Le fait d'être porteur du virus de l'immunodéficience humaine (VIH) pourrait bientôt ne plus être synonyme d'inaptitude médicale chez les gendarmes, à l'instar des policiers, pour qui l'évaluation de l'aptitude vient d'être modifiée en décembre 2022, suite à un recours juridique d'associations jugeant le système précédent discriminatoire.
Ce combat lancé de longue date vient de vivre une victoire importante après le recours, devant le Conseil d’Etat, de plusieurs associations luttant contre l’homophobie, la transphobie et la sérophobie. Après avoir contesté les arguments des associations sur le fond, le ministère de l’Intérieur a finalement changé de position, et a tout simplement abrogé le texte à l’origine de la discrimination dénoncée en publiant plusieurs arrêtés au Journal officiel, début décembre 2022.
"Notre position et celle du Défenseur des droits est que lorsque l’on embauche, l’appréciation doit se faire au cas par cas, sur les capacités réelles de la personne vis à vis du travail attendu", indique à L'Essor Me Etienne Deshoulières, avocat au barreau de Paris, qui a porté ce recours au nom des associations. "On ne peut pas établir de catégorisation en fonction de l’état et d’éventuelles maladies comme le VIH, sinon, c’est discriminatoire."
Parmi les organisations à l’origine de ce recours, l’association FLAG! qui lutte notamment contre les discriminations à l'encontre des gays, lesbiennes et personnes transgenres au sein des ministères de l'Intérieur et de la Justice. Son président, Johan Cavirot, s’est réjouit de cette évolution. Dans un communiqué commun avec les autres associations engagées dans ce recours, il se réjouit que “le référentiel Sigycop, en total décalage avec les réalités scientifiques et médicales actuelles et qui empêchait jusqu’alors les personnes vivant avec le VIH d’intégrer la Police nationale, ne s’applique plus. Une avancée significative avant (sa) suppression totale”, complète-t-il.
D’autres pathologies concernées
Outre le VIH, objet initial de ce recours, d’autres pathologies pourraient également être concernées sur la base des mêmes arguments de lutte contre la discrimination. C’est par exemple le cas pour les personnes atteintes de diabète. On se souvient ainsi que dans son rapport de juillet 2021, la Défenseur des droits avait pointé du doigt la Gendarmerie à cause de son système de recrutement excluant d’office les personnes atteintes de certaines pathologies, sans prise en compte de l’aptitude réelle à exercer le métier de gendarme.
Cette procédure de recrutement "entraîne ipso facto l’inaptitude, sans que l’état réel de la personne, avec ses traitements, ne soit pris en compte”, regrettait le rapport. Celui-ci s’appuyait même sur le témoignage de professionnels de santé: “Certains médecins ont indiqué avoir été contraints de déclarer la personne inapte alors qu’ils ne la considéraient pas comme telle. Or, la jurisprudence administrative exige que l’appréciation soit portée de manière concrète, en tenant compte du traitement et de son effet.”
Ce que le rapport du Défenseur des droits dit de la Gendarmerie (2021)
Une autre piste pourrait être législative. En effet, peu de temps après ce rapport de la Défenseur des droits, une loi, datée du 6 décembre 2021, était promulguée après son adoption par les députés et sénateurs. Relative aux restrictions d'accès à certaines professions en raison de l'état de santé, elle devait justement entrer en vigueur, au plus tard, en décembre 2022.
Désormais, donc, toute mesure systématique et non individualisée visant à restreindre ou interdire l’accès d’une personne à un emploi ou une formation en raison de sa pathologie chronique est prohibée. Une loi qui ouvre de nouvelles perspectives aux personnes souffrant d'une maladie chronique ou de handicap, notamment grâce aux logiques de compensations médicales.
Gendarmes et militaires bientôt concernés ?
Reste que jusqu'à présent, selon Me Deshoulières, le Service de santé des Armées (SSA) –qui a toujours en charge l’évaluation de l’aptitude médicale des personnels militaires de la Gendarmerie– bottait en touche pour l’ensemble des militaires, en évoquant des problématiques logistiques et notamment la complexité d’amener sur le terrain les médicaments nécessaires au traitement de ces maladies, dans le cas présent, le VIH.
Une réponse qui laisse “perplexe” l’avocat “quant aux capacités des armées à soigner sur le terrain”. “Aujourd’hui, le traitement du VIH se fait soit par l’administration de cachets, dont l'efficacité est de 30 jours, ou bien par une injection, dont les effets perdurent pendant 3 mois. Or, si les armées sont capables de transporter des véhicules et armes lourdes, pourquoi pas une petite boite de cachets", s’interroge l’avocat. "On ne voit donc pas pourquoi ça ne serait pas possible, ajoute-t-il. D’autant plus pour les gendarmes, dont une grande partie reste sur le territoire. L’argument avancé ne tient donc pas !”
Le maintien de la position actuelle n’est plus médicalement justifiée
Ministère des Armées – Janvier 2023
Interrogé par L’Essor, le ministère des Armées, en lien avec le SSA, donne une perspective plus positive de la question. Un travail est en effet en cours depuis juin 2022, entre la Direction centrale du Service de santé des armées et l'association Aides. Il vise à "consolider la base de données scientifiques" et à "trouver des points de convergence pour faire évoluer le Sigycop". Le ministère précise d'ailleurs qu'une "nouvelle position médicale du SSA sera ensuite partagée avec les armées, une fois la position scientifique consolidée, car le maintien de la position actuelle n’est plus médicalement justifiée". Il ne s'agit pas pour l'heure de supprimer le référentiel Sigycop, mais de le faire évoluer, tout comme les barèmes d'aptitude, afin de prendre en compte les avancées scientifiques et médicales. D'ailleurs, le ministère conclu en indiquant que "la modification du Sigycop concernant les personnes séropositives pourrait être effective au cours du 1er semestre 2023". De bon augure alors que le recours des associations précédemment évoquées est toujours dans les tuyaux du Conseil d'Etat.
Un premier alignement à venir pour les pompiers
Le ministère de l’Intérieur n’a quant à lui pas répondu à nos demandes. Toutefois, selon des bruits de couloirs rapportés par l’avocat Etienne Deshoulières, un alignement sur la réglementation désormais appliquée aux policiers serait à venir pour les sapeurs-pompiers. Mais rien n’est pour le moment prévu du côté des gendarmes et plus largement des militaires. Un combat qui reste donc à mener pour le représentant d’associations LGBTQIA+ qui a saisi le Conseil d’Etat à ce sujet. Ce dernier n’a pour le moment pas encore fixé de date pour rendre sa décision, mais celle-ci pourrait arriver dans les prochains mois.
Diabète, handicap: l’évaluation de l’aptitude médicale des gendarmes connaît un assouplissement