Sept ans après les faits, le tribunal administratif de Toulouse a reconnu, jeudi 25 novembre, "la responsabilité sans faute" de l’Etat pour le décès du militant écologiste Rémi Fraisse, mortellement blessé lors d’une manifestation contre le projet de retenue d'eau de Sivens (Tarn) par une grenade offensive OF-F1 lancée par un gendarme mobile.
Les juges administratifs ont attribué au total 46.400 euros à la famille du militant écologiste décédé à 21 ans. Ils ont en effet admis la responsabilité sans faute de l’État "sur le fondement de l’article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure". Celui-ci prévoit que l'État "est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens".
L'Etat partiellement exonéré en raison de l'"imprudence fautive" de Rémi Fraisse
Ces dispositions "visent non seulement les dommages causés directement par les auteurs de ces crimes ou délits, mais encore ceux que peuvent entraîner les mesures prises par l’autorité publique pour le rétablissement de l’ordre", précise le tribunal administratif dans un communiqué. Le préjudice moral a donc justifié le versement d’une somme de 58.000 euros (18.000 euros pour chacun des parents, 12.000 euros pour sa soeur et 5.000 euros pour chacune de ses grands-mères). Néanmoins, l’Etat a été partiellement exonéré de de sa responsabilité à hauteur de 20% "eu égard à l’imprudence fautive" de Rémi Fraisse. Les sommes ont donc été respectivement ramenées à 14.400 euros, 9.600 euros et 4.000 euros.
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Les requérants estimaient que "la grenade offensive de type OF-F1 ayant entrainé le décès de Rémi Fraisse doit être considérée comme une arme comportant des risques exceptionnels pour les personnes". Le tribunal a rappelé que pour que la responsabilité de la puissance publique soit engagée de ce fait, il faut que les victimes soient "étrang(ères) aux opérations de police qui les ont causés". Or, Rémi Fraisse, "une fois arrivé sur les lieux, alors qu’il était directement témoin des violences qui se déroulaient (…) s’est mis à courir en direction des unités de gendarmerie pour se retrouver près de la ligne de défense à proximité immédiate des affrontements, au lieu de rester en retrait parmi les manifestants pacifistes". Il ne saurait donc être "considéré comme un tiers à l’opération de maintien de l’ordre à l’occasion de laquelle il a trouvé la mort", écrivent les juges administratifs.
La famille de Rémi Fraisse faisait également valoir que la responsabilité de l’Etat devait être engagée "à raison des fautes simples commises par le gendarme ayant lancé la grenade offensive". Selon eux, le militaire avait lancé la grenade OF-F1 "à l’aveugle par-dessus le grillage alors que la scène était plongée dans le noir", sans "aucune précaution particulière" pour sécuriser ce lancer. Ils soutenaient également que le lancer "en cloche et à l’aveugle" violait "le cadre légal préexistant".
Les juges toulousains ont refusé ces arguments en rappelant d’abord que les gendarmes avaient fait "un usage successif des différents types d’armes" à leur disposition (grenades lacrymogènes à la main, puis à l’aide du lanceur cougar, grenades mixtes de type F4, balles de défense et, enfin, grenades offensives). "Le passage de l’une à l’autre de ces armes se justifiait par l’inefficacité de la précédente et était précédé des sommations d’usages, lesquelles étaient au demeurant surabondantes", écrivent les juges.
Non-lieu dans l’affaire Rémi Fraisse : les motivations des juges
Par ailleurs, le maréchal des logis-chef de l’escadron de Pamiers auteur du lancer de grenade a décidé de mettre un terme, dans un "contexte de violence", à l’avancée "d’un groupe d’opposants virulents", "en effectuant, conformément aux ordres reçus, un tir de barrage par le lancer d’une grenade offensive de type OF F1". Les juges rappellent qu’il a "observé la zone au moyen de jumelles dotées d’un intensificateur de lumière, puis a regagné sa position initiale avant d’effectuer les avertissements d’usage et de jeter la grenade à la main et en cloche, compte tenu de la présence du grillage, dans un lieu situé à proximité des manifestants mais que son repérage lui avait permis d’identifier comme étant censé être dépourvu de toute présence humaine".
Il ainsi "respecté l’ensemble des consignes d’usage de la grenade litigieuse" prévues par une circulaire du 22 juillet 2011., estiment les juges qui précisent que, "contrairement à ce que soutiennent les requérants, cette circulaire, applicable au moment des faits, ne proscrit pas le tir en cloche des grenades OF-F1".
"Une dénégation criante de la réalité" pour la famille
Dans un communiqué publié par leur avocate sur Twitter, la famille de Rémi Fraisse a estimé que cette condamnation était "une victoire importante" qui cachait cependant "une dénégation criante de la réalité". Elle s’insurge notamment du fait que le tribunal ait retenu l’"imprudence fautive" de Rémi Fraisse pour exonérer l’Etat d’une partie de sa responsabilité. Selon elle, ce raisonnement est "inacceptable et particulièrement indécent"
Au plan pénal de l’affaire le gendarme auteur du lancer de la grenade avait déjà été mis hors de cause. Après la plainte du père de Rémi Fraisse en janvier 2017 pour homicide volontaire et violences ayant entrainé la mort sans intention de la donner, la juridiction d’instruction militaire près la cour d’appel de Toulouse a en effet rendu une ordonnance de non-lieu le 8 janvier 2018, confirmé le 9 janvier 2020 par la chambre d’instruction de la cour d’appel. Après le rejet de leur pourvoi en cassation le 23 mars 2021 les proches du jeune homme ont introduit une requête devant la Cour européenne des droits de l’Homme le 26 avril.
La CEDH transmet ce jour la requête à l'Etat français, considérant qu'il s'agit d'une "affaire à impact" et choisi donc un processus de traitement rapide de l'affaire #RemiFraisse https://t.co/xqBAJ1H5Id pic.twitter.com/yk9YpvaBeD
— Claire Dujardin (@DujardinClaire) September 21, 2021
Leur avocate a publié le 21 septembre 2021 le courrier de la CEDH qualifiant leur requête d’"affaire à impact", une classification correspondant aux "cas les plus importants, les plus graves et les plus urgents". Elle devrait donc bénéficier d’un traitement accéléré.
Matthieu Guyot.