Dans le hall d'entrée, un plexiglas liste les anciens patrons de l'Inspection générale de la Gendarmerie nationale (IGGN). Tous généraux de corps d'armée. Mais depuis le 1er août 2023, pour la première fois, un magistrat y a glissé son nom : le juge d'instruction réputé inflexible, Jean-Michel Gentil.
Le nouveau chef de l'IGGN, connu pour avoir mis en examen dans l'affaire Bettencourt l'ancien président Nicolas Sarkozy –qui a ensuite bénéficié d'un non-lieu–, explique vouloir "asseoir la légitimité" de l'institution, dans un entretien à l'AFP. Chargée de contrôler en interne l'action des gendarmes, l'IGGN est souvent critiquée pour son manque d'indépendance, à l'instar de l'IGPN, son homologue côté police.
La nomination de Jean-Michel Gentil à la place du général Alain Pidoux, parti à la retraite et dont il était le numéro 2 depuis septembre 2022, intervient un an après celle, également inédite, de la magistrate Agnès Thibault-Lecuivre aux commandes de l'Inspection générale de la Police nationale (IGPN).
"Le magistrat a une image d'indépendance, d'impartialité qui fait que, de temps en temps, dans certains organismes, même dans des entreprises privées, il y a une volonté de nous imposer pour donner un nouvel élan, une nouvelle expérience", observe M. Gentil, 63 ans. Néanmoins, il n'est pas là pour "donner des consignes" à ses nouvelles troupes, dont il loue la "très grande expérience" et se pose en défenseur.
"J'ai souvent travaillé avec l'IGPN et l'IGGN, toujours sur des dossiers délicats, comme de la corruption", rapporte le magistrat, 35 années d'instruction au compteur, dont la moitié en criminalité organisée. "À chaque fois, les enquêtes ont été faites de façon complète, en toute impartialité et indépendance", assure-t-il. Selon le magistrat, les procès en laxisme proviennent de "personnes mal informées". "Tous les ans, il y a des mutations d'office, des exclusions, des arrêts. La sanction, elle est là", argumente-t-il.
En 2022, 2.992 sanctions disciplinaires ont été prononcées, selon le dernier rapport de l'IGGN. "Dans la très grande majorité des cas, près de 98%, nos recommandations [de sanctions disciplinaires, ndlr], sont suivies", assure-t-il.
Un magistrat à la tête de l’IGGN à partir du mois de septembre
Prendre plus d'enquêtes
Sur les 783 enquêtes judiciaires internes ouvertes en gendarmerie en 2022, seules 54 ont été menées par l'IGGN, en charge des dossiers les plus sensibles et complexes. Au printemps, l'IGGN a notamment été saisie de plusieurs enquêtes sur les affrontements entre gendarmes et opposants aux "mégabassines" à Sainte-Soline, au cours desquels plusieurs personnes ont été grièvement blessées. Ses conclusions seront scrutées de près. Le gros des enquêtes est conduit par les brigades et sections de recherches (BR et SR) en province.
"Certaines SR ont aujourd'hui dans leur portefeuille 20% d'enquêtes judiciaires internes, c'est trop", souligne M. Gentil. Il souhaite que l'IGGN "prenne plus d'enquêtes", ce qui doit passer par un renforcement des effectifs, aujourd'hui limités à 120 personnes.
Concernant l'usage des armes, dont le cadre légal a été modifié pour les forces de sécurité intérieure en 2017, notamment en cas de refus d'obtempérer, le chef de l'IGGN rappelle qu'il "ne pose pas de difficultés en Gendarmerie, depuis très longtemps".
En 2022, trois personnes sont décédées à la suite de tirs de gendarmes sur un total de 12 victimes. Aucune n'est morte à la suite d'un refus d'obtempérer, contre 13 côté Police, où l'on fait souvent valoir une plus forte exposition à la délinquance. "Il y a des zones urbaines beaucoup plus violentes, c'est très clair. Mais cela ne change rien à la problématique de l'usage des armes qui obéit à un cadre juridique précis", rappelle M. Gentil.
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Pas de statut dérogatoire
Le magistrat refuse par ailleurs tout statut dérogatoire pour les forces de l'ordre accusées de violences. Cet été, le patron de la Police Frédéric Veaux estimait qu'un agent, "avant un éventuel procès, n'a pas sa place en prison", en pleine fronde policière après le placement en détention provisoire d'un policier de la Bac de Marseille. "La procédure pénale, elle est la même pour tout le monde. Pour les magistrats, les policiers, les gendarmes (…) Il n'y a pas un code pour X ou Y", commente M. Gentil.
Le magistrat estime aussi que l'idée d'une juridiction spécialisée pour juger les forces de l'ordre, lancée par le syndicat Unité SGP-Police, "n'a aucun sens". "On ne va pas faire des juridictions spécialisées pour tout un chacun. Les magistrats sont confrontés quotidiennement" à ce type de contentieux, souligne-t-il.
(Avec AFP)