La balle de 7,65 mm, tirée à bout portant par Radouane Lakdim le 23 mars 2018, sur un parking près de Carcassonne, reste fichée dans sa tête. Renato Gomes de Sousa, 31 ans, a perdu l'oeil gauche avec lequel il ne distingue plus que les couleurs. Il n'entend pas bien et a des maux de tête réguliers. Ce vendredi 26 janvier 2024, il se remémore, devant la cour d'assises spéciale de Paris, les 30 secondes où il a croisé le terroriste.
Avant de se loger dans sa tête, le projectile a traversé ses lunettes de soleil. Les médecins ont préféré de pas toucher à la balle et la laisser dans sa tête pour ne pas risquer le pire. Durant les vingt minutes de son témoignage, le trentenaire, arrivé en France en 2017 et aujourd'hui facteur à Narbonne, a bien conscience d'être "un miraculé". Mais il ne se plaindra jamais: "Il faut réussir à vivre avec ça", assure-t-il. Il confie qu'il fait sa tournée en voiture plutôt qu'en vélo car il se sent plus en sécurité dans son véhicule.
Il est 10H00. Il va être la première victime du premier attentat commis par Radouane Ladkim qui tuera au total quatre hommes entre Carcassonne et Trèbes. II s'est arrêté quelques instants pour fumer une cigarette dans le sous-bois du parking des Aigles, sur les hauteurs de Carcassonne, avec une vue "fantastique" sur la cité médiévale restaurée par Viollet-le-Duc. C'est un lieu connu pour abriter des rencontres homosexuelles. Radouane Lakdim, petit voyou de la cité Ozanam, qui hait les homosexuels, comme nombre de musulmans intégristes, lui demande ce qu'il fait là. "Je termine ma cigarette et je pars", lui répond Renato Gomes de Sousa. Quelques dizaines de secondes plus tard, s'approche Jean-Michel Mazières, un viticulteur de 62 ans: "C'est le moment où moi je prends une balle dans la tête", relate le jeune Portugais qui n'a pas vu l'arme que tient le terroriste dans sa main droite.
Il reprend connaissance un peu plus tard, découvre le corps de Jean-Michel Mazières, tué d'une balle à bout portant dans la tête, gisant quelques mètres plus loin. Renato Gomes de Sousa appelle alors sa mère pour lui demander de l'aide. Il se relève péniblement, fait quelques pas, chute, puis se relève. Il va ainsi mettre près de deux heures pour gravir les 40 mètres du sentier qui remonte vers le parking où il avait garé sa voiture, volée entretemps par Radouane Lakdim, et sera secouru par un automobiliste.
Le jeune homme se réveille à l'hôpital où les infirmières lui annonce que des policiers vont venir l'interroger. "Ensuite, grâce à un suivi psychologique, j'ai réussi à avancer et à avoir une nouvelle vie. Je suis resté quatre ans sans travailler. Aujourd'hui, je pense que tout va bien mais j'ai quand même envie régulièrement d'aller revoir ma psychologue", assure le trentenaire. "Venir à ce procès, c'est pour moi, une manière d'en terminer avec cette histoire", conclut-il.
Six balles tirées sur quatre CRS qui faisaient leur jogging
Dans sa course sanglante, Radouane Lakdim va ensuite croiser la route de quatre CRS qui font leur jogging près de la caserne de Carcassonne où est installée, pour une courte mission, une compagnie républicaine de sécurité basée à Marseille. Il va tirer six balles dans leur direction depuis la voiture qu'il conduit. La sixième balle de 7,65 mm touche Frédéric Poirot, 48 ans aujourd'hui et près de 20 ans dans la Police en 2018. Aujourd'hui, ce père de trois enfants, ne souhaite pas – pour des raisons de sécurité – révéler sa nouvelle affectation.
"Depuis le trottoir près de la caserne, je vois l'avant d'une voiture, j'entends des détonations, je m'échappe sur le côté", raconte-t-il. Il ressent "comme un coup de poing", se protège derrière une grosse voiture et dit ne pas comprendre pas pourquoi il a été blessé. "Je m'attends à partir et je demande à Lorenzo, un de mes collègues qui était avec moi, de dire à ma femme et à mes enfants que je les aime". Dans la salle, Pascale Regnault–Dubois, directrice centrale des CRS, écoute les déclarations du CRS blessé. Celui-ci a reçu une balle dans l'aisselle qui lui a cassé deux côtes en entrant et deux autres en ressortant. Hospitalisé pendant cinq jours à Carcassonne, il rejoint Marseille par la route avec ses camarades. Il est alors de nouveau opéré pour extraire une grande quantité de sang logée dans ses poumons.
"Aujourd'hui, je suis toujours sur le terrain, mais c'est très compliqué pour ma femme et mes enfants qui ont du s'adapter au nouvel homme que je suis devenu", ajoute le policier qui dit "être désormais être hyper vigilant en permanence". Il se sent "utile" à la société dans son métier de policier et rend au passage hommage au colonel Arnaud Beltrame: "On ne peut pas lui reprocher de ne pas avoir appliqué le protocole. Il s'est conduit comme un héros". Il avoue avoir une foi religieuse "qu'il ne veut pas imposer aux autres" mais assure que "l'islam radical n'apporte pas la paix du véritable islam".
Pierre-Marie GIRAUD
Un major et un colonel de gendarmerie racontent l’attentat du Super U de Trèbes