Éditorial – Nouvelle-Calédonie : un air d’Algérie, 70 ans après…

Photo : Des gendarmes en exercice de maintien de l'ordre en Nouvelle-Calédonie, en octobre 2023. (Photo: Gendarmerie de Nouvelle-Calédonie)

25 juillet 2024 | Editos

Temps de lecture : 4 minutes

Éditorial – Nouvelle-Calédonie : un air d’Algérie, 70 ans après…

par | Editos

De 1954 à 1962 j’ai suivi jour après jour « les évènements d’Algérie ». J’avais 10 ans en 1954, et j’écoutais les infos à la radio ; 14 ans en 1958, et lisais le journal Le Monde que mon père achetait tous les jours ; et 18 ans en 1962, j’étais en terminale au Lycée Carnot à Paris. L’été précédent, j’avais parcouru l’est de l’Algérie et le Sahara, jusqu’à Tamanrasset, au titre d’une bourse de la Fondation Zellidja.

Aujourd’hui, j’essaye de suivre au jour le jour la situation des « évènements de Nouvelle-Calédonie ».

Alger était à 750 kilomètres de Marseille. Nouméa est à 17.500 kilomètres de Paris. Beaucoup d’autres éléments distinguent ces deux situations :

  • La taille du territoire ;
  • Sa population (270 000 habitants), très diversifiée, principalement kanak et européenne, soit calédonienne (« caldoche »), soit venue de métropole, tandis que les métis et les autres habitants d’origine Pacifique représentent quelque 20% du total ;
  • La culture des populations autochtones : depuis longtemps converties au christianisme, catholique ou protestant, pour les kanaks ;
  • Son statut, celui d’une large autonomie, pour la NC, avec trois provinces à vaste champ de compétence, ayant elles-mêmes, chacune, le statut de collectivités territoriales françaises.

3 500 gendarmes envoyés de métropole en Nouvelle-Calédonie

Comme en Algérie, une évolution vers l’autonomie, voire l’indépendance, était à l’œuvre depuis 1988 (accords de Matignon). Trois référendums successifs ont néanmoins rejeté l’accession du territoire à la pleine souveraineté.

On connait le point de départ des désordres récents : la Nouvelle-Calédonie est en proie à des violences depuis le 13 mai 2024, lorsque la mobilisation des indépendantistes contre une réforme du corps électoral a dégénéré en émeutes, faisant 10 morts – dont deux gendarmes – et plus de 2,2 milliards d’euros de dégâts. Plus de 2 000 personnes ont été interpellées.

Mais, depuis lors, au plan sécuritaire, malgré la présence envoyée de métropole de quelque 3 500 gendarmes (dont 32 unités de forces mobiles) et policiers, la situation n’est toujours pas maitrisée : les barrages se reconstituent au fur et à mesure qu’ils sont détruits. La population exposée reste barricadée. La peur s’est installée…

Le transfèrement de sept indépendantistes en métropole ravive les tensions en Nouvelle-Calédonie

Les symboles religieux devenus des cibles

Le plus grave est ailleurs : des faits caractéristiques d’une volonté d’une partie des kanaks d’engager un processus de « libération », de « terre brulée », de rupture avec l’Etat français, se succèdent depuis le début de ce mois de juillet, depuis le deuxième tour des élections législatives du 7 juillet 2024, où, dans les deux circonscriptions, le total des voix était à l’avantage des « régionalistes » (qui ont fait élire l’indépendantiste Emmanuel Tjibaou, 48 ans, fils de Jean-Marie Tjibaou) : les finalistes indépendantistes dans les deux circonscriptions ont obtenu au total 10 000 voix de plus que leurs adversaires loyalistes, sur quelque 220 000 inscrits.

  • Dans la nuit de jeudi 18 juillet à vendredi, l’église de Vao, sur l’île des Pins, au sud de la Grande Terre, a été en partie incendiée. Mardi 16 juillet, c’est l’église de la mission de Saint-Louis, berceau du catholicisme dans l’archipel, qui avait été entièrement détruite par les flammes. Les symboles religieux sont devenus des cibles…
  • A Thio-Mission, la maison du prêtre située à proximité de l’église Saint-François-de-Sales a totalement brûlé, dans la nuit du 19 au 20 juillet.
  • Dimanche 21 juillet, le mausolée abritant les restes du grand chef kanak Ataï, figure anti-colonialiste du XIXe siècle, a été vandalisé. Les crânes du grand chef et de son sorcier ont également été dérobés et une plaque du site mémoriel rendant hommage aux colons morts pendant la révolte a été détériorée.
    (Le grand chef Ataï, devenu au fil du temps le symbole de la résistance à la colonisation, avait été décapité au cours de la révolte kanak de 1878, provoquée par la pression foncière exercée par les Européens. Sa tête avait par la suite été expédiée en métropole, où elle a longtemps été déclarée perdue avant d’être retrouvée en 2011 puis restituée en 2014 à la Nouvelle-Calédonie. Elle avait été ré-inhumée le 1er septembre 2021 à La Foa, 143 ans jour pour jour après sa décapitation, à l’occasion d’une grande cérémonie incluant populations kanak et descendants d’Européens).
    La signification de ce crime mémoriel est double : rupture des jeunes révolutionnaires avec le pouvoir des anciens et de leur référence aux anciens chefs ; renversement des traditions kanaks…
  • « Ces agissements sapent tous ces liens que nous avons durement tissés et construits dans la douleur, depuis des décennies, pour parvenir à bâtir un avenir en commun« , a regretté dans un communiqué Louis Mapou, le président indépendantiste du gouvernement local. Dont acte…

Les kanaks en révolte

Comme en Algérie, il y a 70 ans, les kanaks en révolte – au-delà même du CCAT, Cellule de coordination des actions de terrain, qui a débordé, apparemment le FLNKS (lequel agissait en 1988 au travers des « Comités de lutte »…), « le but recherché désormais, selon notre confrère Conflits, est le départ progressif des Calédoniens d’origine européenne, à commencer par ceux dont les racines sur l’île sont récentes (les « z’oreilles », par opposition aux Caldoches, de bien plus vieille souche, qui ont souvent des ascendances mêlées). Un tel exode donnerait aux indépendantistes ce que les trois référendums leur avaient dénié : une majorité, à moyen terme, dans les urnes »…
Déja, les vides-greniers de gens qui quittent l’archipel se multiplient…

La misère s’étend : au marché de Nouméa, de nouveaux visages font la manche, toutes ethnies confondues…

« Le statu quo ou l’escalade »

Ancien ministre de la Justice sous François Hollande et auteur d’un rapport d’information sur la Nouvelle-Calédonie en 2013, Jean-Jacques Urvoas vient de déclarer sur France-TV info : « Nous avons deux hypothèses devant nous : le statu quo, puisque l’on voit que les barrages se défont et se refont aussi vite, que les incendies et les dégradations continuent. L’autre scénario n’est pas beaucoup plus optimiste : c’est l’escalade. Indépendamment de la présence massive de forces de l’ordre, on pourrait avoir un incident supplémentaire qui embrase un peu plus la situation et l’étende à l’archipel. Donc oui, c’est le chaos et l’État n’est pas à la hauteur de ses responsabilités puisque son principal devoir est de garantir l’ordre public ».

Les élections pour le Congrès et les assemblées de province, qui devaient se tenir en mai dernier, ont été officiellement reportées à décembre 2024, le temps de faire passer une loi sur la modification du corps électoral, qui est précisément celle qui a mis le feu au poudre au mois de mai.
Pourront-elles avoir lieu ? Sur la base des listes électorales anciennes ? Et si oui, quels résultats en attendre ?

Résumons. Sur le terrain, c’est chaos et destructions. Comme en Algérie en 1954. Au plan politique, c’est incertitude et statu quo provisoire. Comme en métropole ! Ajoutons, pour clore cette revue, que tous les indépendantistes de nos territoires ultra marins observent avec gourmandise ces « évènements » de Nouvelle-Calédonie. Tandis qu’à l’ONU, on garde à l’esprit que la Nouvelle-Calédonie a été réinscrite en 1986 sur la liste des territoires non autonomes et à décoloniser…
AD

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