Le « parcours criminel »: la nouvelle méthode des enquêteurs pour résoudre les cold cases

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26 février 2023 | Opérationnel

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Le « parcours criminel »: la nouvelle méthode des enquêteurs pour résoudre les cold cases

par | Opérationnel

Les proches d'Isabelle Mesnage, tuée en 1986 dans le Nord, ont dû attendre juin 2022 pour que son meurtrier, Jacques Rançon, soit jugé. Pour résoudre plus rapidement des affaires criminelles non élucidées, un nouveau type d'enquêtes, "parcours criminel", vient d'être mis en place en France. Patrice Allègre, Nordahl Lelandais ou Pascal Jardin, coupable du meurtre d'une des disparues de l'A6: le pôle national dédié aux cold cases, basé à Nanterre, a ouvert, depuis son lancement il y a un an, neuf dossiers de ce type. Les neuf criminels visés ont déjà été condamnés "définitivement" pour des crimes sériels, précise le pôle cold cases, sollicité par l'AFP. Mais des soupçons pèsent sur d'autres crimes qu'ils auraient pu commettre.

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Pour tenter de réduire ce chiffre noir des victimes non identifiées d'un criminel, la justice peut utiliser depuis décembre 2021 un nouveau cadre procédural, le parcours criminel. Il va permettre à un magistrat d'enquêter non pas sur un fait donné comme c'était le cas jusqu'ici, mais sur l'ensemble du parcours de vie d'un mis en cause, en cherchant des correspondances avec des affaires non élucidées.

"Tout bon enquêteur (…) travaillait déjà dans cet état d'esprit", en s'interrogeant sur les autres crimes qu'un auteur aurait pu commettre, explique Franck Dannerolle, chef de l'Office central pour la répression des violences aux personnes (OCVRVP). Mais policiers et gendarmes se heurtaient à des problèmes de temps –ce type d'enquêtes nécessitant des investigations très longues et poussées– ou des obstacles liés aux compétences territoriales des juridictions.

"À cause de cela, on est passé à côté d'autres victimes de Michel Fourniret et de Francis Heaulme pendant très longtemps", assure Me Didier Seban. Avocat spécialiste des cold cases, notamment de la famille d'Estelle Mouzin, il plaide depuis longtemps pour la mise en place de ce type d'enquêtes. Avec le parcours criminel, "on aurait pu voir que Jacques Rançon, le tueur de la gare de Perpignan, se trouvait dans la région d'Amiens au moment où il y a eu des disparitions dans cette zone", affirme Corinne Hermann, autre avocate spécialiste du sujet. "On aurait pu joindre les enquêtes plus tôt", dit-elle, et il n'aurait sans doute pas attendu 34 ans pour être jugé.

"Mémoire criminelle"

Les enquêteurs chargés de ces neuf dossiers vont commencer par relire l'ensemble attentivement, avant de "gratter" partout où ils le peuvent, pour retracer la vie du mis en cause dans les "moindres détails", explique la lieutenante-colonelle Marie-Laure Brunel-Dupin, chef de la Division des affaires non élucidées (Diane) de la Gendarmerie, où une unité est dédiée aux parcours criminels.

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"Les lieux où il résidait, les jours où il travaillait ou ses séjours touristiques" seront scrutés, des proches auditionnés, des photos d'époque ou des documents officiels récupérés. Cela peut même aller jusqu'aux "bulletins scolaires" pour "remonter à ses professeurs, ses camarades". "C'est sans limite", ajoute Virginie, cheffe de groupe sur les crimes sériels à l'OCRVP, qui préfère rester anonyme. Il faut "aller le plus loin possible pour essayer de ne passer à côté de rien", même si cela doit prendre "10-15 ans", ajoute-t-elle. "Les familles comptent sur nous".

Ce parcours sera ensuite mis en regard d'affaires non élucidées, pour voir si une "personne disparue ou morte n'a pas croisé sa route", résume Me Hermann, qui y voit une "révolution" de "notre droit", avec une "approche plus anglo-saxonne".

Des difficultés, inhérentes à ce type de dossiers, vont subsister, observent les enquêteurs. Gendarmerie et Police s'accordent ainsi sur la nécessité de constituer une mémoire criminelle plus précise. Aujourd'hui, "l'archivage criminel est trop épars", regrette Franck Dannerolle, qui milite pour la création d'"une nouvelle base nationale commune, avec tous les crimes non élucidés, mais aussi les disparitions de personnes ou les suicides suspects". Sur ce sujet, la "réflexion est en cours", assure le patron de l'OCRVP.

Parfois, des procédures ou des scellés ont été "détruits" en raison des règles légales sur la durée de conservation, regrette en outre la lieutenante-colonelle Brunel-Dupin. "Le système juridique n'avait pas anticipé que 20 ans après, des affaires allaient être retravaillées et élucidées", analyse-t-elle. Elle plaide également pour un changement de législation sur la prescription, puisque la société "a décidé de ne plus oublier"

Par Alice LEFEBVRE et Tiphaine LE LIBOUX, de l’AFP

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