<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> L’affaire Bondonny, l’empoisonneur des chiens d’Egletons

Photo : En août 2004, l’affaire du mystérieux empoisonneur de chiens, en Corrèze, et un ancien gendarme retrouvé mort à son domicile bascule dans l’horreur. (Illustration: Diamatita / L'Essor)

1 août 2024 | Les récits de L'Essor

Temps de lecture : 16 minutes

L’affaire Bondonny, l’empoisonneur des chiens d’Egletons

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Des boulettes de porc mélangées à de l’insecticide. Pendant quatre ans, en Corrèze, un mystérieux empoisonneur sévit. Les gendarmes mènent l’enquête, avant de constater, effarés, l’assassinat d’un ancien de l’Arme qui avait témoigné contre le suspect numéro un.

Ce 24 août 2004, Marius Lac vient de revenir chez lui. Cet ancien gendarme de 65 ans à la retraite a passé la journée chez sa fille, Valérie. Le téléphone sonne. C’est encore elle. Sa fille le rappelle à propos d’un cendrier qu’elle ne retrouve plus. Tout à coup, son père interrompt leur échange. Une voiture rouge, immatriculée en 02 (le numéro de département de l’Aisne), vient d’arriver devant chez lui. Ce qui serait anodin dans une grande ville est ici bien surprenant. L’ancien gendarme vit en effet dans un village d’une centaine d’habitants, Chapelle-Spinasse, en Corrèze. C’est un petit bourg tranquille, qui mêle fermes et maisons typiques du Limousin. Francette Vigneron et Franck Meynial racontent la scène dans leur livre très documenté, L’Affaire des chiens d’Egletons (Descartes et Cie).

«C’est quoi, ces gens? Ils sont du 02 et ils savent que tu as un 4×4 [à vendre], fais attention méfie-toi !» s’étonne Valérie. «Ne t’inquiète pas, j’ai bien vu sa tête», répond Marius. «Si vous voulez voir le 4×4, il n’y a pas de problème, allez-y», poursuit-il à l’attention du mystérieux visiteur.

Le lendemain, Valérie appelle le voisin, Marcel, cousin par alliance avec son père. Ce n’est pas normal. Marius, qui vit seul, ne répond pas au téléphone, lui explique-t-elle. Marcel rentre dans la véranda. Pas de réponse. Puis, dissimulée sous une brouette, il fait une découverte macabre. Marius gît là, au sol. Il a été frappé à la tête avec un objet contondant, une barre de fer ou une hache.

Mais qui peut bien en vouloir à Marius Lac, un paisible retraité passionné de chasse? Un rieur et un bon vivant, «le Marius de Pagnol», se souvenait à l’époque, ému, le maire du village, Marc Pinardel, un intime de la famille de la victime, cité par le quotidien Le Parisien. Depuis qu’il a eu un infarctus, il a arrêté de fumer. Il bricole, jardine, et part en forêt se promener avec ses chiens. «C’était un super-papy qui voyait ses petits-enfants très souvent», confie sa fille Véronique à La Montagne. «Mon père était fort», résume-t-elle des années plus tard à la cour d’assises. «Il avait toujours une solution. Avec lui, la vie était paisible et sûre. Il aimait les choses carrées, droites, il aimait la vérité.»

Est-ce alors une vengeance liée à son ancienne profession? C’était «un vrai gendarme de terrain», saluait Gérard Blazy, alors adjudant-chef, auprès de Francette Vigneron et Franck Meynial. «Le type qui va partout, qui est apprécié de tous, aussi bien des victimes que des mis en cause», ajoutait ce gendarme.

Charpentier menuisier au départ, Marius Lac a bifurqué vers la Gendarmerie après son service militaire. Après avoir été affecté dans le Gers, il a fait toute sa carrière en Corrèze, à Champeix et à Tulle, où il prendra sa retraite en 1992. L’officier de police judiciaire était devenu l’un des piliers de la brigade de recherches de Tulle.

DE MYSTÉRIEUX EMPOISONNEMENTS

Cette affaire criminelle a en fait commencé six ans plus tôt à Egletons, une petite ville de quelques milliers d’habitants, à une dizaine de kilomètres au nord de Chapelle-Spinasse. En cette fin du mois d’août, la chasse au sanglier vient tout juste d’être ouverte. Un homme frappe à la porte de la gendarmerie locale. Son chien a été empoisonné, et il a beaucoup bavé avant de mourir. Un genre de plainte à prendre avec circonspection. Après tout, le chien a peut-être mangé par mégarde de la mort-aux-rats, par exemple. Sauf que le plaignant n’est pas le seul. Ils défilent ce jour à la gendarmerie. Et ils racontent une mort ou une intoxication similaire. Comme le signale Le Monde, les chiens sont à chaque fois retrouvés, agonisants, au milieu de leurs vomissures. Un chien et deux chattes meurent. Et cinq chiens sont empoisonnés. Les premiers d’une longue série.

En tout, en quatre ans, jusqu’en décembre 2002, ce sont environ deux cents animaux, principalement des chiens, mais aussi des chats et une brebis, qui décèdent. Tous victimes d’une très grosse intoxication. L’origine des empoisonnements est vite identifiée. Il s’agit de boulettes de viande bleue, de la chair à saucisse, mélangée avec du carbofuran, un insecticide très toxique, classé très dangereux. Il est d’ailleurs interdit de vente en France depuis décembre 2008. À l’époque, ce produit était destiné à des activités agricoles ou du jardinage. Le mystérieux empoisonneur va sévir pendant des années. De nouveaux villages sont visés par le dépôt de ces boulettes dans les chemins creux, mais aussi sur les pas-de-porte, dans les jardins et devant les édifices publics, les veilles de week-end et dans des zones de chasse.

Le dépôt des boulettes n’est pas continu. C’est comme s’il y avait des vagues de malveillance. Au fil du temps, l’empoisonneur est de plus en plus audacieux et inconscient. À force de disperser ses boulettes, un jour, un enfant risque en effet d’en ingérer une par accident. Le maire d’Egletons signale ainsi dans Le Monde avoir ramassé un seau entier de boulettes dans la rue centrale du bourg, en décembre 2002. Deux chiens décèdent alors des suites d’une intoxication. Tandis qu’à Darnets, pas très loin, des boulettes sont retrouvées dans la cour de l’école.

Il y a aussi le maire de Moustier-Ventadour, Claude Serre, cité par Le Parisien. Sa chienne de 4 ans est morte en décembre 2001. «Je partais à la chasse et il y avait ces maudites boulettes bleues au pied de l’escalier, devant la terrasse, enrage-t-il. Elle les a avalées et elle est morte vingt minutes plus tard. Le vétérinaire n’a pas pu la réanimer.»

À la fin août 1998, des chiens sont victimes d’empoisonnement. Leurs propriétaires les retrouvent en train d’agoniserau milieu de leurs vomissures. (Illustration: Diamatita / L'Essor)

À la fin août 1998, des chiens sont victimes d’empoisonnement. Leurs propriétaires les retrouvent en train d’agoniser au milieu de leurs vomissures. (Illustration: Diamatita / L’Essor)

LA PISTE DE LA CHASSE

Les gendarmes s’inquiètent évidemment des raids de l’empoisonneur. Mais très vite, Marius Lac a sa petite idée et vient la signaler à ses anciens collègues. À la fin octobre 1998, il fait une longue déposition à la gendarmerie de Lapleau. Elle dure plus de deux heures et demie. Le retraité estime en effet que les boulettes visent son équipe de chasseurs. «Cette viande hachée empoisonnée avait été placée là où nous avons pour habitude de garer nos voitures avant de lâcher les chiens et d’aller nous poster», remarque-t-il. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’il y a des appâts empoisonnés, il y avait eu des incidents lors de la saison de chasse précédente.

La déposition de Marius Lac est intéressante. Toutefois, l’ancien limier de la police judiciaire n’apporte pas de preuve concrète. Et comme l’enquête s’ouvre tous azimuts, il est lui-même mis, un temps, sur la liste des suspects. Le travail d’investigation des gendarmes n’est pas simple. Une première information judiciaire ouverte en mars 1999 doit être clôturée, faute d’éléments.

Une nouvelle procédure est rouverte en juin, quand les empoisonnements reprennent de plus belle après une pause de trois mois. Cette fois, les militaires mettent en place une cellule spéciale d’enquête, « Animaux 19 », comportant sept gendarmes, puis quatorze. L’Arme organise alors des barrages. Un hélicoptère est même requis, tandis que des caméras de surveillance sont installées sur des axes jugés stratégiques. Enfin, un gendarme profileur –ces spécialistes capables de discerner la psychologie d’un criminel à son mode opératoire– est également mobilisé. Pour ce dernier, l’empoisonneur est une personne de la région, liée à la chasse, qui se croit insoupçonnable ou au-dessus des lois, qui éprouve un sentiment de toute-puissance et qui n’aime pas les animaux, ou en tout cas qui est prêt à en sacrifier pour servir ses intérêts. Enfin, c’est quelqu’un de dangereux, avec «un fort risque de récidive».

Les gendarmes orientent donc leurs investigations autour du milieu de la chasse. Dans le département, cette activité rassemble alors environ 12.000 chasseurs actifs au sein d’environ 560 sociétés de chasse. Elles doivent se partager des zones de chasse et un quota de bêtes à abattre. À Egletons, on compte plusieurs centaines de chasseurs dans l’association intercommunale de chasse, dont la zone d’activité fait à peu près 2.500 hectares. Mais il existe aussi un groupe qui chasse sur un domaine privé d’environ un millier d’hectares. À sa tête, un ancien conseiller municipal, un certain Roland Bondonny.

«Cela ne pouvait que susciter l’envie», racontait au Monde son avocat, Michel Labrousse. «Imaginez la réaction d’une équipe qui s’est levée à 5 heures du matin, qui rentre le soir fatiguée et bredouille, et qui croise Bondonny transportant, avec une certaine morgue sans doute, quatre ou cinq bêtes tuées dans la journée.» Surnommé «Bonbon» par ses amis, Roland Bondonny est un négociant en vins, né en 1932, qui fait ses affaires entre la Corrèze et le Nord de la France.

Ce fils d’un couple d’agriculteurs du coin est une sorte de notable. Il est le président d’un syndicat professionnel. Il a été le patron du club de rugby local, et il se targue même d’être l’un des membres fondateurs du RPR, le parti politique fondé par Jacques Chirac. Dans sa quête du pouvoir, le futur président de la République, alors en poste, avait fait de la Corrèze son fief. De quoi faire fantasmer sur les protections et les amis haut placés qu’aurait Roland Bondonny, accusé par la rumeur publique d’être le fameux empoisonneur.

Mais il n’y a aucune preuve contre lui. D’ailleurs, personne n’a rien vu. Comme si une chape de plomb avait recouvert Egletons. «Je n’ai jamais été violent ou méchant avec quelqu’un», dira-t-il plus tard à la justice. Et « Animaux 19 », la cellule spéciale d’enquête, est finalement dissoute, à la fin octobre 2000, après près de 800 heures de surveillance et huit mois sans empoisonnements.

L’enquête montre que les chiens ont ingéré des boulettes de viande mélangées à un insecticide très toxique, du carbofuran. (Illustration: Diamatita / L'Essor)

L’enquête montre que les chiens ont ingéré des boulettes de viande mélangées à un insecticide très toxique, du carbofuran. (Illustration: Diamatita / L’Essor)

DES TRACES DANS LA FOURGONNETTE DE BONDONNY

Il va falloir attendre le début de l’année 2001 pour voir enfin l’enquête s’accélérer. Début février, les empoisonnements reprennent. Mais cette fois-ci, il y a des témoignages exploitables. Des témoins signalent avoir vu une fourgonnette Renault Express blanche faire demi-tour à un endroit où l’on a retrouvé des boulettes empoisonnées. Selon eux, la plaque d’immatriculation se termine par «RM-19». Dans le département, il n’y a que quatorze véhicules de ce type qui correspondent à ce signalement. Dont, justement, celui de Roland Bondonny!

Bizarrement, les gendarmes n’auront même pas besoin de convoquer le négociant en vins. Le voici qui arrive à la caserne pour signaler l’empoisonnement de sa chienne. Les militaires en profitent pour l’auditionner. Que faisait-il le vendredi soir, le jour où on a aperçu le Renault Trafic? Et où était sa chienne intoxiquée quand il l’a amenée chez le vétérinaire? Pendant ce temps, un gendarme adjoint volontaire est sorti de la caserne pour fumer une cigarette. Il fait le tour du Renault Express. Et là, surprise! Il aperçoit sur le rétroviseur des granulés bleus. Il va prévenir discrètement son chef.

En audition, Roland Bondonny sent le vent tourner. Il s’énerve, répond sèchement, puis part précipitamment. Il repart avec sa fourgonnette, la gare devant son pavillon de chasse, change de véhicule et revient chez lui. Mais les gendarmes l’ont suivi et il est aussitôt interpellé. De retour au gîte de chasse, les militaires fouillent la fourgonnette. C’est José Mérigeau, le technicien en identification criminelle, qui est chargé de passer au peigne fin le véhicule. Il trouve des éléments intéressants, des traces de carbofuran, cet insecticide toxique, à neuf endroits différents, à l’avant du véhicule, alors que le suspect avait affirmé que sa chienne était à l’arrière. Il y en a dans le vide-poches, entre l’assise et le dossier du siège conducteur, ou encore dans l’enveloppe du miroir du rétroviseur.

Ces constatations deviennent «la pièce maîtresse de l’enquête», analysent dans leur livre Francette Vigneron et Franck Meynial. C’est la preuve matérielle qui manquait aux gendarmes dans cette enquête. Roland Bondonny rétorque qu’il s’était trompé: sa chienne était en fait à l’avant. Et en se débattant, elle a dû disperser le carbofuran partout. Pourtant les traces sont de l’insecticide pur, sans mélange avec de la bave de chien ou du vomi. Roland Bondonny est mis en examen pour actes de cruauté envers les animaux.

BONDONNY, UN HOMME VIOLENT ET COLÉRIQUE

En ce début d’automne 2003, le négociant en vins est enfin sur le banc des prévenus, à Tulle. La défense plaide la relaxe. Roland Bondonny explique ainsi qu’il était dans le nord de la France quand les boulettes ont été dispersées. D’ailleurs, malgré sa mise en cause, les empoisonnements ont continué. En juillet 2001, puis en décembre 2001, les maudites boulettes ont fait leur réapparition. «Le coupable continue de courir», en déduit l’avocat de Roland Bondonny, Michel Labrousse.

Le conseil remarque enfin que l’une des descriptions de l’empoisonneur par un témoin ne colle pas. Ce dernier parlait d’un homme âgé d’une quarantaine d’années et qui boitait. «J’aime bien les chiens», assure Roland Bondonny à la barre, cité par Le Parisien. «J’en ai eu toute ma vie, j’en ai encore six aujourd’hui. Je n’ai jamais touché au produit et jamais empoisonné de chiens. Si je suis ici, c’est le résultat de ragots et de colportages. C’est de la calomnie.»

Pourtant, les témoignages défavorables s’accumulent et vont bien au-delà d’une simple jalousie. On apprend, par exemple, que le négociant en vins peut être très violent. Il a ainsi menacé avec une arme l’une de ses maîtresses, en janvier 1984. Le récit de l’agression est édifiant. Cela fait alors plusieurs mois qu’Emilie a mis fin à la liaison. Elle est depuis visée par d’étranges appels anonymes malveillants. À la mi-janvier, elle finit par déposer plainte. Quelqu’un a lacéré les pneus de sa voiture. Puis, dans la nuit, vers 2 heures, on frappe à sa porte. C’est Roland Bondonny. Il exige des explications: pourquoi a-t-elle refusé d’aller au restaurant la veille au soir? Sans surprise, il est très mal reçu par Emilie. Roland Bondonny la pousse alors à l’intérieur de chez elle, avant de serrer sa gorge et de la frapper.

La chienne de la victime réagit en mordant l’agresseur à la jambe, permettant à sa maîtresse d’appeler au secours. À plusieurs, ils mettent Roland Bondonny dehors. Mais les choses s’enveniment encore. Le négociant sort un pistolet et casse le vitrage de la porte d’entrée, qu’il force pour foncer à l’étage, où Emilie s’est enfermée. C’est à ce moment-là qu’il est interpellé par les gendarmes. Sa déposition en garde à vue est surréaliste. L’arme? C’était celle d’Emilie. L’agression? C’est lui qui en a été victime.

Deux autres témoins, des chasseurs, dressent le portrait d’un homme revanchard et colérique. Guillaume, tout d’abord. Roland Bondonny? «Il sème la terreur pour agrandir son terrain de chasse.» «Tout le monde a peur dans son village», poursuit-il. Et de raconter les mésaventures de Noël, un agriculteur qui a refusé de renouveler le bail du droit de chasse au négociant en vins. Trois de ses vaches ont été empoisonnées, et il a subi trois incendies volontaires. Puis Marius Lac s’avance à la barre. Roland Bondonny est forcément l’empoisonneur, explique-t-il en substance, parce qu’il ne supporte pas qu’on puisse soi-disant chasser sur ses terres et voler son gibier. «Il se prend pour un seigneur et, nous, on est les serfs», ajoute-t-il devant les magistrats.

Un petit châtelain adepte des méthodes expéditives. Selon ses dires, Roland Bondonny a menacé, en février 1998, de lui casser les dents. «Venir ici, c’est un acte de bravoure, ajoute-t-il. Moi, quand je le rencontre, Bondonny, c’est dans un maquis et il a une arme.» Quelques semaines plus tard, le tribunal rend sa décision. Le négociant en vins, désormais interdit de séjour en Corrèze, est condamné à deux ans de prison, dont un ferme. Et il est sommé de rembourser environ 111.000 euros de dommages et intérêts.

Au coeur du procès de Roland Bondonny, le milieu de la chasse. <yoastmark class=

DES DIZAINES DE KILOS DE CARBOFURAN

Est-ce enfin la fin de cette désolante histoire d’empoisonnement de chiens? On aurait pu l’espérer. Mais l’affaire va, au contraire, dégénérer dans des proportions dramatiques. D’une part, comme c’est son droit, Roland Bondonny fait appel de la décision judiciaire. Il est toutefois mis en cause pour complicité d’actes de cruauté dans l’information judiciaire ouverte après la reprise des empoisonnements de chiens, cette seconde vague de boulettes censée le disculper.

La procédure s’appuie d’ailleurs sur un témoin clé. Après avoir vu un reportage à la télévision, un commerçant du Nord assure avoir vendu du carbofuran à Roland Bondonny à partir de l’année 1998. Jusqu’ici, l’enquête n’avait pas permis de déterminer l’origine du dangereux insecticide. «Ce commerçant affirme avoir vendu plus d’une dizaine de kilos de carbofuran, mais sa comptabilité n’en porte pas trace», rétorque plus tard son avocat, cité dans Le Figaro. «De plus, il n’y a pas eu d’analyse permettant d’affirmer que le carbofuran vendu est le même que celui utilisé pour les empoisonnements.»

Georges connaît bien Roland Bondonny. «Pour nous, c’était le grand mec du Bordelais avec plein de propriétés», dit-il à Francette Vigneron et Franck Meynial. «C’était un bon pro. Le genre de mec qui sort par la porte et qui rentre par la fenêtre.» À l’époque, Georges ne comprend pas pourquoi le négociant en vins achète dans le nord de la France son carbofuran, un produit vraiment banal, qu’on peut trouver partout – et si peu cher qu’il ne donnera pas lieu à l’émission de factures. Roland Bondonny lui assure qu’il n’en trouve pas chez lui, en Corrèze.

Le négociant en vins devient surtout l’un des principaux suspects dans l’affaire du meurtre de l’ancien gendarme Marius Lac, à la fin août 2004, suivie par la section de recherches de Limoges. En quelques semaines, deux hommes sont mis en cause dans cette affaire.

Début octobre, un certain Alain Bodchon est mis en examen pour assassinat, tandis que Roland Bondonny est poursuivi pour avoir manigancé le crime. Il est arrêté par les gendarmes dans l’hôtel-restaurant Gabriel, en face de la gare de Fourmies (Nord), raconte La Voix du Nord, son repaire depuis quinze ans dans le coin quand il vient vendre du vin. «Il nous a souhaité comme chaque jour une bonne journée et s’est dirigé vers le parking», raconte au quotidien régional la patronne. «C’est là que les gendarmes l’ont interpellé.» Interrogés par la tenancière sur la gravité des faits reprochés, les militaires répondent: «Vous pouvez relouer sa chambre, vous n’êtes pas près de le revoir.»

«FOUTRE LA TROUILLE»

Entre Roland Bondonny et Alain Bodchon, tout a commencé par une histoire de vin. Le second n’aime pas le rouge? Qu’importe. Le truculent négociant va réussir, au début des années 1980, à lui vendre un tonneau de saint-émilion, signale Le Parisien. Alain Bodchon est un petit bûcheron au crâne dégarni devenu maçon. Par deux fois, il a monté son affaire de travaux publics. Mais à chaque fois, l’ancien boxeur amateur déposera le bilan. Le Nordiste est tellement désespéré qu’il tente de s’immoler par le feu en 2003. Les huissiers veulent vendre la maison familiale pour épurer ses dettes, environ 2 millions de francs. Après un accident d’ascenseur, il s’est finalement reconverti dans la gestion d’un bar.

Alain Bodchon, un peu trop porté sur la bouteille, serait un brave type serviable, dit son entourage. Il est «taquin et rigolo», détaillent des proches dans La Voix du Nord. «On sait bien que c’était un peu un magouilleur», nuance une habitante au quotidien régional. «Il avait toujours quelque chose de différent à vendre: un jour c’était de la paille, le lendemain des pommes de terre… Mais bon, que des choses sans gravité. Personne n’en avait peur.»

Voilà qu’il recroise Roland Bondonny, cet homme qu’il est fier de côtoyer. À table, le négociant en vins de la Corrèze rumine. On lui en veut, en témoignent ces vaches décédées et ces pieds de vignes coupés. Et si son ami pouvait «foutre la trouille» à ses ennemis?, demande-t-il à Alain Bodchon. Puis, un soir, il lui demande s’il serait capable de tuer quelqu’un. Avant de lui remettre, un peu plus tard, un pistolet et ses balles. Roland Bondonny a toujours contesté, par la suite, avoir commandité l’assassinat de Marius Lac. Mais les déclarations d’Alain Bodchon sont implacables et circonstanciées. «J’ai compris qu’il voulait tuer quelqu’un», résume-t-il à la barre, lors de son procès d’assises, cité par Le Parisien.

Un contrat où la méchanceté brutale voisine avec la bêtise. Par exemple, Alain Bodchon n’a jamais vraiment su combien il serait payé pour cet assassinat. La somme de 50.000 francs avait été évoquée, sans qu’elle ne soit vraiment précisée ou versée. Et il a fait le déplacement en Corrèze au volant de son Alfa Roméo rouge immatriculée dans l’Aisne, une voiture peu discrète.

En chemin, Alain Bodchon se déleste de son arme. Il fait davantage confiance à ses mains nues. Il trouve un prétexte, une fois sur place, pour faire revenir Marius Lac près de sa voiture. Selon ses déclarations devant la cour, Alain Bodchon voulait d’abord lui faire peur, quitte à lui donner «une volée s’il ne comprenait pas». Après avoir été frappé à la tête à coups de poing, l’ancien gendarme est achevé à terre avec un merlin, cet outil servant à fendre le bois. La violence des coups trahit la détermination du tueur. «La boîte crânienne a complètement éclaté dans sa partie postéro-supérieure, telle une coquille d’œuf frappée contre un plan dur», résume crûment le rapport d’autopsie.

Comme par hasard, le soir de l’assassinat, Roland Bondonny vient signaler un vol au commissariat de Fourmies. «Un alibi parfait, qui met la puce à l’oreille des gendarmes», écrivent Francette Vigneron et Franck Meynial. L’enquête judiciaire est rapide. Le négociant en vins est placé sur écoute. Au téléphone, les gendarmes l’entendent convenir d’un mystérieux rendez-vous avec un certain Alain. Le lendemain, les deux hommes se reparlent, mais depuis deux cabines téléphoniques. Leurs échanges sur téléphone portable se sont étonnamment arrêtés le 24 août.

Par terre, chez Marius Lac, les enquêteurs découvrent un papier avec des noms de villes. C’est un itinéraire. Des habitants du coin se souviennent d’une voiture rouge immatriculée dans l’Aisne. Son conducteur voulait savoir où habitait Marius Lac. D’autres se rappellent avoir aperçu un drôle d’énergumène en VTT. Alors qu’il fait encore bien chaud, il pédale vêtu d’un gros pull avec un truc sur la tête – en fait, un passe-montagne. Enfin, au péage de l’autoroute, l’employée signale, le soir des faits, le passage d’un homme sinistre qui avait du sang sur ses grosses mains velues. «C’était plus que des taches», frissonne-t-elle devant les gendarmes. Le sang est visiblement sec. Mais il y en a partout, même sur le visage.

Grâce à Anacrim, les gendarmes font enfin le lien entre l’Alfa Roméo et Roland Bondonny. L’un de ses amis a bien une telle voiture. Mais cela fait un an, sans avoir pris le temps de changer la carte grise, qu’il la prête à Alain Bodchon, dont le portrait-robot correspond à la description de l’employée du péage. Dernier élément à charge: le téléphone d’Alain Bodchon l’a bien signalé en Corrèze le jour des faits.

Roland Bondonny et son avocat. Ce premier procès n’est malheureusement pas la fin de l’histoire. (Illustration: Diamatita / L'Essor)

Roland Bondonny et son avocat. Ce premier procès n’est malheureusement pas la fin de l’histoire. (Illustration: Diamatita / L’Essor)

LE SUICIDE DE ROLAND BONDONNY

L’épilogue judiciaire de l’assassinat de Marius Lac ne fait guère de doutes. En mai 2007, Alain Bodchon est condamné à 22 ans de réclusion criminelle. En octobre 2015, après onze années incompressibles en détention, le Nordiste retrouve finalement la liberté. Une libération conditionnelle qui avait ému les filles de l’ancien gendarme Marius Lac. «Ceci n’est pas acceptable», dénoncent-elles dans une pétition. «Nous ne pouvons tolérer cela d’un meurtre avec préméditation pour une poignée de billets», rappelaient-elles. D’autant plus qu’Alain Bodchon était seul sur le banc des accusés. Car, deux ans plus tôt, Roland Bondonny s’est suicidé.

C’était le 2 février 2005, le jour de son procès en appel pour la première affaire d’empoisonnements de chiens. La veille au soir, le négociant en vins âgé de 72 ans, malade d’un cancer, s’est pendu dans sa cellule. Pas particulièrement surveillé, il s’est donné la mort avec une ceinture, «discrètement, pendant que son collègue dormait», confie un gardien de prison à Libération. Le négociant en vins a toutefois pris garde d’envoyer au préalable à son avocat une lettre l’invitant à poursuivre le combat pour sa réhabilitation. «Je suis victime de personnages de la justice qui ont besoin de résultats professionnels et qui emploient une technique de harcèlement dégradante», écrit-il. Avant de conclure pompeusement: «Nous cherchons la vérité et nous ne trouvons qu’incertitude. Le doute est le plus grand tourment que l’homme puisse endurer.»

Sa mort signe la fin de l’action publique dans le dossier des chiens empoisonnés. «Il a encore voulu démontrer que c’est lui, le seigneur, et qu’il est au-dessus de la justice des hommes», se désole Sylvie Pagégie, une habitante qui avait lancé son association, « Diane de la Godivelle », en référence à sa chienne intoxiquée, pour rassembler les victimes et faire bouger les choses.

Ce n’est toutefois pas encore la fin judiciaire de ce volet. Il reste en effet l’action civile, un point clé pour les héritiers de Roland Bondonny qui pourraient être redevables des dommages et intérêts. En septembre 2006, les juges statuent à nouveau sur l’affaire. Dans ce procès orphelin, la justice rend une décision contestée. Les magistrats rappellent ainsi que Roland Bondonny attribuait la présence de carbofuran à sa chienne, et qu’il a toujours nié avoir acheté ce produit. Ils estiment aussi que, faute de confrontation avec le commerçant du Nord qui a affirmé, plus tard, lui avoir vendu l’insecticide, le jugement doit être réformé.

«Une franche réhabilitation» pour Roland Bondonny, salue alors son avocat Michel Labrousse. On peine toutefois à suivre son raisonnement. Dans leur livre, Francette Vigneron et Franck Meynial rapportent d’ailleurs cette remarque dévastatrice attribuée au fils de Roland Bondonny: «Mais bien sûr que c’est lui», aurait-il répondu, à propos des empoisonnements, à un chasseur. Ce dernier, proche de son père, s’est d’ailleurs retrouvé dans le viseur des gendarmes. Les militaires étaient en effet convaincus que Roland Bondonny n’avait pas pu empoisonner autant de chiens tout seul. Or, l’ami du négociant en vie n’achetait-il pas de la viande de porc par dizaine de kilos, soi-disant pour préparer des pâtés de chevreuil ou de cerf? Mais cette enquête n’aboutira pas. Le juge d’instruction rendra finalement une ordonnance de non-lieu, le 2 août 2007. Depuis, il n’y a pas eu de nouveau cas d’empoisonnement de chiens autour d’Egletons.

Par Gabriel Thierry – Dessins Diamatita

Ce récit a été publié dans le numéro 592 de votre magazine L’Essor de la Gendarmerie, paru en août 2024. Découvrir le sommaire de L’Essor de la Gendarmerie – n°592

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