"J’aime beaucoup les enquêtes de victimation et les experts médiatiques, mais je préfère le bon sens du boucher-charcutier de Tourcoing." Avec cette phrase lâchée en 2021 dans une interview à L’Express, Gérald Darmanin assumait pleinement son entrée dans l’ère de la post-vérité. Ce terme est défini comme "relatif aux circonstances dans lesquelles les faits objectifs ont moins d’influence sur la formation de l’opinion que l’appel aux émotions et aux croyances personnelles".
La post-vérité a été popularisée en 2016 par l’usage répété de fausses informations lors des campagnes pour le Brexit, et l’élection américaine qui vit la victoire de Donald Trump.
"Et si on arrêtait de parler des chiffres…"
En assumant d’accorder davantage de crédit au ressenti qu’aux études, Gérald Darmanin n’a pas commis un faux pas : cette citation s‘inscrit dans une interview écrite, qui ainsi signe une lente dérive du débat public. Une séquence médiatique l’illustre aisément. Fin août 2020, l’animateur de Cnews, Julien Pasquet, ferraillait avec le porte-parole Jeunesse de la France insoumise, David Guiraud, dans le cadre d’un débat sur "l’ensauvagement".
« Depuis vingt ans, la violence et les délits dans notre pays ont baissé. En revanche, sur les deux dernières années, il y a une augmentation des délits et des agressions, ce sont des chiffres du ministère de l’Intérieur et, pour le coup, je sais que j’ai raison », expliquait le journaliste. "Précisément, sur les chiffres du ministère de l’Intérieur de 2019, on parle d’une hausse de la violence…", commence à lui répondre David Guiraud. Julien Pasquet l’interrompt alors : "Et si on arrêtait de parler des chiffres, et qu’on s’attachait au ressenti des Français ? […] On s’en fiche, des chiffres. Il y a un sentiment dans le pays…"
Il n’est pas le seul à prôner cette prise en compte d’un sentiment d’insécurité sur des plateaux télés, où des messages anxiogènes sont martelés au quotidien. Ce sentiment est pourtant mesuré dans l’enquête Cadre de vie et sécurité (CVS), dite de "victimation", conduite chaque année depuis 2007. Depuis cette date, les variations de trois indicateurs du sentiment d’insécurité sont faibles, que les personnes évoquent un ressenti "dans leur quartier ou leur village" (entre 10 % et 12 %), à leur domicile (entre 7 % et 9 %), ou qu’elles renoncent à sortir à cause de lui.