douaniers en 2024, dont 36.495 dans le fret express et postal.
Des armes 3D vendues entre 1.000 et 1.500 euros
Ces chiffres grossissent d’ailleurs en incluant ceux d’autres services de l’Etat. La Gendarmerie a notamment démantelé fin janvier 2024 une cellule entre la France et la Belgique : 14 interpellations, huit imprimantes 3D, sept armes complètes et plus de 500 pièces détachées d’armes imprimées saisies.
Les malfaiteurs vendaient les armes entre 1.000 et 1.500 euros l’unité. Là encore, ils les expédiaient par colis, la plupart du temps en pièces détachées pour échapper aux détections.
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Pour cribler les paquets, quelques noms d’entreprises sur le bordereau d’expédition, notamment basées aux Etats-Unis, peuvent éveiller les soupçons, ou ceux de destinataires. Mais « le principe » même de ces armes imprimées « est de pouvoir les fabriquer chez soi » à peu de frais, souligne Jacques.
Les plans des armes en 3D circulent librement sur internet
Aux Etats-Unis, les récupérations par la police d’armes « fantômes » sur les scènes de crime ont quintuplé entre 2018 et 2021.
Cela a été le cas lors du retentissant assassinat en décembre d’un patron de l’assurance santé. La police a interpelé le principal suspect, Luigi Mangione. Sur lui, les enquêteurs ont retrouvé certains éléments d’une arme en kit, fabriqués via une imprimante 3D. Sur la scène de crime, les douilles correspondaient à cette arme.
De l’autre côté de l’Atlantique, le phénomène des armes en 3D s’est « intensifié », note Europol dans un rapport publié en mars, « exacerbé par la facilité d’accès aux imprimantes et aux plans de conception » qui « circulent librement sur internet ».
A Marseille, un atelier de production au coeur de la ville
C’est justement la détection d’une tentative de transaction en ligne d’un fichier STL (pour imprimante 3D) permettant la fabrication qui a déclenché une enquête de la direction nationale du renseignement et des enquêtes (DNRED) de Marseille.
L’identification d’un colis postal est venue étoffer l’enquête, parallèlement aux investigations sur des flux financiers, qui se concentrent sur des sites légaux d’armes où se monnayent matrice de sertissage ou crosse pliable, susceptibles d’être assemblées sur une carcasse en plastique.
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La DNRED Marseille, raconte son chef, finira pas remonter jusqu’à sa « cible ». Il s’agissait d’un « hyper technique » resté « sous les radars ». L’homme n’avait aucune connexion avec le crime organisé ou des groupes politiques.
« Fuck gun control »
Le 13 février 2024, à 06H00 du matin, les enquêteurs perquisitionnent. Ils tombent alors sur un « atelier de production en plein coeur de la cité phocéenne ». Les trois imprimantes « tournaient à bloc », raconte le douanier. Elles étaient capables de « réaliser des injections carbone, plus résistantes que le polymère ».
Parmi les pièces fabriquées figure la classique arme « FGC-9 » pour « Fuck Gun Control ». Le suspect en avait terminé « neuf », de « très bonne qualité » et « quasiment tout en 3D » sauf le canon, « réusiné ».
« La technologie se démocratise et elle se fiabilise », conclut le douanier. Le flux postal n’est que « la traduction de toutes les commandes sur internet », là-même « où on doit être vigilant ». « C’est un vrai défi sécuritaire », conclut-il.
Par Anne-Sophie LABADIE (AFP)