<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Les zones d’ombre de la tuerie de Saint-Just

Photo : Cyrille Morel, Rémi Dupuis et Arno Mavel, les trois gendarmes tués par un forcené à Saint-Just, dans le Puy-de-Dôme, mercredi 23 décembre 2020. (Photos: DR - Linkedin et Facebook)

10 mai 2022 | Opérationnel

Temps de lecture : 4 minutes

Les zones d’ombre de la tuerie de Saint-Just

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(Actualisé le 11 mai à 17h00 avec les précisions du procureur) Les familles de deux des trois gendarmes tués par un forcené en décembre 2020 à Saint Just (Puy-de-Dôme) ont déposé plainte contre X pour homicide involontaire. Avec cette démarche, les proches du lieutenant Cyrille Morel, 45 ans, et du gendarme adjoint volontaire Arno Marvel, […]

(Actualisé le 11 mai à 17h00 avec les précisions du procureur) Les familles de deux des trois gendarmes tués par un forcené en décembre 2020 à Saint Just (Puy-de-Dôme) ont déposé plainte contre X pour homicide involontaire. Avec cette démarche, les proches du lieutenant Cyrille Morel, 45 ans, et du gendarme adjoint volontaire Arno Marvel, 21 ans, visent la hiérarchie des gendarmes, accusée de ne pas avoir fait tout ce qu’il fallait pour protéger ses personnels. 

Contrairement à ce que nous avions écrit, la famille de l'adjudant Rémi Dupuis n'avait elle pas encore déposé plainte le 11 mai. Le procureur de la République de Clermont-Ferrand Eric Maillaud a en effet expliqué à L’Essor attendre de voir quelles étaient les intentions de cette dernière.

De manière générale, le magistrat a indiqué vouloir d'abord recevoir les avocats avant de se prononcer sur l'ouverture d'une nouvelle enquête. En tout état de cause, « cela ne pourrait se faire que dans le cadre d'une information judiciaire », nous a-t-il précisé. Dans sa plainte aux allures de réquisitoire que L’Essor a pu consulter, la famille du lieutenant Cyrille Morel revient en effet sur la chronologie de la soirée, et en particulier sur les informations transmises au centre opérationnel et de renseignement de la Gendarmerie (Corg). Selon eux, en effet, les alertes sur la dangerosité et l’équipement du forcené n’ont été que très imparfaitement retransmises aux gendarmes, ce qui ne leur aurait pas permis de réaliser le danger au devant duquel ils se précipitaient.

Scène de guerre à Saint-Just

Ce 22 décembre 2020, la compagne de Frédérik Limol subit des violences de la part de celui-ci et se réfugie sur le toit de leur maison, d’où elle prévient un couple d’amis de la situation. Ceux-ci appellent la Gendarmerie à 20h43 et précisent que son compagnon est "très menaçant", "possède des armes"et "menace de la tuer" ainsi que ses filles.  La femme précise qu’il  a deux gros chiens "d’attaque" et qu’il est "très violent" et "armé". Le mari prend le relais, précise qu’il est fonctionnaire de Police et que Frédérik Limol, 48 ans, "a des Glocks des fusils d’assaut. Il est bien équipé en fait. Faites très attention"

Pourtant, six minutes plus tard, le Corg en présentant la situation à l’adjudant Dupuis résumera ces avertissements d’un lapidaire "le monsieur apparemment heu… c’est quelqu’un qui aurait de l’armement donc faites attention"

Dans un deuxième appel au Corg à 21h27, le couple d’ami exprime à nouveau son inquiétude. Le mari, en faisant à nouveau état de sa qualité de policier, précise notamment que le forcené est équipé d’un "Glock 19" et d’un "fusil d’assaut", un "AR 15". Dix minutes plus tard, le Corg décrit la situation au lieutenant Morel et lui dit "le monsieur euh apparemment aurait un… suivant les voisins un… un glock… à la ceinture et un fusil avec un silencieux".  

"Ils vont me tuer de toute façon"

A 21h51, le Corg commence un échange avec la compagne de Frédérik Limol. Celle-ci est également très claire sur les risques pour les gendarmes. Elle mentionne le fusil d’assaut "AR15", le fait que son compagnon. est équipé d’un gilet pare-balles et qu’il a des caméras autour de la maison lui permettant de voir arriver les gendarmes. Elle ajoute qu’il se "sent menacé" et a "sorti les chiens" qu’elle présente : "50 kg. Mélange de malinois american staff".  A 22h07 elle envoie un nouveau SMS pour décrire ce qu’elle entend. "Il dit ’Ils vont me tuer de toute façon’".

Dans sa plainte, l’avocat de la famille Morel, Me Gilles-Jean Portejoie regrette que "la première mention connue de l’AR 15 (apparaisse) dans les transcriptions à 22h21 (…) très tardivement par rapport à son recueil"

"En rapprochant les renseignements collectés par le Corg lors des premiers échanges et les informations données lors de l’engagement des premiers équipages, on ne peut que s’interroger sur la déperdition d’informations qui apparaissent pourtant fondamentale pour la bonne appréciation du danger et des moyens nécessaires", écrit l’ancien bâtonnier de Clermont-Ferrand.  

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La plainte de la famille Morel relève également d’autres manquements comme l’engagement tardif (22h21)  du groupe d’investigation cynophile, alors que la présence des deux "chiens d’attaque" avait été mentionnée dès 20H43, "en parallèle de celle d’un armement très spécifique qui ne pouvait que poser difficulté aux équipages engagés"

Elle mentionne également le fait que l’adjudant Dupuis n’avait pu "revêtir un équipement  (de protection) lourd puisque le véhicule de dotation n’en comptait que deux pour un équipage de trois militaires"

Un gendarme de 21 ans sur une scène de guerre

Pour Me Anne-Laure Lebert, avocate de la famille d'Arno Mavel, "certains éléments font douter de la volonté de transparence de la Gendarmerie". "L'enquête montre qu'il y a eu des manquements successifs de transmission des informations ce soir-là. La consigne d'attendre le GIGN n'a jamais été donnée et on a envoyé sur une scène de guerre un gendarme de 21 ans qui n'avait quasiment jamais manié une arme", déplore l’avocate.

Contactée par l'AFP à Paris, la Gendarmerie nationale n'a pas répondu dans l'immédiat.

Dans le cadre de l'information judiciaire pour "assassinat" et "tentative d'assassinat" ouverte après les faits, les familles avaient réclamé en vain une reconstitution. "Le procureur leur avait dit qu’il n’y aurait pas de procès mais une reconstitution et qu’ils feraient leur travail de souffrance", précise Me Portejoie.  Après le refus du juge d’instruction, confirmé par la chambre de l’instruction les familles ont formé un pourvoi en cassation sur ce point.

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