Au lendemain du défilé militaire du 14 Juillet, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rendu un arrêt sur le temps de travail des militaires, très attendu à Paris. L’enjeu était de taille, puisqu’il s’agissait de savoir si la directive européenne encadrant le temps de travail s’appliquait aux militaires, et si leur temps de garde devait être comptabilisé.
La France s’est beaucoup investie contre une telle application, estimant qu’elle remettrait tout simplement en cause son modèle d’armée. La CJUE s’est montrée plus nuancée dans sa décision, en considérant que les limites de temps de travail ne s’appliquent aux militaires qu’en fonction de la mission exercée. Elle a ainsi suivi les conclusions de l’avocat général.
La Cour, qui siégeait en grande chambre, a suivi ce raisonnement. Les quinze juges ont ainsi listé quatre situations dans lesquelles les limites de temps de travail ne pouvaient s’appliquer aux militaires (lire p.19).
En arbitrant entre « ce qui relève de la structure même d’un Etat, c’est-à-dire la sauvegarde de la sécurité nationale », et « la liberté fondamentale de chaque travailleur d’avoir un minimum de santé et de sécurité », la CJUE a rendu un arrêt « très équilibré et pédagogique », estime Me Aïda Moumni, avocate spécialiste du droit des militaires. D’autant que le risque est minime pour la France, estime-t-elle. « On ne connaît pas de militaires qui fassent des heures invraisemblables en temps de paix, même si leur temps de travail n’est pas encadré. Il s’agit plus d’une crainte d’être encadré. »
Une crainte exprimée par le député européen (Renew Europe) Christophe Grubler, opposé à une application de la directive sur le temps de travail aux militaires : « Il faut que l’on expertise cet arrêt pour voir si on garde notre principe de libre disposition de la force armée. » Selon lui, cette décision renvoie à la nécessité d’une réforme du droit européen avec « une directive sur les forces armées, pour avoir une vision plus cohérente ».
Sur le temps de travail, « les questions de sécurité nationale sont une compétence exclusive des Etats », estime le député européen Christophe Grudler
Sans surprise, le son de cloche est différent au sein de l’association professionnelle de gendarmes Gend XXI. C’est elle qui avait alerté la Direction générale sur la non-conformité des textes de la Gendarmerie avec le droit européen. Face à la menace d’un recours judiciaire, une instruction provisoire, la « 36132 », toujours en vigueur, avait alors été adoptée en 2016.
Selon le vice-président de Gend XXI, David Ramos, cet arrêt n’est pas une surprise car il confirme la jurisprudence de la CJUE. « Aujourd’hui, on ne peut que réitérer notre appel à poursuivre les réformes, notamment autour de l’astreinte, pour tendre vers les préconisations de la CJUE, explique l’adjudant-chef. Pour nous, il ne manque pas grand-chose pour qu’on soit dans les clous. » l
Les gendarmes reviennent de loin
Encadré
Une exception trop floue
Les réactions politiques à l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (lire p. 20), jugé trop contraignant, ont été très virulentes.
Certains ont pourtant une lecture diamétralement opposée, à l’instar de Jacques Bessy. Le président de l’association Adefdromil émet en effet « des réserves sur la dernière exception de non-application de la directive » (lire ci-dessous). La formulation « au détriment du bon accomplissement des opérations militaires » laisse, selon lui, « beaucoup de latitude à un Etat membre ». « Qui va apprécier cette condition », s’interroge-t-il, estimant que « la formulation ouvre la porte à des litiges en cas d’utilisation abusive de cette clause ».
Plus largement, Jacques Bessy assure que la hiérarchie doit produire « un effort intellectuel et manifester une volonté réelle de concertation pour s’adapter » ; elle doit aussi éviter « toute confrontation dogmatique », qui serait « dérisoire ».
Les situations dans lesquelles la directive ne s’applique pas
Dans son arrêt, la Cour de justice de l’Union européenne a listé quatre situations dans lesquelles les limites de temps de travail ne pouvaient s’appliquer aux militaires.
Il s’agit d’abord de « la formation initiale, d’un entraînement opérationnel ou d’une opération militaire proprement dite ».
Ensuite, lorsque l’activité est « à ce point particulière qu’elle ne se prête pas à un système de rotation des effectifs permettant d’assurer le respect des exigences de ladite directive ».
Par ailleurs, la CJUE exclut de limiter le temps de travail des militaires en cas « d’événements exceptionnels, dont la gravité et l’ampleur nécessitent l’adoption de mesures indispensables à la protection de la vie, de la santé ainsi que de la sécurité de la collectivité ».
Enfin, le dernier cas concerne celui dans lequel l’application de la directive impose aux autorités « de mettre en place un système de rotation ou de planification du temps de travail » qui « ne pourrait se faire qu’au détriment du bon accomplissement des opérations militaires ».