<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> L’affaire Joanna Parrish : plus de trois décennies d’enquête

Photo : Mai 1990. Les gendarmes découvrent dans l’Yonne le corps de Joanna Parrish. Le crime ne sera résolu qu’au bout de trois décennies d’enquête. (Illustration: Diamatita / L'Essor)

1 novembre 2024 | Les récits de L'Essor

Temps de lecture : 16 minutes

L’affaire Joanna Parrish : plus de trois décennies d’enquête

par , | Les récits de L'Essor

Joanna Parrish adorait la France, elle va y trouver la mort. En trente-trois ans de procédure, une enquête ardue sera reprise par plusieurs unités de la Gendarmerie. Seule Monique Olivier, la compagne de Michel Fourniret, répondra finalement de ce crime devant la justice.

Ce matin du jeudi 17 mai 1990, à Monéteau, juste au nord d’Auxerre, les pas de Patrice le mènent sur les bords paisibles de l’Yonne, la rivière qui se jette, bien plus loin, dans la Seine. Il s’y promène seul vers 9h30, quand il fait une découverte macabre. À un mètre du bord, comme il le dira plus tard aux gendarmes, flotte, sur le ventre, un corps. Les gendarmes de la brigade de Seignelay arrivent rapidement sur place. Il s’agit d’une jeune femme. Elle est entièrement nue, mais on voit des traces de liens au niveau des poignets et des chevilles. Le soir même, deux jeunes femmes frappent à la porte du commissariat d’Auxerre: leur amie, Joanna Parrish, a disparu depuis la veille.

C’est bien son corps qui a été retrouvé dans l’Yonne. La jeune femme a été victime d’un crime sordide. Son décès est «consécutif à une suffocation mécanique par compression du larynx», sans doute entre 22 heures et 2 heures du matin, précise l’autopsie. Elle a en réalité été frappée jusqu’à ce qu’elle se taise, apprendra-t-on bien plus tard. Il y a comme des traces de piqûres sur le bras gauche, des hématomes sur plusieurs parties du corps, et des marques qui ressemblent aux traces d’un bâillon sur la bouche. Elle a enfin été violée. Et, détail intriguant, on retrouve dans son sang la présence de médicaments et d’alcool. Des substances qui, associées, peuvent provoquer la somnolence.

JOANNA PARRISH, «UNE JEUNE FEMME VIVE»

Cela ne cadre pas du tout avec le style de vie de Joanna Parrish. Cette jeune femme de 21 ans à la coupe de cheveux à la garçonne est originaire du sud-ouest de l’Angleterre. «Ma fille est née le 30 juillet 1969, quelques jours seulement après que l’Homme a fait ses premiers pas sur la Lune», se souviendra, ému, son père, Roger Parrish, aux assises de Nanterre, en décembre 2023. À l’époque de sa mort, sa famille commençait déjà à préparer la fête pour son anniversaire, poursuivait-il à la barre, cité par Le Parisien.

À sa majorité, Joanna avait commencé des études de français à l’université de Leeds, dans le York-shire. C’est là qu’elle rencontre Patrick Proctor, un beau Tchèque dont elle tombe amoureuse. Ses professeurs se souviennent d’une jeune femme vive, intelligente et attentionnée. Joanna semble vouloir croquer la vie à pleines dents. Elle adore particulièrement la France et sa culture, le théâtre ou le cinéma. Assez naturellement, la jeune Anglaise a la bougeotte. Elle part d’abord en Espagne, à Grenade, dans le cadre d’un échange universitaire. Puis, à la rentrée 1989, elle arrive à Auxerre, au lycée Jacques-Amyot. Un établissement chargé d’histoire situé dans le centre-ville. Elle vient d’y décrocher un poste d’assistante d’anglais. Ce job doit lui permettre de valider son cursus universitaire. Logée sur place, la jeune femme y vit sans excès. Elle est prudente, remarquent ses proches. Certes, entre deux appels à Patrick, reparti en Tchécoslovaquie –ce dernier viendra la voir fin novembre et à Pâques–, elle sort parfois au pub ou au cinéma avec ses amies. Mais elle rentre tôt, rarement après 19h30.

Dernier détail: outre son travail au lycée, la jeune femme donne des cours particuliers, généralement à son domicile. Une façon pour Joanna Parrish de financer son futur voyage en Tchécoslovaquie, pour y retrouver son copain. Le couple envisage d’aller plus loin, pourquoi pas de se marier. Ce genre de déplacement coûte cher. La jeune femme a justement publié une annonce dans l’hebdomadaire Le 89, en référence au numéro de département de l’Yonne: «Jeune étudiante anglaise donne cours anglais, contacter Joanna avant 21h.» Ces quelques lignes ont suscité de l’intérêt. On le sait parce que deux élèves du lycée ont été mis dans la confidence par Joanna.

Ce 17 mai, la jeune Anglaise a rendez-vous près de la banque, dans le centre-ville, avec un collégien. Finalement, le cours est avancé d’un jour. Celui qui vient d’embaucher Joanna est prêt à payer une belle somme, 80 francs de l’heure –c’est l’équivalent de 20 euros aujourd’hui environ– pour deux heures de cours, de 19h à 21h. Seul problème: l’homme ne vit pas à Auxerre. Il viendra donc chercher Joanna pour l’amener à son domicile. Ce 16 mai, l’assistante d’anglais passe le début d’après-midi à papoter entre amis dans un parc. À 17h, elle revient au lycée donner un premier cours à deux élèves. Puis, habillée d’une jupe longue à fleurs et d’un chemisier, elle part vers 19h10 au rendez-vous fatidique. Le dernier témoin à l’avoir aperçue se souvient d’elle, avec son sac à motifs écossais, en train d’attendre entre la pharmacie et le Bar de la Poste.

Née en 1969, Joanna Parrish adore la France. La jeune Anglaise avait décroché un poste au lycée Jacques-Amyot, à Auxerre, une année de césure qui doit lui permettre de valider son cursus universitaire. (Illustration: Diamatita / L'Essor)

Née en 1969, Joanna Parrish adore la France. La jeune Anglaise avait décroché un poste au lycée Jacques-Amyot, à Auxerre, une année de césure qui doit lui permettre de valider son cursus universitaire. (Illustration: Diamatita / L’Essor)

«QUE LES GENS N’OUBLIENT PAS»

L’enquête des gendarmes s’annonce ardue. Personne n’a vu l’homme à l’origine de ce rendez-vous. Et il n’y a aucune trace d’appel suspect sur la ligne téléphonique du lycée. Visiblement, pour les militaires, la jeune Anglaise n’a pas été enlevée, résume l’ordonnance de mise en accusation, un document consulté par L’Essor. À cette heure-là, en pleine rue, un enlèvement de force aurait été remarqué.

Les gendarmes s’intéressent à toutes les pistes possibles. Il y a, par exemple, ce surveillant du lycée qui était bien insistant avec Joanna. Mais le soir de la disparition de la jeune Anglaise, il a un alibi. Les enquêteurs –outre la brigade de recherches d’Auxerre, la section de recherches de Paris sera également saisie dans la première phase de l’enquête– ne baissent pas les bras. Ils s’intéressent aux annonces du même genre publiées à l’époque dans le même hebdo. Trois personnes se souviennent bien d’appels d’un homme souhaitant des cours pour son fils, mais sans plus de détails. Les gendarmes rédigent alors une fausse annonce identique. C’est l’épouse d’un militaire qui doit faire semblant d’en être à l’origine. Mais l’astuce ne permet pas d’en savoir plus. L’enquête s’enlise. Après tout, ce journal a une diffusion particulièrement large. Outre l’Yonne, on le retrouve dans des villes de l’Aube, du Loiret, de Seine-et-Marne et du Loir-et-Cher.

Dévastés, Roger et Pauline Parrish, les parents de Joanna, reviennent régulièrement à Auxerre distribuer des photos de leur fille. «Pour que les gens n’oublient pas», diront-ils plus tard, et dans l’espoir que cela puisse faire enfin avancer l’enquête. Les années passent. À la quête du moindre indice, les proches de Joanna Parrish scrutent la presse. Ainsi, alors qu’une autre enquête vient de confondre Emile Louis, en décembre 2000, la famille se demande s’il n’y a pas un lien. Et si ce sinistre chauffeur de car, finalement condamné à la réclusion à perpétuité en 2004 pour l’assassinat de jeunes filles handicapées, s’était également intéressé à d’autres profils de victimes? Les gendarmes n’y croient cependant guère. À raison: comme on l’apprendra plus tard, Emile Louis était détenu en prison en Corse, à la suite d’une condamnation pour agressions sexuelles, au moment de la mort de la jeune fille.

«Nous avons tout fait pour ne pas céder aux théories de la conspiration, déplore le père dans les colonnes du Figaro. Mais franchement, je ne vois que deux explications. Ou bien nous avons affaire à l’une des équipes d’enquêteurs les plus incompétentes sur terre, ou quelqu’un protège quelqu’un d’autre». Roger Parrish a notamment dans son viseur une annonce récente de la juge d’instruction. Elle indiquait alors que la justice avait retrouvé une seconde empreinte ADN masculine relevée sur le corps de leur fille, oubliée pendant dix ans dans un laboratoire d’expertise.

MEURTRES INEXPLIQUÉS À AUXERRE

«Aucune pièce n’a jamais été perdue dans ce dossier», précisera la procureure d’Auxerre, interrogée bien plus tard par Le Parisien. «Deux laboratoires ont travaillé sur ces prélèvements. C’est le progrès scientifique qui a permis de mettre en évidence une seconde trace génétique, selon une autre méthode.» Il reste que la justice auxerroise est alors vivement critiquée. Le magistrat Jean-Louis Nadal, dans un rapport remis au début de l’année 2001 à la garde des Sceaux, relève l’inefficacité «patente» de la justice «dans l’appréhension et la conduite» de l’enquête sur les disparues de l’Yonne, les victimes d’Emile Louis. «À l’éclairage de ce qui s’est passé dans la région, je m’interroge», relève un an plus tard, dans Le Parisien, Xavier Autin, le premier avocat des Parrish. «Il y a beaucoup trop de meurtres inexpliqués dans cette région.»

En 2005, l’enquête des gendarmes s’accélère brusquement. Le coup de tonnerre vient de Belgique. Outre-Quiévrain, la justice enquête sur l’enlèvement de Marie-Ascension, dans la région de Namur. Ce 26 juin 2003, un automobiliste enlève cette adolescente de 13 ans dans sa camionnette. Mais après une dizaine de kilomètres, Marie-Ascension réussit à fuir, déchirant à coups de dents les liens qui l’entravent. Coup de chance: comme le relate plus tard le magistrat Francis Nachbar dans son livre, Ma rencontre avec le mal (Mareuil éditions), elle est recueillie par une conductrice avisée. «Si tu revois la camionnette, dis-le moi», dit-elle en substance à la fillette. Et effectivement: à l’entrée de Baronville, elles croisent la fourgonnette. La conductrice note aussitôt la plaque d’immatriculation. On ne le sait pas encore, mais ces quelques lignes griffonnées à la hâte vont permettre la résolution d’une myriade de crimes sordides, dont celui de Joanna Parrish.

Avisés, les enquêteurs belges constatent que la voiture appartient à une certaine Monique Olivier. Cette dernière est l’épouse de Michel Fourniret. Ils vivent tous deux à Sart-Custinne (province de Namur), pas très loin de la frontière française. Ce suspect est particulièrement inquiétant. Le sexagénaire français a déjà été condamné à cinq ans de prison pour des agressions et des viols en région parisienne, près de vingt ans plus tôt. Le couple s’était formé pendant la détention de Michel Fourniret. Monique Olivier, alors garde-malade, avait répondu à une annonce publiée dans l’hebdomadaire chrétien Le Pèlerin. «Prisonnier aimerait correspondre avec personne de tout âge pour rompre solitude», avait-il écrit.

Après le décès de Michel Fourniret, Monique Olivier sera seule sur le banc des accusés en novembre 2023 à Nanterre. (Illustration: Diamatita / L'Essor)

Après le décès de Michel Fourniret, Monique Olivier sera seule sur le banc des accusés en novembre 2023 à Nanterre. (Illustration: Diamatita / L’Essor)

L’OGRE DES ARDENNES

La justice belge vient en réalité d’arrêter «l’ogre des Ardennes», l’un des pires tueurs en série français. «Un petit homme mince et affairé», né en avril 1942, à Sedan, se souviendra le magistrat honoraire Jacques Dallest, qui l’avait rencontré en prison en juin 2017. Mais qu’on ne s’y trompe pas. «Les grands criminels ont généralement un aspect banal, dont ils usent pour piéger leurs proies», poursuit-il dans la préface du livre de Francis Nachbar. Condamné pour huit assassinats, «Le Fauve», ainsi qu’il aimait se faire appeler, est aujourd’hui soupçonné dans une vingtaine de disparitions supplémentaires.

Ce 22 juin 2004, cela fait près d’un an que celui qui est devenu surveillant dans une école communale a été interpellé. Ce jour-là, son épouse est à nouveau –c’est le 120e interrogatoire– questionnée par les enquêteurs. Monique Olivier va alors faire des confessions décisives au commissaire de la police fédérale belge, Jacques Fagnard. «Michel Fourniret a déjà tué deux jeunes filles», dit-elle, citant les noms de Céline Saison et de Mananya Thumpong. Quelques jours plus tard, la liste s’allonge. Puis, l’année suivante, deux autres victimes sont mentionnées, quand le couple vivait dans l’Yonne, à Saint-Cyr-les-Colons. Un petit village situé à une quinzaine de kilomètres à l’ouest d’Auxerre!

Informée en février 2005, la justice française prend ces déclarations très au sérieux. L’enquête, désormais supervisée par deux juges d’instruction de Charleville-Mézières, est confiée aux gendarmes de la section de recherches de Dijon et aux policiers de la Direction centrale de la police judiciaire. Les deux meurtres peuvent en effet correspondre à Marie-Angèle Domece et Joanna Parrish. La première a mystérieusement disparu en 1988. Elle vivait dans le même village que les Fourniret. Pour la seconde, Monique Olivier signale avoir accompagné Michel Fourniret pour mettre en confiance une jeune femme d’environ 18 ou 19 ans près de la gare routière d’Auxerre. Après l’avoir embarquée dans son véhicule, il l’avait finalement violée à l’arrière, après l’avoir assommée. La malheureuse victime avait alors été étranglée, puis son corps, dénudé, jeté dans le cours d’eau voisin.

Pour les enquêteurs français, cela ressemble fortement au meurtre de Joanna Parrish. Michel Fourniret, interrogé, conteste aussitôt être derrière ces deux assassinats. Il avoue toutefois un autre crime dans l’Yonne, celui d’Isabelle Laville, en 1987. Son épouse, Monique Olivier, se rétractera un peu plus tard. Elle aurait avoué sous la pression des enquêteurs français venus en Belgique. Ces derniers «faisaient les questions et les réponses», dit-elle en juin 2008. Les policiers se souviennent, eux, de la voix chevrotante de Monique Olivier, les yeux prostrés, répondant seulement après avoir réfléchi très longuement. Une attitude déconcertante, observe plus tard Francis Nachbar, avec des silences pouvant durer dix, trente, voire près de soixante minutes.

RÉTRACTATION

Pourtant, il y a de nombreux points communs entre l’affaire Parrish et d’autres victimes de Michel Fourniret. Le mode opératoire semble similaire. La jeune Anglaise avait, par exemple, des traces de piqûres sur le bras, comme Fabienne Leroy, une autre victime du tueur en série. Ce dernier avait «déjà drogué ses victimes et leur avait fait boire de l’alcool pour pouvoir les violer ou les tuer», rappelle d’ailleurs bien plus tard l’ordonnance de mise en accusation.

Est-ce enfin l’aboutissement de cette longue enquête? Eh bien non. La mise en examen de Michel Fourniret tarde. «Les parents de Joanna attendent une réponse de la justice française depuis 1990», déplore dans Le Parisien le nouvel avocat de la famille, Didier Seban. Car malgré ces rapprochements et ces premiers aveux suivis d’une rétractation, les preuves manquent. L’empreinte génétique de Michel Fourniret ne correspond pas aux traces relevées dans le dossier de la jeune Anglaise. De même, l’examen des traces génétiques de la camionnette saisie par la justice belge fait chou blanc. Les recherches ADN se poursuivront pendant dix ans, en vain. De même, si les Fourniret vivent bien à l’époque pas très loin d’Auxerre, ils sont également propriétaires d’un appartement à Sedan et d’un château dans les Ardennes, avant de partir pour la Belgique en 1992. Leurs traces sont donc incertaines. On sait juste qu’avant le meurtre de Joanna Parrish, Michel Fourniret a trouvé un job d’ouvrier après avoir été inscrit au chômage. Entre-temps, il avait proposé une idée particulièrement saugrenue lors d’un atelier. Pour attirer des visiteurs dans le département, il proposait de créer une prison pour les touristes souhaitant vivre l’expérience de l’enfermement.

Par précaution, les magistrats français décident de disjoindre le dossier Fourniret. Le tueur en série va bien être jugé, avec sa compagne, en mai 2008, par la cour d’assises des Ardennes, pour les crimes et les délits commis contre dix victimes –dont sept meurtres. Mais pas pour l’enlèvement et le meurtre de Marie-Angèle Domece et Joanna Parrish, deux dossiers où il a été finalement mis en examen quelques mois plus tôt, en mars. Le magistrat Francis Nachbar, critiqué sur cette disjonction, s’en expliquera plus tard. «On nous avait recommandé d’inscrire ces procédures dans un deuxième cercle, car elles étaient loin d’être clôturées et faisaient l’objet d’investigations multiples et vraisemblablement longues», rappelle-t-il dans son livre.

L’affaire sera reprise en 2012 par la tenace juge d’instruction, Sabine Kheris. (Illustration: Diamatita / L'Essor)

L’affaire sera reprise en 2012 par la tenace juge d’instruction, Sabine Kheris. (Illustration: Diamatita / L’Essor)

LA DOUCHE FROIDE

En mai 2008, Michel Fourniret est donc condamné à la prison à perpétuité par la cour d’assises des Ardennes. Mais, concernant l’affaire Joanna Parrish, le compte n’y est pas pour la justice. Un an plus tard, en mai 2009, c’est la douche froide. On n’a pas retrouvé d’ADN de Michel Fourniret sur les différents prélèvements réalisés sur la victime, pas plus que sur la casquette retrouvée près du corps. Le tueur en série joue de cette absence de preuves. Ainsi, ses déclarations à propos du meurtre de Natacha Danais, une adolescente de 13 ans, tuée en novembre 1990, correspondent au meurtre de la jeune Anglaise, commis quelques mois plus tôt. Résultat, en août 2011, une ordonnance de non-lieu, a posteriori bien hâtive, est rendue. Les parents de la jeune Anglaise font aussitôt appel. Ils ont raison. Car plusieurs mois plus tard, en juin 2012, la cour d’appel de Paris annule le non-lieu et demande aux juges de réinstruire l’affaire «dans toutes les directions», rapporte alors dans la presse Didier Seban, l’avocat des Parrish. Autrement dit, les magistrats instructeurs sont appelés à s’intéresser à nouveau à l’implication de Michel Fourniret. Mais à aussi étudier de près toutes les nouvelles pistes qui pourraient se faire jour.

L’affaire est confiée à une juge d’instruction tenace, Sabine Kheris. Comme le rappelle, L’Obs, des années plus tard, la magistrate a commencé sa carrière comme parquetière dans le Pas-de-Calais, puis en région parisienne. Avant de prendre la voie de l’instruction, avec une série de dossiers sensibles. Elle est désormais, depuis Nanterre, à la tête du pôle national des crimes non élucidés. Quand la juge reprend l’affaire Parrish, elle saisit aussitôt, pour plancher sur ce dossier, les gendarmes de la section de recherches de Dijon, dirigée à partir de septembre 2013 par le lieutenant-colonel Dominique Lambert.

Les militaires vont d’abord devoir tirer au clair une nouvelle piste. En novembre 2010, un détenu a signalé les confessions d’un codétenu, Thierry V., à propos d’un meurtre, une histoire de représailles. Interrogée, Isabelle, qui vivait avec Thierry à Auxerre avant de le quitter après le viol d’une infirmière, signale aussitôt ses soupçons sur son ex à propos de l’affaire Parrish. Elle se souvient ainsi avoir lu dans la presse que la jeune Anglaise avait perdu un sac en jean. Or, Thierry avait justement un sac de ce genre quand il est venu s’installer chez elle. Son ADN est prélevé, mais il ne correspond pas.

D’autres pistes sont également abandonnées. Ainsi, deux autres hommes déjà condamnés pour viol sont disculpés sur la base des analyses génétiques, tout comme un troisième suspect, licencié le jour du meurtre. Les appelés en faction et en poste au centre d’instruction des gendarmes auxiliaires de Monéteau sont également passés au crible de l’ADN. Les gendarmes s’intéressent enfin à l’avant-dernière soirée de Joanna. Elle s’était rendue, le mardi soir, dans un bar d’Auxerre. On connaît l’identité des voisins de table: ils sont tous passés au crible. Le résultat n’est pas probant. Mais il y a aussi cet homme mystérieux arrivé à vélo, qui aurait été invité de loin par Joanna à venir à leur table, mais qui est parti aussitôt. Les gendarmes demandent à Francis, l’un des hommes de la tablée d’à côté, de quoi il avait l’air. «Il ressemblait à l’acteur américain jouant Franck Serpico», répond-il. Dans ce film de 1973, Al Pacino joue le rôle d’un policier new-yorkais dénonçant la corruption dans son service. On lui montre des photos de Michel Fourniret prises en juin 1990. Oui, ça pourrait être lui, convient Francis.

UNE ANNOTATION DANS L’AGENDA

Le client de la terrasse n’est d’ailleurs pas le seul à reconnaître Michel Fourniret sur des photos. Les gendarmes de Dijon décident de réentendre les cadres du lycée Jacques-Amyot. Le directeur donne un premier élément intéressant. Il se souvient bien d’un homme venu, au début du mois de mai, au secrétariat pour s’enquérir de l’annonce de Joanna. L’homme voulait des cours du soir pour son fils, précise-t-il. La secrétaire ne s’en souvient pas, mais la proviseure-adjointe, Hélène R., signale un fait troublant. Une semaine après le meurtre, un homme se serait présenté au secrétariat pour des cours pour son fils. Quand on lui montre des photographies de Michel Fourniret, Hélène opine de la tête. Oui, il ressemble bien au mystérieux visiteur.

Les enquêteurs savent combien les souvenirs peuvent être volatils. Il y a cependant un autre élément confondant pour Michel Fourniret. Dans son agenda pour l’année 1990, il y a une annotation le jour du meurtre de Joanna. Comme, quelques mois plus tard, pour celui de la jeune Natacha Danais. Toutefois, la juge d’instruction Sabine Kheris n’a pas seulement en tête le crime commis contre la jeune Anglaise. Outre l’affaire Marie-Angèle Domèce, elle obtient de joindre le dossier de la disparition, en 2003, d’Estelle Mouzin, une enfant de 9 ans. Une affaire où la magistrate voit aussi la marque du tueur en série. Ce dernier avait d’ailleurs demandé le premier, dans un courrier à la justice, la jonction de ces trois dossiers avec ceux devant être jugés par la cour d’assises de Charleville-Mézières en 2008.

La vérité va toutefois petit à petit se faire jour. Un journaliste s’est rapproché du fils de Michel Fourniret, Selim. Il signale que le tueur en série lui aurait avoué au parloir de la prison être pour quelque chose dans la disparition de la jeune Anglaise. Selim confirme ces aveux. Les enquêteurs relèvent également le curieux manège du couple Fourniret avec ses voitures. La veille de l’enlèvement de Marie-Ange Domèce, ils ont résilié l’assurance de leur Citroën CX Mana, au profit, le lendemain, d’une Peugeot 405. L’assurance de ce véhicule est résiliée à son tour le jour de la disparition de Joanna Parrish, là aussi suivie, le jour d’après, par une souscription pour une nouvelle voiture, une fourgonnette C15. Comme si le tueur en série avait fait des repérages avec son auto et avait préféré brouiller les pistes en utilisant un autre véhicule pour les enlèvements.

À ce stade de l’enquête, le mode opératoire semble de plus en plus clair. Michel Fourniret utiliserait son fils, qu’il soit âgé de quelques mois ou qu’il soit déjà enfant, pour mettre en confiance ses victimes. Et, justement, les parties civiles viennent de porter à la connaissance de la juge un témoignage très intéressant. Elle s’appelle Emi. En 1998, cette jeune Japonaise étudie à Liège. À la fin de l’hiver, elle est contactée par Michel Fourniret. Ce dernier cherche un professeur de piano pour Selim, son fils. Emi fixe un rendez-vous, devant chez elle. La jeune Japonaise voit arriver toute la petite famille. Elle est interloquée. On ne lui demande pas combien d’argent elle veut pour ce cours, ni quel est le contenu des leçons. Et pourquoi la choisir elle, qui n’est pas à l’aise en français, alors qu’il y a un conservatoire bien plus près, à Namur? L’enfant a l’air «absent», dira-t-elle bien plus tard devant la justice. La jeune Japonaise ne donne pas suite. Mais Michel Fourniret la relance plusieurs mois après. Emi propose alors de faire venir Selim chez son professeur de piano qui lui prête ses locaux. Michel Fourniret refuse. Et si elle venait plutôt chez eux? L’air est meilleur à la campagne, il y a moins de stress qu’en ville, ajoute-t-il. Un traquenard, comme le comprendra avec effroi Emi en découvrant, des années après, le visage du tueur en série à la télévision.

La trop longue liste d’une partie des meurtres avoués par Michel Fourniret, l’un des pires tueurs en série français. (Illustration: Diamatita / L'Essor)

La trop longue liste d’une partie des meurtres avoués par Michel Fourniret, l’un des pires tueurs en série français. (Illustration: Diamatita / L’Essor)

DES FEMMES OUBLIÉES

«La seule certitude que j’ai, c’est que si Joanna Parrish n’avait pas croisé mon chemin, elle serait toujours là.» En février 2018, Michel Fourniret passe finalement aux aveux devant les enquêteurs. Mais d’une bien curieuse façon, en invoquant l’amnésie sur les faits en eux-mêmes. Répondre à l’annonce pour attirer Joanna? «C’est idiot», rétorque-t-il. Les interrogatoires du tueur en série et de son ancienne compagne se succèdent, avec des réponses décevantes. L’essentiel est pourtant là. Il y a suffisamment d’éléments pour renvoyer ce couple diabolique devant les assises pour les trois disparitions: celles de Marie-Angèle Domèce, de Joanna Parrish et d’Estelle Mougin.

Une façon pour la justice française de réparer aussi ses propres erreurs. «Ces femmes ont été oubliées», dira ainsi au Monde l’avocate Corinne Herrmann, le conseil de la famille de Marie-Angèle Domèce. «Elles ne sont rien et, si elles disparaissent, on ne les cherche pas. On dit seulement qu’elles sont dépressives, qu’elles se sont suicidées ou que ce sont des filles de mauvaise vie, et basta.»

Le tueur en série prendra toutefois la justice de vitesse. En mai 2021, il décède à la Salpêtrière, à l’âge de 79 ans. Il ne reste donc que Monique Olivier, visée pour sa complicité, pour répondre de ces trois crimes. En novembre 2023, elle est enfin jugée à Nanterre. L’ancienne compagne de Michel Fourniret, 75 ans, n’a pas l’air bien méchante. Sous ses cheveux gris, son visage reste inexpressif. Et pourtant, elle était l’indispensable assistante du tueur en série pour ses crimes. Elle est loin d’être bête: son quotient intellectuel est évalué à 131. Bien au-dessus de la moyenne donc. «Si Fourniret est un baril de poudre, Monique Olivier en est la mèche», résume un psychiatre, cité par l’hebdomadaire Paris-Match. Son jeu est en effet trouble, se nourrissant visiblement du sadisme de Michel Fourniret. Avant d’accuser, d’aveux en rétractations, son compagnon.

Le soir de l’enlèvement de Joanna Parrish, elle est la dernière témoin en vie. La jeune Anglaise a été frappée, violée, puis étranglée avec du fil électrique. Monique Olivier est à l’avant du véhicule. Mais pourquoi n’êtes-vous pas descendue du véhicule, pour s’enfuir, questionne le président lors du procès. «Vous savez, je ne suis pas courageuse, je regrette de l’avoir aidé à agir», répond-elle sans convaincre. «Il ne m’a pas demandé de m’éloigner, je suis restée comme…» Aux jurés, Monique Olivier avait d’abord expliqué que c’était bien Michel Fourniret qui avait eu l’idée d’appâter une victime avec de prétendus cours d’anglais.

L’avocat de la famille, Didier Seban, montre alors deux photos de la jeune Anglaise. Avant l’autopsie, puis après, le visage tuméfié. «Qu’est-ce que vous dites, Madame Olivier», demande la robe noire. «Ce n’est pas possible. Elle était belle. Elle aurait mérité de vivre. Je regrette vraiment. À cause de moi, elle est partie.» À l’issue du procès, l’accusation demande contre Monique Olivier la réclusion criminelle à perpétuité, assortie d’une période de sûreté de vingt-deux ans, pour sa complicité dans les enlèvements et les meurtres de Marie-Angèle Domèce, Joanna Parrish et Estelle Mouzin. La compagne de l’ogre des Ardennes est finalement condamnée à la réclusion criminelle à perpétuité assortie d’une période de sûreté de vingt ans.

«On continue de voir Joanna comme si c’était hier», avait signalé, tout en retenue, le père de la jeune Anglaise lors du procès.

Par Gabriel Thierry – Dessins Diamatita


Ce récit a été publié dans le numéro 595 de votre magazine L’Essor de la Gendarmerie, paru en novembre 2024. Découvrir le sommaire de L’Essor de la Gendarmerie – n°595

La question du mois

Bruno Retailleau, pour lutter contre la violence et les narcotrafics en Guadeloupe, a confirmé l’installation de « deux escadrons de gendarmerie mobile, sans enlever le peloton de la garde républicaine », mais aussi de « deux brigades nautiques », une de gendarmerie et une de police respectivement en Basse-Terre à Gourbeyre et à Pointe-à-Pitre. Pensez-vous que cela sera une réponse satisfaisante ?

La Lettre Conflits

La newsletter de l’Essor de la Gendarmerie

Voir aussi