Sur le temps de travail, les gendarmes reviennent de loin. Longtemps, en effet, celui-ci n’a été défini que par les repos auxquels les militaires avaient droit : 24 heures par semaine et 45 jours de permission par an. C’est grâce à cette disponibilité hors norme que le fameux maillage de la Gendarmerie a pu exister.
Mais l’évolution de la société a modifié le rapport de la Gendarmerie à la population.
Comme le rappelait l’ancien officier de Gendarmerie et président de l’association Adefdromil Jacques Bessy, dans un texte publié en 2007, les mouvements de population après-guerre ont tout changé.
« A la fin de la Seconde Guerre mondiale, près de 50 % de la population française habitent encore à la campagne, territoire de la Gendarmerie, tandis que la Police règne dans les agglomérations. Mais l’évolution lente de la société française va s’accélérer considérablement à partir des années cinquante. C’est le début de la période de développement économique appelée “les Trente glorieuses”, et l’exode rural va battre son plein. On se met à habiter dans des HLM construites dans les villes ou leurs banlieues, pour travailler dans des usines qui produisent les biens d’équipement dont les familles ont besoin.
A partir des années 70, on assiste à un mouvement inverse : les citadins achètent des résidences secondaires et les habitants des zones rurales n’hésitent plus à aller travailler loin de chez eux. Le gendarme se déconnecte alors insensiblement de la population présente dans sa circonscription. »
Le statu quo règne jusque dans les années 80. L’Arme ne peut alors s’abstraire de l’évolution de la société. « Alors que les fonctionnaires civils ne travaillent plus le samedi depuis la fin des années 60, le repos hebdomadaire des gendarmes passe généreusement de 24 à 36 heures au début des années 70. Juste avant l’arrivée de la gauche au pouvoir, en 1981, ils se voient gratifier de 48 heures de repos », explique Jacques Bessy.
En dix ans, la disponibilité des gendarmes a diminué de 15 %, une baisse compensée par des recrutements.
Arrive alors une autre évolution sociétale : la possibilité pour les femmes d’intégrer la Gendarmerie. Selon Jacques Bessy, les « congés de maternité et les absences dues à l’éducation et à l’entretien des enfants des femmes gendarmes » entraînent « la perte mathématique de la capacité opérationnelle des brigades à l’effectif de six militaires pendant plusieurs mois de l’année ». Avec une moyenne annuelle de personnels disponibles qui tombe en dessous de trois militaires.
Cette perte de disponibilité est compensée par les gendarmes auxiliaires, jeunes conscrits et ancêtres des gendarmes adjoints volontaires.
L’Europe reconnaît des limites au temps de travail des militaires
L’instauration des quartiers libres
C’est lors de la grogne de 1989 qu’interviendra la grande nouveauté pour le temps de travail des gendarmes : l’instauration des quartiers libres, une position intermédiaire entre le repos ou la permission et le service. Pendant 10 demi-journées ou soirées, ils ne « doivent pas, en principe, être appelés au service, et peuvent, au contraire, quitter librement – et sans condition de rappel – leur logement de fonction ».
Dès lors, comme le rappelle le sociologue François Dieu dans Où va la Gendarmerie (L’Harmattan, 2020), « les dispositions réglementaires tendent à une limitation du temps de travail et des périodes d’astreinte, en substituant à l’idée de ”disponibilité du gendarme” celle de ”disponibilité de la Gendarmerie” (grâce, notamment, à une gestion des appels et des interventions nocturnes au niveau départemental, et à la mise en œuvre de mutualisations au niveau des brigades) ».
Pas d’évolution sur le temps de travail après 2001
Pour autant, la grogne de 2001 – qui a vu, de manière inédite et spectaculaire, les gendarmes battre le pavé en uniforme – n’a pas été l’occasion d’évolutions du temps de travail. Amélioration des soldes, recrutement et achats de matériels ont certes été au rendez-vous, mais alors que la France passait aux 35 heures, les gendarmes n’ont rien obtenu. « On a peut-être loupé le coche »,reconnaît aujourd’hui Frédéric Le Louette, le président de l’association de gendarmes Gend XXI.
La grande évolution suivante interviendra en 2016, poussée par son association. Tout juste créée par la loi créant les Associations professionnelles nationales de militaires (APNM), Gend XXI signale à la Direction que le texte de la Gendarmerie sur le temps de travail (« La 1 000 ») contrevient à la directive européenne de 2003 sur le temps de travail, que la France tarde à transposer dans son droit national. Confrontée à une fin de non-recevoir, l’association dépose un recours devant le Conseil européen, explique David Ramos, le vice-président de Gend XXI. La procédure sera classée suite à l’adoption par l’Institution d’une instruction temporaire, la « 36132 », toujours en vigueur. Elle permet aux gendarmes de disposer d’une période minimale de repos quotidien de 11 heures pour chaque période de 24 heures, avec un temps de travail hebdomadaire limité à 48 heures.
L’accès à une certaine normalité
« Cette intégration du droit européen dans les conditions d’emploi des militaires de la Gendarmerie a eu pour effet d’amplifier un mouvement d’ensemble de réduction des astreintes et de la disponibilité, qui tend, en dépit des discours formulés en ce domaine, à situer le temps moyen de travail des gendarmes à hauteur de 35 à 40 heures par semaine », note François Dieu. Etant donné que le gendarme conserve « un volume de congés nettement supérieur au droit commun (soit 9 semaines de permission par an, alors que ce volume se situe à hauteur de 5 semaines pour la plupart des salariés, et d’au moins 4 semaines dans la directive européenne sur le temps de travail), [il] est entré, en matière de temps de travail, dans une certaine normalité (il ne bénéficie cependant pas d’un régime d’heures supplémentaires) ».
Malgré cette normalité, la Gendarmerie, ajoute le spécialiste, conserve « une certaine adaptabilité et [une] capacité de montée en puissance et de durée dans l’engagement en fonction des circonstances ».