À partir de quand peut-on considérer une affaire non-élucidée comme un Cold Case officiel? Dix ans semble ici être le seuil choisi. C'est en tout cas le délai après lequel l'enquête sur la tuerie de Chevaline vient d'être transférée du Parquet d'Annecy au pôle national dédié à ces « dossiers froids », pourtant toujours au cœur des préoccupations tant le mystère pèse sur eux. Le dépaysement, attendu depuis plusieurs mois, est désormais effectif depuis le 20 septembre 2022, date à laquelle les juges d'instruction d'Annecy ont fait droit à la requête de transfert formulée par le parquet le 18 juillet.
Dix ans après la tuerie de Chevaline, commune de Haute-Savoie où s'est déroulé l'horreur, l'enquête semble être au point mort et les faits, toujours inexpliqués. Le 5 septembre 2012, quatre personnes –trois membres d'une même famille britannique d'origine irakienne et un cycliste, probable victime collatérale– sont tuées sur les hauteurs du lac d'Annecy. Depuis, les enquêteurs de la Gendarmerie ont creusé dans toutes les directions, effectué des centaines d'auditions et des milliers d'heures d'enquête ; "tout ce qu'il était humainement possible de faire" , assure même une source proche du dossier à l'AFP. Alors qu'ils ont été jusqu'à une centaine mobilisés par les investigations, les enquêteurs n'étaient plus qu'une poignée ces derniers mois.
Une spécialiste aux commandes
Bien que la section de recherches (SR) de Chambéry reste co-saisie, ce sont donc les enquêteurs spécialisés dans les affaires non-élucidées et les crimes en série qui vont reprendre la main, sous la direction d’une magistrate elle aussi spécialisée du pôle cold case de Nanterre.
La juge d’instruction Sabine Kheris, nommée en février 2022 à la tête de ce pôle judiciaire unique en France, est ainsi connue pour avoir notamment permis des avancées dans l’enquête sur la disparition et la mort de la petite Estelle Mouzin, dont le pédocriminel Michel Fourniret a finalement reconnu son implication après des années de mutisme et une multitude d’interrogatoires. De nouvelles recherches viennent d’ailleurs d’être lancées, lundi 10 octobre 2022, dans le secteur d'Issancourt-et-Rumel (Ardennes), afin de retrouver le corps de la fillette, victime du tueur en série en 2003.
Estelle Mouzin: une nouvelle piste prise très au sérieux par les enquêteurs
De multiples pistes
Au cœur de l'enquête sur Chevaline, le témoignage d'une des deux filles du couple assassiné, survivantes du massacre. Le "méchant", tel que l'avait décrit Zainab, blessée par balle à l'épaule, assommée et laissée pour morte, n'a pas été identifié. De leur côté, les enquêteurs ont un temps privilégié la piste d'un tueur à gage, ou tout du moins d'un homme aguerri et très expérimenté. 21 coups de feu avaient en effet été tirés ce jour-là, dont 17 avaient atteint leurs cibles.
La piste d'un conflit familial avait aussi été creusée, sur la base d'un différend entre frères à propos de l'héritage paternel, principalement matériel et immobilier, estimé entre trois et cinq millions d'euros. Mais le frère aîné soupçonné dispose d'un alibi.
Parallèlement, d'autres pistes ont été exploitées, comme la thèse de l’espionnage industriel. Saad al-Hilli, ingénieur de 50 ans, travaillait effectivement pour une entreprise anglaise spécialisée dans les satellites civils. Enfin, les hypothèses d'un tueur isolé ou d'un tireur ont également été envisagées. Sans résultat.
Un motard en garde à vue
En janvier 2022, un homme –qualifié de suspect car aperçu circulant à moto à proximité des lieux, le jour du crime, par des agents de l’Office national des forêts– avait été placé en garde à vue. Il ne s'était jamais présenté aux autorités, soulevant de fortes suspicions quant à sa possible implication dans la tuerie. Son portrait-robot avait même été diffusé avant que les enquêteurs ne parviennent à l'identifier grâce à l'exploitation de données téléphoniques.
Il s’agissait essentiellement de “procéder à des vérifications d'emploi du temps" et à "des perquisitions" chez cette personne, avait alors indiqué la procureure d'Annecy Line Bonnet. Mais celles-ci n’avaient rien donné et il avait été libéré et mis hors de cause. Depuis, les investigations se poursuivent pour identifier le ou les auteurs du crime. Sans succès pour le moment.
Des moyens humains dédiés
Disposant de moyens humains désormais spécifiquement dédiés à l'affaire, le pôle Cold Case de Nanterre va donc probablement reprendre les investigations depuis le début. C'est la méthode de ce service spécialisé. Faire table rase des investigations déjà effectuées pour repartir sans a priori, et chercher d'éventuels nouveaux indices à côté desquels les enquêteurs initiaux auraient pu passer.
Depuis sa création en mars 2022, le pôle national de Nanterre a rouvert 37 enquêtes, dont 35 confiées à des juges d'instruction. En outre, plus de 150 dossiers sont en cours d'analyse, identifiés comme "potentiellement transmissibles" à ce pôle en raison de leur sérialité ou de la dimension internationale de l'affaire.
Deux ans plus tôt, la Gendarmerie avait pérennisé un service dédié aux affaires non-élucidées, la "Diane" (division des affaires non-élucidées), implanté au sein du Pôle judiciaire de la Gendarmerie nationale (PJGN), associant les compétences criminalistiques de l'Institut de recherche criminelle (IRCGN) et les capacités d'investigation et d'analyse du Service central de renseignement criminel (SCRC). Ces spécialistes des affaires non-élucidées pourront donc sans doute apporter une aide précieuse aux magistrats et aux enquêteurs.
Ces quatre premiers cold cases de gendarmes qui vont être relancés par la Justice